Messieurs les responsables : épargnez-nous vos bavardages !

L'âge d'or de la cinémathèque a été tué par les nouveaux responsables de la culture.
L'âge d'or de la cinémathèque a été tué par les nouveaux responsables de la culture.

Pourquoi les idées pertinentes et les opinions éclairées sont-elles ensevelies sous les flux de bavardages qui font faire surplace à la société ? La balance a-t-elle penché à ce point du côté du verbiage et autre blabla pour arriver à étouffer les cris de la société qui ne manque pas pourtant de frondeurs.

Ce sentiment s’est-il imposé dans la société parce que rien ne clignote à l’horizon qui annoncerait quelque espoir tant attendu et à chaque fois décapité par la main invisible d’une malédiction. Evidemment non car je ne crois nullement à la fatalité mais plutôt à l’utopie qui prépare le terrain pour que les rêves d’aujourd’hui deviennent la réalité de demain. Mais pour cela, il faut dès maintenant commencer à déblayer le terrain pour que l’intelligence, le contraire donc du bavardage, ensevelisse à son tour les problèmes divers et (a)variés qui font barrage à la vérité. Car les sociétés polluées par le vide des idées préfèrent le mensonge pour calmer les victimes de l’injustice. Le mieux pour tracer une frontière entre le mensonge, enfant chéri du bavardage, et la vérité, est de prendre des exemples que tout un chacun peut vérifier dans son quotidien.

Chacun de nous a fait l’expérience en allant au marché pour acheter de quoi bouillir la marmite, se retrouver devant des prix des légumes qui prennent l’ascenseur alors que notre propre salaire peine à monter les escaliers (c’est une image chère aux économistes qui veulent être pédagogue). Je choisirai pour ma part un petit bijou de film réalisé par Luc Moullet pour montrer le chemin parcouru par un fruit depuis le champ jusqu’à sa dégustation dans une assiette. Ainsi Luc Moullet, réalisateur de la nouvelle vague suit une banane depuis la lointaine Martinique jusqu’à l’assiette du Parisien dans sa cuisine en train de se délecter de ce fruit exotique. Le cinéaste en suivant le voyage de sa banane nous apprend que le pauvre paysan martiniquais est déshabillé pour mieux habiller le Parisien. Et voilà comment sans bavardage et avec humour, le cinéaste nous fait saisir le rapport de domination et d’exploitation entre une métropole et sa colonie. Un film prémonitoire puisque le paysan français aujourd’hui vend son lait à perte, s’endette pour se retrouver à vivre avec la moitié du smig.

Chez nous aussi on aurait besoin d’une telle démonstration au lieu de bassiner le public avec des explications bidon. N’y aurait-il pas un journaliste-économiste pour suivre une tomate ou une pomme de terre depuis le champ d’un paysan jusque la marmite d’un citoyen lambda. A chaque étape, notre journaliste notera toutes les dépenses entrainées par ladite patate et le bénéfice de chaque intermédiaire. Il ne faut pas sortir de polytechnique pour déterminer le profit de chacun. Il se rendra alors compte que la source de l’envolé des prix est le résultat de l’archaïsme des circuits de distribution, de l’inflation importée comme toute économie déstructurée et dépendante de l’étranger et enfin notre patate est victime des petits spéculateurs qui profitent de la léthargie d’une administration adepte de la fameuse loi de l’économie dite du "laisser faire le marché". Et pour impressionner son monde, "nos" fonctionnaires nous renvoient à la loi de l’offre et de la demande reprise par quelques journalistes ignorant de la chose. Cette règle devenue sacrée aux yeux de certains n’est en réalité qu’une vision de l’économie pour le moins légère, une vision qui ferait bondir dans sa tombe le père de l’économie capitaliste Adam Smith (1).

