Hocine Aït Ahmed et la crise de l’été 1962 (II)

Hocine Aït Ahmed
Hocine Aït Ahmed

Depuis le dernier congrès du FFS, Hocine Aït Ahmed s’est retiré de toute activité politique. Agé et malade, ce nationaliste de la première heure a traversé depuis les années 1950 l’histoire contemporaine de l’Algérie. Aussi, Le Matindz ouvre son espace à Ramdane Redjala (*), qui propose aux lecteurs une analyse de la trajectoire militante de cet homme sur plusieurs parties. Portrait sans concession. Deuxième partie.

18 mars-27 juillet : de l’expectative à la démission.

Libérés le jour même de la signature des accords d’Evian après cinq ans et demi d’emprisonnement, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohammed Boudiaf et Mohammed Khider embarquent à Orly dans la soirée du dimanche à destination de Genève-Cointrin où ils atterrissent peu avant minuit. Accompagnés de Mr Laghzaoui, représentant du roi Hassan II, les ex-détenus d’Aulnoy devraient dans un premier temps se rendre directement à Rabat. Mais au dernier moment, ils ont choisi de rencontrer en priorité les négociateurs d’Evian à Signal de Bougy. Les retrouvailles à l’hôtel des Horizons bleus n’étaient guère chaleureuses. "Les premiers échanges sont significatifs."La voilà, la sale bande", dit Khider. "Le pouvoir est à vous. Prenez-le » réplique Ben Tobbal". rapporte Mohammed Harbi dans le FLN, mirage et réalité p.326. Le linge sale commence à être lavé en famille. A l’aube, chacun regagne sa chambre pour un peu de repos.

Ces premières disputes traduisent un réel décalage entre ceux qui devaient gérer le mouvement insurrectionnel sur le terrain au quotidien et les cinq détenus qui ne percevaient les tumultes de la guerre qu’à travers les prismes déformés des rapports et des témoignages des uns et des autres. Ces dissonances ne feront qu’aggraver le climat dans lequel l’Algérie allait accéder à son indépendance pour la première fois dans sa longue l’histoire.

Boumediène en quête d’alliés

Pour comprendre l’enchaînement des évènements qui vont marquer cette courte période de six mois de crise parfois sanglante, il convient de rappeler qu’un conflit latent opposait l’état-major général (EMG) de l’armée stationnée le long de la frontière algéro-tunisienne à l’est et marocaine à l’ouest au gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Avec la signature du cessez-le-feu et la proclamation imminente de l’indépendance, les ambitions et les rivalités demeurées souterraines jusque-là vont s’exprimer frontalement et publiquement.

Dans cette rude bataille qui s’annonce pour s’emparer du pouvoir à Alger, le colonel Boumediène et ses hommes liges du moment, les commandants Ali Mendjeli et Ahmed Kaïd, (alias Slimane) se trouvaient à la tête d’une armée de 36 000 hommes environ. Peu connu et n’ayant que peu d’influence en dehors de ses bataillons qui se comportent déjà comme une troupe de janissaires, Boumediène s’est mis en quête d’alliés ayant une légitimité historique établie. Méfiant à l’égard des personnalités kabyles, il jeta son dévolu dans un premier temps sur Mohammed Boudiaf fondateur du CRUA[1] et du FLN historique. Avant même le cessez-le-feu, il conspirait déjà contre le GPRA. Il dépêcha donc son missi dominici, un certain Abdelaziz Bouteflika pour le sonder et sceller éventuellement une alliance stratégique de prise de pouvoir. Surpris et indigné par cette démarche considérée comme illégale, Mohammed Boudiaf, historique parmi les historiques, repoussa la proposition. Alors, l’homme de confiance de Boumediène alla frapper à la porte de Ben Bella. Ambitieux et aspirant au pouvoir par tous les moyens, ce dernier accepta l’offre. Ainsi se scella un pacte secret entre le chef de l’état-major et Ahmed Ben Bella sur le dos du GPRA. Cette alliance, aujourd’hui avérée[2], éclaire a postériori les positions de Ben Bella au cours de cette crise. Dès lors, ce cheval de Troie saisira chaque occasion pour se démarquer du GPRA présidé par Benyoucef Benkhedda dont il était pourtant vice-président. Bénéficiant d’une popularité usurpée et entretenue par les moukhabarates (services secrets) égyptiens et les médias français, Ben Bella ne cessera de se projeter sur le devant de la scène au point d’agacer Mohammed Boudiaf qui refusera désormais de s’afficher avec lui.

