La commémoration du 22 mai 1945 à Melbou passée inaperçue

Timide commémoration de cette journée noire de mai 1945.
Timide commémoration de cette journée noire de mai 1945.

La commémoration du terrible rassemblement du 22 mai 1945, à Melbou, commune côtière à l’Est de Béjaia n'a pas marqué les esprits. cette année. Pourtant l'événement mérite d'être connu et rappelé. Faute de temps, d’organisation et de communication, elle a eu lieu un jour avant. Ce qui a d’ailleurs suscité des interrogations.

L’association Afalou Bourmel et la section locale du FFS (Front des forces sociales), se sont mis en collaboration pour célébrer ce jour terrible et humiliant resté gravé à jamais. Un certain mardi 22 mai 1945, ou les hauts responsables de l’armée française, à leur tête le général Duval, ont regroupé toute la population de la région Est de Béjaia au lieudit ‘’Takhelouith El Marsa’’, sur la plage de Melbou pour subir un discours d’intimidation.

Tôt dans la matinée de jeudi 21 mai, la foule composée de quelques femmes maquisardes, accompagné de jeunes et d’enfants, a procédé au dépôt d’une gerbe de fleurs au cimetière du 8 mai 1945. Hormis ces quelques hommes et femmes et quelques figures politiques du FFS, aucun autre élu ou personnalité historique n’a honoré de sa présence.

Une marche commémorative a été observée jusqu’au siège de l’APC de Melbou, dans un décore non festif. Des banderoles affichées, des youyous lancés par des moudjahidate qui tiennent l’emblème national. "L’essentiel c’est de marquer l’événement", dira une députée.

Discorde politique

La plupart des militants de partis politiques ont été quelque part choqués par l'organisation de cet événement un 21 mai au lieu du 22 mai. En fait, ceux-ci, voire même les militants du FFS crient à la récupération, et accusent la députée Djenane Baya de "vouloir s'accaparer à elle seule le droit de fêter cet événement historique". "Nous attendions des invitations de l'APC de Melbou, comme ça s'est toujours fait pour les dates historiques, mais cette année, ça semble qu'on veut pas de nous. Cette députée à tout fait dans la discrétion. Dans sa page Facebook, la députée a annoncé l’événement pour le 22 mai, ce qui semble confirmer la thèse de complot", peste un citoyen.

Mme Djenane nie toutes les accusations. Nous l’avons contacté. Elle n’a pas hésité de tirer sur les élus locaux. Elle les accuse de ne pas s’intéresser à l’événement. "J’ai fait tout mon possible pour réussir l’événement mais nos élus ne s’intéressent pas. Une seule main ne peut pas applaudir", déclare t-elle.

Interrogée sur l’absence des élus, du wali et d’autres personnalités politiques et historiques Mme Djenane dit "avoir distribué les invitations le 19 mai au directeur des Moudjahidine de Béjaia au nom de l’association Afalou Bourmel. J’ai appelé le P/APC en personne sans réponse", dit-elle.

"J’avais l’intention d’inviter M. Bouchachi et l’association 8 Mai 45, et d’autres personnalités mais j’ai eu un empêchement. Je devais assister au conseil national qui se tiendra le 22 mai. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous étions obligé de célébrer l’événement un jour avant", explique t-elle encore.

"Les politiques ne veulent pas comprendre qu’il y a des actions, des événements et d’autres occasions qu’on doit mener ensemble. Dommage, chacun veut travailler seul», regrette Kamel Bouchoucha, ex-député RND avant de confirmer qu’il n’a même pas été contacté.

Date inoubliable !

Toute la population de l’Est de Béjaia se souvient de cet événement ayant coûte la vie à une douzaine de moudjahidine. Des anciens maquisards nous racontent ces faits douloureux. La boule au ventre, les images encore claires, ils nous font plonger dans l’obscurité d’une journée terrible.

Un rassemblement unique à plus d'un égard dans toute l’histoire de l’Algérie contemporaine, survenu 14 jours après la sanglante répression du 8 mai 1945. Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants issus des douars d’Aokas jusqu’à Amoucha (ville frontière avec la wilaya de Sétif), ont été réunis tous ensemble à la plage de Melbou.

“Tout a commencé aux environs de 4h. L’armée française a dévoilé toute sa force pour nous rassembler tous et toutes au même temps et lieu. On n’avait même pas le temps de s’habiller correctement. Il y’avait des gens qui sont venus pieds nus. Moi, j’avais 6 ans. J’étais avec ma mère enceinte et elle avait avec elle ma petite sœur de 4 ans. Nous avions peur et avions faim», nous raconte Ima El Khamsa (76 ans) de Boulezazène.