Passons de la patate au cinéma qui souffre du même bavardage pour justifier la torpeur pour ne pas dire l’agonie de cet art. Ainsi A chaque festival chez nous, on explique cette agonie par un nouveau prétexte. La descente aux enfers selon nos spécialistes serait due à l’absence de scénario, puis de studios, enfin de salles de cinéma fermées depuis l’indépendance et dernière trouvaille pour régénérer le cinéma et le sauver, la construction de salles multiplexes. Ainsi pour amuser la galerie, à chaque fois, on fait appel à un nouveau ‘’médecin’’ qui lui prescrit un nouveau médicament pour le sortir de sa léthargie. Or le "le cinéma est un art et par ailleurs une industrie", donc un ensemble où se greffent des sous-ensembles nécessaires à son fonctionnement. Où est donc cette armée d’artistes, d’intellectuels, de techniciens, de comédiennes et comédiens ? Où sont ces capitaux privés ou publics qui s’investissent dans des films en évitant le bricolage et les tournages qui s’éternisent ? Et quand bien même ces deux conditions sont réunies, encore faut-il créer une atmosphère dans la société qui donne envie aux gens d’investir et de s’investir dans l’art. Je pense évidemment à la liberté de création qui souffre d’une bureaucratie étouffante et à l’intérieur de celle-ci des petits marquis qui ont leurs listes où l’on note les favoris et les "emmerdeurs" qui peuvent poser problème.

Et quand le courageux et patient cinéaste arrive au bout de son parcours de combattant, il lui faut encore affronter les pesanteurs et les tabous d’une société. Ainsi un film où la présence de l’alcool, de scènes de "séductions" (je m’auto-censure) entre hommes et femmes, ou simplement des dialogues qui prennent un peu de liberté avec le sexe ou la religion, le cinéaste verra une levée de boucliers quand il n’est pas menacé par une pseudo "fetwa" d’un hurluberlu qui s’autoproclame gardien de la parole divine.

Il faut donc sérieusement se poser les raisons de cette descente aux enfers. Le pays a produit des films dont nous n’avons pas honte. Il y avait des scénaristes (Mourad Bourboune, Tewfik Farès), des directeurs de la photo comme Dahou Boukerche et Sahraoui- qu’ils reposent en paix-) des cinéastes et comédiens. Que s’est-il passé pour que tout ce monde se retrouve de l’autre côté de la Méditerranée ? Des films dont on peut être fiers ont été réalisés à une certaine époque, alors qu’il n’y avait pas plus de studios ni de véritables salles de cinéma et encore moins des multiplexes que l’on veut nous "vendre" aujourd’hui. Que s’est-il donc passé ? C’est ce qu’il faut expliquer et ne pas se cacher derrière ses petits doigts pour garder une place au soleil.

On connait l’histoire des multiplexes et leurs néfastes effets sur les petits films indépendants. Suggérer leur construction en Algérie fait partie de ces fausses bonnes nouvelles qui entretiennent les bavardages. Des bavardages surtout en ce moment où les finances sont asséchées. De plus quand on lit l’interview d’un responsable de la culture (2) qui nous apprend qu’ils ont été obligés de délocaliser des techniciens d’Alger pour faire fonctionner la salle Ahmed Bey de Constantine, on se dit que les multiplexes ne sont pas pour demain. Personnellement, mon opposition à ce genre de salle est motivée par un désir et l’espoir de voir les petites villes et les quartiers des grandes villes sortir de leur torpeur. Il vaut mieux restaurer et rénover les salles existantes en inventant de nouvelles façons d’attirer le public.

Commencer par ne pas "nstitutionnaliser" des guettos propres aux femmes et aux hommes. Impulser plutôt de véritables lieux de rencontre où l’on vient pour échanger après un spectacle et non pour consommer une œuvre comme on avale un sandwich et rentrer chez soi. Comme je ne veux pas tomber dans le bavardage que je dénonce, je sais que mon désir de voir émerger des lieux d’animation et de rencontre demande du temps. Ce n’est pas pour demain si l’on se réfère au délire d’un ‘’médecin’’ qui veut interdire la mixité à l’école, un endroit censé détruire les murs des prisons mentales. Donc assez de bavardages et regardons nous dans un miroir qui nous dirait ce qui ne va pas avant de sortir dans la rue et se confronter aux regards des autres…..

Ali Akika, cinéaste

Notes

(1) Adam Smith (1723/1790) reconnu comme un classique de l’économie politique mais minoré par la suite par certains qui refusaient sa théorie sur le travail, source de la plus-value qui a permis à Karl Marx de cerner le socle sur lequel repose l’économie capitaliste.

(2) Lire l'inverview dans El Watan du responsable de la culture a propos de la salle Ahmed Bey de Constantine.

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