Hocine Aït Ahmed garde le silence

Contrairement à ses camarades de détention, le ministre d’Etat du GPRA se montre d’une prudence excessive. Avare en déclarations politiques, il ne dévoile ni ses positions, ni ses intentions. Il met en pratique l’une de ses formules préférées : "wait and see" (attendre et voir).

Le 25 mars, il se rend avec ses compagnons à Oujda pour passer en revue un détachement de l’armée des frontières en présence du colonel Boumediène. Du 31 mars au 14 avril, les ex-détenus d’Aulnoy sont en visite au Caire puis à Bagdad. Pendant cette tournée, Ben Bella ne cessera de se distinguer de ses camarades par des déclarations et interviews intempestives qui mettaient en difficulté le GPRA. Si les accords d’Evian ont mis fin à la guerre, "cela ne signifie pas que la paix soit réalisée et que la mission de la révolution en Algérie ait pris fin" déclare-t-il, Le Monde 3 avril 1962. Fort de l’alliance secrète passée avec Boumediène, il souffle le chaud et le froid.

La fin du CNRA

C’est dans ce climat de malaise latent et d’arrières pensés politiques que s’ouvre dimanche 27 mai à Tripoli la session extraordinaire du Conseil nationale de la révolution algérienne. A l’ordre du jour de cette assemblée considérée comme le parlement du mouvement insurrectionnel, l’examen du Projet de programme du FLN nommé aussi "Projet de programme de Hammamet" [3] mais surtout la désignation d’une nouvelle direction appelée à préparer la proclamation de l’indépendance et à gérer le pays jusqu’au prochain congrès qui devrait avoir lieu deux mois plus tard.

Discuté et enrichi lors des séances plénières, le Projet de programme ne suscite que peu d’intérêt. Il fut même adapté quasiment à l’unanimité et passe à la postérité sous le nom de « Charte de Tripoli ». Par contre, les débats se corsent au moment de désigner les membres de la nouvelle direction. Pour éviter un affrontement violent entre les deux pôles antagoniques que furent le gouvernement et l’état-major, une commission présidée par Mohammed Seddik Ben Yahia fut constituée. Son rôle consistait à mener un travail de consultation auprès des participants afin de proposer une liste de personnalités suffisamment consensuelles pour constituer la nouvelle instance. Après avoir sondé les uns et les autres pendant deux jours, ladite commission rend son tablier et confesse son échec. Le CNRA se trouve dans l’impasse. Et c’est un incident, celui d’un vote par procuration qui va être à l’origine de la rupture définitive entre le GPRA et l’EMG. Alors que la wilaya I (Aurès) bénéficiait légitimement de trois voix, Ben Khedda refusa catégoriquement de les prendre en compte sous prétexte que son chef, Tahar Zbiri ne disposait pas de procurations écrites. Prenant fait et cause pour ce dernier, Ben Bella qui roulait déjà pour l’armée des frontières apostropha vulgairement le chef de l’exécutif. "Le plus grand manœuvrier, c’est toi, et si personne, à ce jour, ne t’a déshabillé, je vais le faire, moi !». «Tu n’as pas à t’adresser de la sorte au Président. Et, s’il faut te dénuder, nous le ferons" déclare Salah Boubnider, de l’autre côté de la salle à l’adresse de Ben Bella". "Ben Bella, depuis des mois que tu vis avec nous, tes manigances ont déjà semé la discorde…", intervient Ben Tobbal qui bondit de sa place", rapporte Ali Haroun dans L’Eté de la discorde p. 28.

