L’Algérien ce pauvre bougre de citoyen

Ferhat Mehenni, président du GPK,  est un militant qui prend ses responsabilités.
Ferhat Mehenni, président du GPK, est un militant qui prend ses responsabilités.

"Le but de toute culture est de former une élite d'hommes indépendants de toute nature." Nietzsche

De toutes les significations possibles qu’on peut donner au terme "citoyen" l’acceptation de "membre d’une entité communautaire humaine saisie comme Etat du point de vue de ses droits et de ses devoirs politiques" est la plus appropriée. Accepter la fonction de citoyen - parce que c’en est une, ce n’est pas d’inné, l’homme ne vient pas au monde tout de suite politique – c’est être donc à la hauteur d’une double charge sociale consistant à donner et recevoir, mais selon les règles admises par l’ensemble de la communauté où chacun est responsable de ce qu’il reçoit par rapport à ce qu’il donne en retour.

Des devoirs du citoyen et de son rôle dans l’Etat

Winston Churchill a répondu à un observateur, qui était en fait un biographe, lui demandant son emploi du temps : "Quand je fais dix actions importantes dans la journée, je fais neuf fois mon travail de sujet et une fois celui de Premier ministre." Abou Bakr Seddik disait bien longtemps avant lui presque la même chose en rétorquant à un fidèle compagnon du Prophète qui s’étonnait de le voir rejoindre son échoppe le lendemain de l’enterrement de Mohamed Ibn Aboullah Ibn Abd el Moutaleb, "mon premier devoir envers la Ouma, c’est d’abord mon devoir envers l’intérêt de ma famille."

Imprégnation de la citoyenneté, en tant qu’entité individuelle ou familiale, et prise en charge du devoir envers autrui, c’est-à-dire la responsabilité intrinsèque du rôle dans l’échelle communautaire, voilà donc les fondations rationnelles sur lesquelles on se réfère pour saisir les critères pouvant promouvoir à l’éligibilité vers une fonction plus ou moins grave vis-à-vis de la nation. Du premier responsable fonctionnaire de la municipalité au président de la République, l’individu, homme ou femme, ne peut avoir de consistance viable que si et seulement si sa participation dans le procès social ne le désengage en aucune façon de l’intérêt le plus simple et des attentes les plus complexes.

Dans les pays musulmans affichés démocratiques, les chefs d’Etats, souverains, présidents ou premiers ministres, vont à la mosquée deux fois par an et pratiquent la démocratie cycliquement, une ou deux fois la décade, pour être vus en train de mettre quelque bulletin dans une urne. Sinon une armée d’élite triée sur le volet les protège – paradoxalement - de leurs citoyens. Dans les pays du nord de l’Europe, les ministres prennent le bus avec les contribuables pour aller dans leur cabinet, même en Norvège après le massacre de l’été dernier. Sur ce point un ami responsable sectoriel dans la police urbaine me siffle à l’oreille une information à laquelle je n’ai jamais pensé. Qui laisse entendre que la moitié des causes paralysant la circulation dans les rues de la capitale est due aux caprices des grands commis pour lesquels les escamotages guidés par radio ne posent aucun problème s’ils désirent parvenir à destination plus vite et plus à l’aise que quiconque roulant dans la cité. Trente ministres, 30 chefs de cabinets, 30 SG, le wali et son staff, les chefs de daïra, les dizaines d’ambassadeurs, les diplomates, les grands patrons de la sécurité, les généraux en déplacement, et cetera. Cela fait pendant les journées ouvrables le martyre pour pouvoir évoluer sans dépression nerveuse dans les rues de plus en plus exiguës, le chômage aidant, devenues le réceptacle des activités commerciales les plus imprévisibles et les plus sordides.

Des citoyens dans la rente

De là, lorsque le concept de la citoyenneté qui cimente les individus entre eux et les communautés entre elles est abandonné à l’aléatoire du vau-l’eau, pour un intérêt exclusif, de l’argent ou du pouvoir, la vie dans le sein d’une nation devient non seulement problématique mais elle se charge aussi de tous les attributs malsains ne permettant d’ouvrir que des renouvellements d’exclusion : d’un côté les avantagés pour qui le meilleur des biens est orienté - en ce qui concerne les Etats disposant d’immenses richesses naturelles, comme l’Algérie par exemple, le dispatching de la rente gazopétrolière – et de l’autre les laissés-pour-compte nourris à la subvention végétative et roués d’éternelles fausses promesses qui n’alimentent au final que les responsables de l’Administration. Qui savent d’où viennent les ordres mais qui ne le disent jamais aux journalistes, parce que ça plait que les journalistes insultent et blasphèmes les présidents, les ministres et les commis intermédiaires tant qu’ils ne détiennent pas les informations clés à mettre entre les mains des citoyens.

Un jour je ne me rappelle plus où ni à quelle occasion un confrère se fut lessivé par le très perspicace Lahouari Addi à propos d’un "passage à tabac" sur la personne d’un ancien révolutionnaire membre du cabinet de Ben Bella à l’indépendance. Qui le faisait donc à la manière de carrément le diffamer sans détenir les éléments argumentaires justement pouvant édifier sur la fonction exacte que le révolutionnaire occupait ni sur le rôle précis qui lui était alloué. Et ce fut le sociologue lui-même qui étaya les arguments nécessaires et suffisants afin de remettre, pour ainsi dire, les pendules à l’heure.

