"L’Armée française a utilisé du gaz pendant la guerre en Kabylie"

L'armée française n'a pas utilisé que du napalm, comme sur la photo Gérard Von Der Linden en 1960 en Kabylie.
L'armée française n'a pas utilisé que du napalm, comme sur la photo Gérard Von Der Linden en 1960 en Kabylie.

L’armée française a toujours nié, ainsi que les politiques qui organisaient cette guerre, avoir utilisé les gaz contre les combattants algériens. "Opérations propres", "Protection des populations", disaient-ils, et autres balivernes.

J’apporte ici un témoignage – inédit – sur ce qui pourrait être la dénonciation d’un énorme mensonge (un de plus….)

Nous sommes au printemps 1961. Je suis 2° classe-radio  dans une section du 6° B.C.A., en poste dans le village de Taourirt Menguellet, en Kabylie, dans une maison réquisitionnée de laquelle on peut observer les vallées en contrebas, et le Massif du Djurdjura, avec son sommet "La Main  du Juif" : sommet escarpé, composé de plusieurs cheminées et repaire idéal pour les willayas de l’armée algérienne.

A entendre les coups de feu et les explosions, ce matin-là, manifestement une opération militaire s’y déroule, à laquelle participe le 7° B.C.A., implanté dans cette région.

Pour avoir plus de détails, je branche mes radios sur la terrasse et trouve les fréquences du 7° B.C.A. Mon chef de section, le sous-lieutenant C.M….bien connu à Grenoble, me rejoint et nous écoutons, par radio, le déroulement des opérations qui ont l’air importantes.

Tout à coup, un appel émanant d’un groupe français coincé dans une cheminée de la Main du Juif. Je m’en souviens très bien :

"L’Acacia, l’Acacia, ici Alphabet Acacia ; arrêtez les gaz ; nous allons tous crever dans cette cheminée !"

Silence à l’Etat-major de l’Acacia.

Nouvel appel de Alphabet Acacia plus affolé et plus pressant : "Arrêtez les gaz ; les gars tombent à mes côtés !"

Silence à l’Etat-major de l’Acacia (7°B.C.A.)

Avec l’accord de mon lieutenant C.M…., je prends le "bigo" et appelle l’Acacia : "N’entendez-vous pas l’appel de votre groupe Alphabet ?

Silence radio…

Je renouvelle mon appel sans succès.

Mon lieutenant me relaie (pourtant à l’esprit militaire bien ancré et très favorable à cette guerre) :

"Ici Ladoga Indigo2 Autorité. N’entendez-vous pas ce qui se passe dansla Main du Juif ?"

Réponse cette fois : "Ladoga indigo 2, quittez immédiatement l’écoute : vous n’avez rien à faire sur cette fréquence !"

Je reprends le bigo « Bien reçu ; mais n’entendez-vous pas ces appels urgents de votre unité ? »

Réponse : "Ladoga Indigo2, quittez cette fréquence : j’en réfère à votre autorité Ladoga"

Quelques instants plus tard, appel effectivement de l’Autorité Ladoga : "Quittez immédiatement cette fréquence : vous aurez à en rendre compte".

Nous décidons de nous taire tout en restant branchés sur cette fréquence.

Aucune nouvelle de ces gars coincés dans leur cheminée et soumis aux gaz qui ne leur étaient pas destinés…

Le soir, nous écoutons le bilan de l’opération : "Trois «fellagas» tués, quelques armes récupérées. 3 soldats français décédés." Sans plus de détails. Nous n’en saurons pas plus.

Je rêve encore parfois à ces appels de détresse et aux silences lancinants comme toute réponse…

Quelques jours plus tard, je suis muté en section opérationnelle ainsi que le lieutenant… Hasard ?

Mais bizarrement je conserve ma fonction "radio" (je pense parce que je la maîtrise fort bien), bien que repéré comme "rouge" avec 3 croix sur mon dossier et la mention : "Elément très dangereux. Ne doit être mis à aucun poste où il puisse avoir connaissance de secrets militaires" (sic)

Voilà les faits. A chacun d’en juger. Pour ma part, ma conviction est faite : il y a bien eu utilisation des gaz (et pas seulement lacrymogènes) durant la guerre d’Algérie et les silences des autorités ne peut s’expliquer que par leur mauvaise conscience.

Gilbert Argeles

Blogs.mediapart

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Commentaires (12) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

merci

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