Après cet échange machiste et inélégant, le chef du GPRA et la plupart de ses ministres quittèrent Tripoli pour Tunis. Le CNRA a vécu. Ce départ précipité a favorisé le jeu de Ben Bella et ses amis. Ils profitèrent de cette nouvelle donne pour dresser un constat de carence et du même coup s’attribuer une majorité des voix en leur faveur à partir du simple sondage réalisé par la commission Ben Yahia. Benyoucef Ben Khedda comme A. Haroun soutiennent qu’il n’y a jamais eu de vote concernant la nouvelle direction, c'est-à-dire le futur Bureau politique. Au cours de cette session, la dernière du CNRA, qui s’est terminée par un échec complet, Hocine Aït Ahmed a été inaudible pourtant son nom a été retenu comme devant faire partie de la nouvelle instance.

L’accord du 17 juin avec l’OAS

Grâce aux efforts déployés par l’ancien maire d’Alger, Jacques Chevallier, des contacts furent établis entre l’OAS et l’Exécutif provisoire. Au terme de plusieurs rencontres entre, d’une part, Jean-Jacques Susini et d’autre part Abderrahmane Farès, un compromis est trouvé pour mettre fin à la politique de la terre brûlée déclenchée par les extrémistes. Prudent, le président de l’Exécutif a obtenu auparavant le feu vert non seulement du représentant du FLN, Chawki Mostefaï, mais aussi celui du signataire des accords d’Evian, Belkacem Krim voire même de Mohammed Boudiaf. A quinze jours de l’indépendance, la portée politique de cet accord est insignifiante. Mais il a permis de sauver des centaines voire des milliers de vies du moins à Alger (l’OAS d’Oran ne reconnaissait pas cet accord) et donner un coup d’arrêt à la folie destructrice des objectifs économiques et culturels. Cette initiative fut à l’époque dénoncée par les amis de Ben Bella et de l’état-major en faisant de la surenchère révolutionnaire.

Du Caire où il se trouvait, M. Aït Ahmed, ministre sans portefeuille, rompt avec la discrétion qu’il a observée jusque-là et désavoue l’initiative en déclarant : «L’accord conclu dimanche à Alger l’a été entre l’Exécutif provisoire en Algérie et l’OAS. Il ne touche ni de près ni de loin les accords d’Evian qui ont été signés par le gouvernement français et le GPRA.» Le Monde 20-06-1962. Le même Aït Ahmed précise : «Il n’y a pas eu dernièrement de négociations comme on l’a prétendu entre le FLN et l’OAS… C’est pour cela que je dois affirmer que le GPRA, et sous une forme plus étendue le FLN, n’a aucune relation de près ou de loin avec cet accord dont il n’accepte aucune des conditions, quoiqu’en aient dit les nouvelles tendancieuses répandues à ce sujet.» Cette prise de position vise probablement à mettre en difficulté Belkacem Krim son rival et dans une certaine mesure Mohammed Boudiaf qui ont donné leur aval à cet arrangement qui ne remet nullement en cause l’accession de l’Algérie à l’indépendance. C’est l’une des rares fois où Hocine Aït Ahmed a rompu son silence.

Le bras de fer est engagé entre le GPRA et l’EMG

Après avoir longtemps tergiversé, Ben Khedda décide, samedi le 30 juin, de dégrader et de révoquer le colonel Boumediène et ses deux adjoints les commandants Ahmed Kaïd et Ali Mendjli. Cette décision est contestée non seulement par les concernés mais surtout par Mohammed Khider et Ben Bella. Ces deux derniers expriment leur désaccord en démissionnant du GPRA et en exigeant l’annulation de cet ordre. Dès lors, l’unité de façade affichée jusque-là n’a plus lieu d’être. Boumediène peut se satisfaire de la tournure des évènements. Outre le deal déjà passé avec Ben Bella, il reçoit également le soutien d’un des dirigeants les plus en vue, Mohammed Khider. La coalition de Tlemcen prend forme.

