Contestation sociale et société civile : à quand la fin de la confusion des genres ?

Le pouvoir achète clientèles et soutiens pour faire bonne figure.
Le pouvoir achète clientèles et soutiens pour faire bonne figure.

La grève générale et les émeutes par lesquelles a été "inaugurée" l'année 2017 à Béjaïa et dans d'autres wilayas du Centre, ont, une nouvelle fois, donné lieu à toutes sortes de manœuvres politiques, à commencer par cette recherche effrénée, de la part des institutions administratives locales et centrales, d'une improbable intermédiation sociale, en convoquant invariablement ceux qu'elles appellent les "notables" et/ou les "sages".

À force d'être reconduit et répété à chaque fois que l'on juge que l'ordre public est perturbé et que les canaux de communications sont rompus, ce procédé s'attire inévitablement une curiosité, mais qui s'émousse au fil des ans, lorsqu'on aura découvert tous les fils qui font bouger les marionnettes. Cependant, le jeu continue apparemment à l'infini, assignant à ces corps informes, que l'on convoque pour "sauver" la paix sociale, un rôle que l'on dit être celui de la société civile. Voici un vocable, un principe, dont l'administration, les médias lourds et le pouvoir politique usent et mésusent à volonté, sans prendre conscience ni se préoccuper de la dérive sémantique d'un tel mélange de genres. Par ce genre de pratiques, on n'hésite pas à former ex nihilo une "société civile" ad hoc, c'est-à-dire, faite juste pour résoudre le problème immédiat qui est posé (la grève, par exemple), sans intention ni possibilité de lui donner un prolongement durable ou une consistance sociale quelconque. Il s'agit, en fait, de sauver l'ordre public, lequel, en grande partie, est menacé par le déficit de communication et de concertation, et par la volonté de tenir à la marge la…vraie société civile.

Cela s'est vérifié un peu partout au cours de ces dernières années (Ghardaïa, Ouargla, Touggourt, In Salah,..). L'exigüité et les limites dans lesquelles on a voulu contenir les organisations et les collectifs de la société civile, ont laissé place à des kermesses rentières, lorsque l'argent coulait à flot, et à un vide sidéral lorsque la rue gronde et laisse exploser sa colère. C'est dans ce genre de situation, lorsque les responsables politiques et administratifs se trouvent débordés et isolés que se déploient tous les efforts pour ranimer de vieux archaïsmes consistant en la mobilisation, au pied levé, de douteuses "notabilités" et factices "sagesses".

Cette forme de mouvement interlope, de mobilité frénétique, de tentation de rassemblement, contraste totalement et étrangement avec l'état de dangereuse apathie dans laquelle est plongée la mobilisation citoyenne autour des objectifs de la construction de la société civile, à commencer par des simples associations de quartier, de village ou d'immeubles, jusqu'aux associations culturelles, professionnelles de grande envergure. Il se trouve que les quelques associations ou collectifs, ayant plus ou moins respecté une partie des principes et des objectifs sur lesquels ils ont été fondés, ont été ou "noyautés" ou vidés de leur substance par une espèce d'attraction clientéliste.

Même le très officiel Conseil national économique et social (CNES) n'a pas pu s'empêcher de faire le constat de la vacuité et de l'inanité du champ associatif algérien, lors des assises qu'il a tenues sur la thématique de la société civile en 2011, dans le sillage du début de la contestation charriée par le Printemps arabe. Lorsque les jeunes Algériens descendirent dans la rue pour dresser des barricades et brûler des pneus en janvier 2011- manifestations "labellisées" alors d'émeutes de "l'huile et du sucre"-, des sociologues et des hommes politiques ont été contraints de revisiter les théories de la communication, de la psychologie des foules et de l'encadrement politique pour espérer expliquer un phénomène qui semble pourtant inscrit dans la durée. Le décompte auquel procèdent chaque semestre et chaque année les services de sécurité en matière de protestations de rue, d'émeutes et de fermeture de sièges de mairies et d'autres services publics, interpellent de façon expresse les responsables gouvernementaux et toute la classe politique, si tant est que ce terme désigne encore une quelconque réalité ou entité tangible.

Cependant, la posture du pouvoir politique est, sur ce plan, des plus ambigües. On fait presque tout pour que les mouvements de contestation ne soient pas encadrés par les partis politiques, les syndicats, les organisations professionnelles,… Mais, on feint de déplorer l'anarchie et le déficit de structuration de ces mouvements. Le sociologue Nacer Djabi semble avoir touché du doigt le cœur de cette problématique, en déclarant au journal El Watan, à propos de la grève et des manifestations de Béjaïa du début janvier, que "l’émeute ne menace pas le système, elle lui sert de fortifiant". Dans un laborieux effort de communication institutionnelle tardive et maladroite, les responsables s'"emmêlent les pinceaux" et rivalisent de surenchères à propos de ces "mains étrangères" qui rempliraient les interstices laissés par l'effilochement ou l'effondrement programmé de la société civile. En quelque sorte, on a crée le néant spécialement pour faire semblant de le déplorer par la suite, et de lui trouver des occupants d'un autre genre: les "sages" et les "notables".

Cependant, le vide culturel et organisationnel laissé par l'effacement ou l'affaiblissement de la vraie société civile, risque de coûter cher à la société tout entière sur les plans de l'accès à la citoyenneté, de l'instauration de la modernité politique et du développement socioéconomique du pays.

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (5) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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adil ahmed

bien

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