Entres les traîtres et les louches citoyens

Cependant parler de Chakib Khelil qui a presque réussi à faire du staff autour du secteur de l’Energie un gang au service des plus-values étrangères en même temps que le groupe qui a décidé de son chef l’ouverture du capital de Sonatrach à concurrence de plus de la majorité absolue dans le contrôle de l’entreprise, c’est-à-dire, ni plus ni moins, que de la mainmise sur les capacités d’existence de l’Algérie, des députés de l’Assemblée qui votent des lois contre les intérêts vitaux de la majorité des citoyens et des citoyennes de ce pays qui se réveillent le matin pour subir la première humiliation de la journée, la première gifle du système, celle du sachet de lait aléatoire ou des profanateurs du FLN qui font de cette source de la dignité patriotique un sinistre business pour s’occuper de l’administration des biens de la nation, c’est juste disserter sur des réalités sur le terrain de la République concernant la démission citoyenne, passibles donc au moins par la réprobation.

Dès lors rien n’empêche de se demander qui mérite ou qui ne mérite-t-il pas la citoyenneté algérienne. Beaucoup s’opposent en tout âme et conscience à l’action de l’ancien chanteur, Ferhat Mehenni, qu’ils soient Kabyles ou non. Parmi eux d’aucuns disent que l’autonomie en territoires géographiques kabyles risquerait à terme de morceler irrémédiablement l’ensemble de l’étendue nationale ; ce ne sont pas les variantes d’obédience amazighe qui manquent dans le vaste pays que est l’Algérie, depuis les côtes de Béni Houa et le sahel djidjeli jusqu’au fin fond du Sahara en passant par les Aurès-Nemacha, le M’Zab, les territoires de l’Ouest autour de l’antique Tagdempt, et cetera.

Mais Ferhat Mehenni, sur le plan du récit de l’histoire algérienne, il a été de tout temps un militant qui prend la responsabilité de ses actes devant tout le monde, à commencer par ses proches qui le soutiennent. Il s’est battu pour la reconnaissance des droits de la communauté amazighe en Algérie, sur tous les aspects de son existence, dans les domaines de la culture et du savoir, dans le secteur économique et social, dans les exigences que la culture amazighe s’exprime dans le concert international. Avec ses adhérents et ses sympathisants dans le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, il fait un choix politique, nationaliste – partant du fait ethnique que les Kabyles forment une nation et la région dans laquelle vit sa grande majorité est son territoire exclusive – et il agit en conséquence jusqu’à mettre au point un gouvernement provisoire installé en pays tiers.

Les liasses et les sous

Mais aller en Israël et rencontrer des officiels, discuter de la question qui intéresse son organisation, est-ce un acte de félonie ? Abou Amar, lui-même, n’a-t-il pas pris dans ses bras les plus hauts responsables hébreux après un long siège sanglant autour de sa résidence, pour que la Palestine recouvre sa dignité et son droit à exister autant que toutes les autres nations sur la surface de la Terre, libre et pacifique ? Si l’on excepte Houari Boumediene et Mohamed Boudiaf, tous les chefs d’Etats algériens ont embrassé les présidents français presque sur la bouche pas loin de l’Arc de Triomphe, après tous les génocides commis en Algérie pendant l’occupation par les troupes conquérantes, tout en sachant aussi que la puissance française a depuis toujours été au service de Tsahal et de l’Administration sioniste.

Ferhat en vérité persiste à dire et à agir en ne reconnaissant pas l’Etat algérien, comme beaucoup l’expriment sourdement ou par d’autres biais en Algérie. Car le concept citoyen a depuis longtemps déjà été départi de sa valeur de prodigalité sacrificatrice pour l’intérêt des meilleurs devenirs. Il est devenu une espèce de façade ou le faux et le factice ont tendance à faire bon ménage avec la véritable constante publique : la rente hydrocarbure et sa transformation en discours politiques gorgés de dollars et d’euros, quand des castes ne comptent pas leurs liasses tandis que la majorité survie avec des sous.

Nadir Bacha

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Commentaires (38) | Réagir ?

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Amazigh Akli

Si notre identité, culture, histoire et langue sont presque disparues c´est dû à l´islam: au nom de l´islam, on n´existe plus. Même le fait de prier dans sa langue maternelle est complètement interdit en islam.

L´islam n´est pas une religion mais l´idéologie la plus dangereuse pour l´humanité.

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Moha Mohmoh

Sommes nous plus intelligents que les Suisses, les Belges, les Américains? Si c oui, pourquoi nous sommes les derniers dans tous les domaines où l'intelligence est maitresse? Les Algériens sont par contre les peuples les plus sales de la planète, regardez bon sang l'état des quartiers de toutes les villes du pays, à quelques rares exceptions peut être que nous voulons bien connaitre. Seuls les rats peuvent s'accommoder de telles conditions. Mais là comme des moutons personne ne trouve à redire: tahya syed errais. Dès qu'un Algérien authentique, comme Boualem Sansal et Ferhat M'henni, se débat pour sortir de cet enfer et hop, comme des bêtes blessées on crie à la trahison! On peut émettre des réserves sur l'opportunité de ces visites, mais demandons nous en sont-ils arrivés là. Les traitres sont ces gens qui: 1) adorent leurs maitres comme les chiens, 2) se taisent comme des femmelettes quand des Algériens dignes de ce nom (Mellouk, Benchicou, Abane, Boudiaf,...) se font emprisonner, humiliés, assassinés impardonnablement par les nouveaux colons, 3) mettent une blouse blanche le vendredi pour fréquenter hypocritement la mosquée à l'images de leurs maitres. Dommage comme Ferhat et Sansal, il n ' y en a pas beaucoup en Algérie. C'est pour cela que cette dernière n'existe presque plus depuis les assassinats de Abane puis de Boudiaf. Heureux les Martyrs qui n'ont rien vu.

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