La France reconnaît l’indépendance de l’Algérie

Après le référendum d’autodétermination, le général de Gaulle, président de la République française reconnaît solennellement, mardi 3 juillet, l’indépendance de l’Algérie. Le même jour, Benyoucef Ben Khedda accompagné de plusieurs ministres dont Hocine Aït Ahmed arrivent à Alger. Simultanément, les troupes stationnées aux frontières est et ouest de l’Algérie font mouvement sur ordre de l’état-major en direction de Constantine pour les unes et de Tlemcen pour les autres. Hocine Aït Ahmed participe le 9 juillet au grand meeting du stade municipal d’Alger aux côtés du président du GPRA. Ben Khedda déclare : "Le gouvernement qui est reconnu aujourd’hui par trente-trois Etats, est la seule autorité en Algérie. Tous les Algériens doivent le reconnaître et cela dans l’intérêt suprême de la nation". Le Monde 11-07-1962.

22 juillet 1962 : Proclamation du Bureau politique

Lorsque le triumvirat Ben Bella, Boumediène et Khider avec la complicité de Ferhat Abbas annoncèrent la constitution de la nouvelle direction (le Bureau politique) appelée à se substituer au GPRA, Hocine Aït Ahmed qui en faisait partie ne réagit pas à cette décision tout en refusant d’y siéger. Le premier à exprimer sa désapprobation fut Mohammed Boudiaf. Et c’est à partir de Tizi Ouzou, le lieu est symbolique, qu’il s’adresse "à tous les militants de la cause nationale et au peuple algérien tout entier… de faire barrage au coup d’Etat qui déjà à fait couler le sang des militants algériens». Le Monde 27-07-1962. Il est immédiatement rejoint par Belkacem Krim qui à son tour appelle «toutes les forces révolutionnaires à s’opposer à ce coup de force armé et à toute tentative de dictature. Tous les démocrates algériens doivent s’y opposer". Quant au futur chef du FFS, il ne se reconnaissait ni dans le clan de Tlemcen où figurait Ben Bella son frère ennemi ni dans celui de Tizi Ouzou alors qu’on le disait pourtant proche de Boudiaf. La présence de B. Krim l’indisposait probablement. En effet, le chef historique de la wilaya III (Kabylie) et signataire des accords d’Evian faisait de l’ombre au ministre du GPRA qui se refusait à jouer les seconds rôles.

Les prisonniers de Turquant en liberté, printemps 1962

Les prisonniers de Turquant en liberté, printemps 1962

27 juillet 1962 : démission de Hocine Aït Ahmed

N’ayant pas pu ou voulu prendre sa place dans la scène politique du moment, il démissionne à la fois du GPRA et du CNRA et quitte l’Algérie au moment se jouait le destin du pays. "Je profite d’une escale à Paris pour rendre publique ma démission de tous les organismes dirigeants de la révolution. Cette décision est irrévocable… ma décision n’est pas un abandon de combat. C’est un acte politique, une option de confiance dans ces couches effervescentes qui ont conduit à la victoire» déclare-t-il Le Monde 28 juillet 1962. Condamnant le CNRA, il estime que ce dernier «n’est pas un organisme responsable, et ses membres n’ont pas la formation voulue pour aborder les problèmes de reconversion». (AFP/La Dépêche d’Algérie 1er août 1962)

Ainsi, pendant deux mois, il abandonna l’action politique pour une villégiature entre Paris, Genève et Rabat. Sous prétexte de renvoyer dos à dos ceux de Tlemcen et ceux de Tizi Ouzou, Hocine Aït Ahmed avait délibérément choisi de ne pas s’impliquer dans le combat en cours. En raison de son statut «d’historique» et de son refus de siéger au sein du bureau politique n’aurait-il pas mieux fait de soutenir ceux qui résistaient au coup d’Etat ? Il n’en fut rien. En refusant de choisir son camp et en quittant le pays, il a favorisé la position des putschistes. C’est à partir de l’étranger qu’il assistera aux affrontements fratricides, parfois sanglants, entre les protagonistes. Alors que les troupes de la wilaya I (Aurès) venaient d’investir Constantine le 25 juillet et constituaient un des piliers de la coalition de Tlemcen, M. Aït Ahmed suggéra d’intégrer son chef, le colonel Tahar Zbiri, dans le Bureau politique. "C’est un homme très pondéré, un parfait gentleman, et je suis certain que son influence sera bénéfique." (AFP/La Dépêche d’Algérie 1-08-1962)

Ce qui ne l’empêchera pas, plus tard, dans une interview à Libération du 19 mars 1987, de déclarer : "Je me suis opposé dès le lendemain de la libération à l’Etat-major. Je refusais la rébellion militaire". Or, aucune prise de position, aucun témoignage n’est venu accréditer sa fausse déclaration. Rien pour confirmer une autre lecture qu’un prudent "wait en see".

