Dépenses publiques algériennes : de l'assurance béate au doute ravageur

Les rapports de la cour des comptes donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires ou des enquêtes.
Les rapports de la cour des comptes donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires ou des enquêtes.

En ces temps de crise financière, les citoyens sont légitimement tentés, pire, ils sont taraudés, par la question de savoir comment tout un pays, l'Algérie, qui a son poids historique et son importance géostratégique indéniable en Afrique et en Méditerranée, a pu passer de l'"opulence" à la dèche, de l'embellie financière - traduite "poétiquement" par certains officiels en "bahbouha malia" - à l'ouverture sur l'inconnu; de l'arrogance et de l'assurance que donnent l'argent, à l'appel inassumé à l'austérité.

Ce passage abrupt de l'assurance béate au doute ravageur est pourtant inscrit dans la logique d'une prospérité factice, nourrie par la seule grâce de la rente pétrolière, dont la distribution a emprunté les chemins du clientélisme, de la mauvaise gestion et d'une mortelle tendance aux solutions de facilité.

Toutes ces dérives de comportement avec l'argent du pétrole ont, bien sûr, leurs motivations politiques - servant de substratum matériel à un anachronisme et un archaïsme institutionnels -, ainsi que leurs répercussions sur la marche générale du pays et de la société. Cela a abouti à une espèce de prédation qui s'est déclinée en plusieurs volets : l'évasion fiscale du marché informel et même d'une partie de l'appareil économique régulier, la fuite des capitaux par le mode de surfacturation, avec la complicité des fournisseurs étrangers, la corruption interne, particulièrement celle directement liée aux marchés publics,…etc, sans oublier les gaspillages charriés par des subventions indiscriminées, dédiées à la consommation et touchant toutes les catégories sociales.

Il faut reconnaître qu'une partie du constat établi par l'opposition politique est partagée parfois par des officiels. L'exemple de la fuite de capitaux, issue de la surfacturation des produits importés, en est un exemple probant. Plusieurs ministres ont fait le constat, sans pouvoir ni proposer une solution, ni encore moins agir dans le sens de la coercition. Le dernier officiel à communiquer publiquement sur ce sujet sensible, ce fut, en 2015, feu Bakhti Belaïb, ancien ministre du Commerce. Ce dernier a fait savoir que le transfert illicite de capitaux par le moyen de la surfacturation sur les importations représente un taux de 30% du montant total des importations algériennes. Si l'on considère le montant des importations de l'année 2014, soit 58.8 milliards de dollars, le montant des transferts de capitaux à l'étranger, serait de 18 milliards de dollars pour l'année en question. Les procédés utilisés sont parfois des plus prosaïques. L'on se souvient de ces containers réceptionnés au port d'Oran et contenant des… pierres (genre de galets de rivière ou de mer) importées de Chine, avec des factures portant, bien entendu, un autre libellé, celui admis dans la nomenclature officielle du ministère du Commerce.

Outre la fuite de capitaux, la corruption interne générée à l'occasion de la conclusion de marchés publics, la mauvaise gestion- générant d'énormes surcoûts, avec une qualité technique pour le moins douteuse des ouvrages, n'est pas en reste. Les rapports établis par la Cour des comptes, dans le cadre des lois de règlement budgétaire relatifs aux années 2013 et 2014 ont relevé des situations de surconsommation de budgets, suite à des réévaluations successives des enveloppes financières; un phénomène qui a tendance à se généraliser en raison principalement de la non-maturation des études et de la non-maîtrise de la détermination des besoins. Pourtant, ce dernier concept, la détermination des besoins, constitue un des premiers paragraphes du code des marchés publics que sont supposés appliquer à la lettre les agents publics maitres d'ouvrage.

Après avoir vécu, pendant plus d'une décennie, de tels dérapages, reconnus par les experts nationaux, les hommes politiques et même des responsables officiels en poste, comment, dans l'horizon des restrictions budgétaires qui se dessine à grands traits - aussi bien pour le court que pour le moyen terme - sera géré l'argent public, ou ce qui en reste, et quels sont les moyens prévus pour prévenir de nouvelles dérives ? Force est de reconnaître que les institutions chargées des missions de suivi et de contrôle de la dépense publique ont été, jusqu'ici, bridées politiquement.

Les velléités de quelques députés de l'Assemblée populaire nationale, exprimées pendant la mandature 2007-2012, n'ont malheureusement pas pu trouver un canal d'expression, vu le jeu procédural imposé par le principe de la majorité parlementaire. Quant aux organes administratifs ou judiciaires spécialement dédiées au contrôle de l'argent public, à l'image de l'Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes, leurs rapports, qui incriminent parfois gravement des structures publiques, donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires ou à des enquêtes administratives.

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (5) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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chawki fali

Thanks a lot for this article. I interested with this

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