En quittant le terrain de la lutte, Hocine Aït Ahmed entendait se placer au-dessus de la mêlée. Si cette démission peut traduire l’indécision de l’homme politique, l’absence de stratégie et de position affirmée, dans les faits, elle condamne Hocine Aït Ahmed à n’avoir aucune influence ni sur le déroulement de la crise et ni sur son dénouement. Il a traversé la crise de l’été 1962 quasiment en spectateur.

20 septembre 1962 : Aït Ahmed député de Sétif

Absent des premières listes électorales puisqu’il était démissionnaire et séjournait à l’étranger, il est repêché à la fois sur intervention de Mohand Oul Hadj[4] et de son beau-frère Khider, un des hommes forts du Bureau politique. Il devient ainsi député de Sétif à l’Assemblée constituante. Le jour même où le peuple algérien est appelé, non pas à choisir librement ses représentants légitimes mais à plébisciter des députés désignés d’avance, Mohammed Boudiaf refusait de rejoindre les bancs de cette assemblée croupion et fondait le premier parti d’opposition, le Parti de la Révolution Socialiste (PRS) contre le néo-FLN du duo Ben Bella/Khider.

Pour justifier son nouveau choix, celui de siéger en tant que militant et député du FLN, M. Aït Ahmed déclare : «Quelles que soient les erreurs déplorables qui ont marqué la désignation des candidats, l’Assemblée nationale constituante peut amorcer le processus démocratique et révolutionnaire de la structuration de la société. L’Assemblée nationale constituante peut susciter un redressement spectaculaire et durable. La nation doit sortir de cet état larvé de guerre civile et doit retrouver cette cohésion qui lui a permis de gagner la guerre de libération». Le Monde 22 septembre 1962. Avec un tel discours, il ne remet nullement en cause l’option du parti unique.

Ayant choisi d’inscrire son action politique dans le cadre légal de la Constituante, Aït Ahmed a besoin de préciser sa position à l’égard de l’exécutif. "Nous soutiendrons le gouvernement chaque fois qu’il sera dans la bonne voie, nous le préviendrons et nous nous opposerons à lui chaque fois que son action et sa politique ne nous paraîtrons pas viables". Le Monde 29-09-1962. Il apportait un soutien critique au pouvoir qui se mettait en place. Et pour souligner qu’il n’était pas fondamentalement en opposition avec lui, il ajoute : "Nous sommes tous d’accord sur le plan idéologique ; des divergences peuvent apparaître sur la mise en pratique". Ibid.

20 septembre 1962- juillet 1963 : un rôle ambigu

A l’inverse de Mohammed Boudiaf qui fonde le Parti de la Révolution Socialiste (PRS) qui se situe clairement dans l’opposition, Aït Ahmed se maintient dans un statut ambivalent. Assidu aux séances de l’Assemblée, inscrit dans plusieurs commissions, le député de Sétif apparaissait comme le chef de file d’une opposition légale dont il refuse d’assumer la responsabilité. "On a dit que vous vous posiez dès maintenant en "leader de l’opposition". Cette expression vous semble-t-elle juste ?" lui demande un journaliste de Jeune Afrique le 1er octobre 1962. Dans sa réponse équivoque, il rejette le qualificatif d’opposant sans pourtant l’écarter totalement. "C’est une expression inadéquate, voire nocive. La réponse est déjà contenue dans les deux expressions que je viens d’employer : je suis militant et c’est une Assemblée de patriotes c'est-à-dire des militants comme moi. La presse et les rumeurs nous ont habitués à des formules à l’emporte-pièce qui ne recouvrent pas toujours la réalité… J’estime que le frère Ben Bella a commis une faute en parlant d’opposition, après avoir été chargé par l’Assemblée de former le gouvernement. L’opposition, si opposition il doit y avoir dans l’avenir ne peut se faire que sur la base d’idées, de conception, de méthodes et non pas sur l’approbation de tel ou tel chef…» Jeune Afrique 1er octobre 1962.

Sur le pluralisme politique, s’il avait effectivement critiqué du bout des lèvres l’interdiction du Parti communiste algérien (PCA), cela ne signifiait nullement qu’il était favorable à la pluralité des partis. Son appartenance au FLN et à une Assemblée monocolore montre qu’il ne remettait pas explicitement en cause le système du parti unique. D’ailleurs, lorsqu’il est invité à commenter la création du Parti de la révolution socialiste (PRS) de son «ami» Boudiaf, il botte en touche. Une fois de plus, il s’en remet au rôle d’une Assemblée. "Je me contente de constater les faits sans vouloir émettre un jugement de valeur. Tant que la cohésion, tant que l’unité n’est pas refaite, tous les développements sont possibles. La tâche de l’Assemblée est précisément de permettre le rétablissement de l’unité qui passe par la liberté d’expression au sein de cette Assemblée. » Jeune Afrique 1-10-1962. Il attribue à cette dernière des pouvoirs et des vertus qu’elle n’avait pas la dotant même d’une baquette magique qu’il suffisait de brandir pour résoudre tous les maux de la nouvelle Algérie. Ainsi, à la question si la reconversion de l’armée dépend de l’exécutif ou de l’Assemblée, il est difficile de connaître ce que pense le futur chef du FFS sur ce sujet pourtant capital. "Le rôle de l’Assemblée dans ce domaine aussi est de dépassionner et de désloganiser." Jeune Afrique 1er octobre 1962. Le 7 décembre, au cours du débat de politique générale, il propose à nouveau d’élargir le "Bureau politique avant la réunion du congrès national du FLN". Le Monde 9 et 10-12-1962. Son beau-frère, Khider estime au contraire que cet élargissement «dépendrait précisément du congrès national, dont il laissait prévoir la réunion fin janvier". (A suivre)

Ramdane Redjala (*)

(*) Docteur ès Lettres, spécialiste de l'histoire de l'Algérie comptemporaine et auteur de L'opposition en Algérie depuis 1962, éditions Rahma

Renvois

[1] Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) voit le jour en mars 1954 grâce à la détermination de deux hommes : Mustapha Ben Boulaïd et Mohammed Boudiaf. Son but : dépasser les luttes de clans que se livraient les partisans du zaïm Messali Hadj et ceux du comité central qui menaçaient l’unité du parti. Devenu Comité révolutionnaire en juillet 1954, il organisa le mouvement insurrectionnel du 1er novembre sous deux sigles encore inconnus, le Front de libération national (FLN) et l’Armée de libération nationale (ALN).

[2] Voir Ali Haroun : L’été de la discorde

[3] 1 Elaboré par Mohammed-Seddik Benyahia, Mohammed Harbi, Mostefa Lacheraf, Redha Malek et Abdelmalek Temmam avec semble-t-il la participation de Ben Bella.

[4] De son vrai nom Belhadj Mokrane selon Hubert Michel (Annuaires de l’AFN, 1972) et Akli Mokrane d’après El Moudjahid du 7-11-1991, il succède au colonel Amirouche à la tête de la Wilaya III (Kabylie). Surnommé affectueusement le « vieux » par ses hommes, il sut faire face au rouleau compresseur de la 10e division parachutiste. A l’indépendance, il soutient le GPRA et le groupe de Tizi Ouzou. Membre fondateur de l’UDRS puis du FFS, il se sépara de Hocine Aït Ahmed au terme d’un mois de cohabitation. Député de 1962-1965, membre du Conseil de la Révolution après le coup d’état du 19 juin, il prend ses distances avec la politique. Soigné à l’hôpital militaire du Val de Grâce dans le 5e arrondissement de Paris, il décède le 2 décembre 1972.

Lire la 1re partie: Hocine Aït Ahmed : un nationaliste au destin contrarié (I)

Lire la 3e partie: Aït Ahmed : du palais Zighout Youcef au maquis de Kabylie (III)

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Commentaires (36) | Réagir ?

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fateh yagoubi

oui

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algerie

merci

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