"Des caïds et bachaghas nous ont forcé à cheminer tout le trajet à pied. On ne savait pas ou nous allions. Aucune réponse à nos questions. Ceux qui habitent loin à Kherrata par exemple, ont été transportés dans des camions de l’armée. D’autres n’ont pas eu cette chance. Ils ont parcouru plus de 60 km. Certains ont fini dans les ravins et d’autres ont été torturés en chemin. Les plus proches sont déjà regroupés sur la plage dans un froid glacial. Nous étions à côté des rochers. Je me souviens que tout le monde récitait la chahada mais je ne comprenais pas pourquoi. Ma mère refusait de m’expliquer", témoigne-t-elle avant de confier qu’elle n’a jamais été sollicitée par des élus pour venir témoigner sur l’histoire de cette journée.

Le 22 mai 1945, des généraux et autorités coloniales française devant la population.

"Une fois sur les lieux, un terrain plat, poursuit la vénérable femme, nous avons constaté que nous n’étions pas les seuls. Un grand soulagement mais la peur ne nous quittait pas. Il y avait une vingtaine de camions, des bateaux au large et des avions qui nous survolaient. Ça affluait de partout. Des hommes et des femmes qui arrivaient de loin et d’autres qui descendaient des camions.

Sur un talus qui domine le lieu du regroupement de la population, sur la route des falaises (actuelle RN43), s’étaient regroupés les responsables de l’armée française (le général Duval, arrivé en bateau). C’est de là que le général Duval a lancé son discours avant qu’il nous fasse voir une démonstration de l’armée», témoigne Ami Ahmed (83 ans), de Boulezazène.

Le discours portait sur la grandeur de la France. Le général Duval voulait montrer la puissance de l’armée française et son pouvoir. "Nous avons des chars, des avions et des bateaux. Comment comptez-vous réagir à toute cette force», lance-t-il avant de les informer que le général de Gaulle venait de surseoir à sa décision d’exécuter tout le monde. "Heureusement pour vous que le général de Gaulle vient de vous libérer. Il vous a pardonné !"

Les habitants ont quitté les lieux avec la peur au ventre. Soulagés, affamés et fatigués du trajet, ils rejoignent leurs domiciles à pied. «Des femmes enceintes ont accouché à même la plage», témoigne un maquisard.

Il y avait des massacres et des viols de femmes. Les maquisards parlent de l’assassinat de 12 personnes au niveau des falaises. Ils ont été jetés dans la mer, selon des témoins. D’autres ont été retrouvés au bas du ravin de Caâbat Lakhra à Kherrata. Des villages de Ziama jusqu’à Aokas ont été bombardé.

Des jeunes confondent, d’autres ignorent l’événement

Faute d’événements culturels pour expliquer cet événement historique, ni de conférences et autres moyens de communication, la nouvelle génération semble carrément ignorer l’histoire de sa région. Nous avons interrogé des jeunes de tout âge. Presque tous ignorent ce « terrible mardi». Parmi les lycées, 2/5 connaissent l’événement. Amine, un jeune lycéen préparant son BAC dit «ne pas connaître cette date». Idem pour Dihia, une jeune lycéenne. Elle renvoie la cause aux responsables qui n’ont pas pensé programmer l’enseignement de tels événements historiques.

Nassim, un jeune ayant quitté les bancs de l’école au CEM, confond quant à lui entre les événements du 8 mai 1945 et ceux du 22 mai 1945. "L’armée française a tué plus d’un million de citoyens à Kherrata, Galma et Sétif", déclare-t-il. "Je crois que la population a marché pacifiquement, ce jour-là", dira Nabil à tort. Un autre jeune avoue : "Je ne sais pas". "Je sais qu’il a eu un rassemblement mais je ne sais pas ce qui s’est passé exactement", ont reconnu d’autres jeunes citoyens.

Nous nous sommes rapprochés des étudiants et d’universitaires. Il semble aussi qu’ils n’en connaissent pas l’histoire. "C’est le rassemblement des habitants de toute la daïra sur la plage de Melbou afin de les exécuter tous avant d’écouter le discours du général Duval. C’est tout ce que je sais", dira Bilal, un universitaire.

Mouloud, fonctionnaire, avance que l’événement a eu lieu sur la place dite Yema Melbou et non à Takhelouith El Marsa. Pour lui : "C’est le jour où la population (de Kherrata jusqu’à Melbou) a été regroupée par les colons à la place dite yema Melbou pour un moment d’intimidation et de soumission. La date du 22 mai 1945 représente donc un événement historique inoubliable pour les habitants de la région Est de Béjaia".

Evénement "orphelin", sans stèle commémorative

Les élus locaux estiment que l’événement devait être reconnu par l’Etat qui doit prendre toutes les mesures pour faire de cette date un événement reconnu mondialement.

Pour M. Derguini Boubkeur, ex-député RCD, l’événement est "un peu orphelin". "Il n’a pas sa part de médiatisation en terme de faits et d’événements historiques ayant marqué la fin de la répression de mai 1945, mais aussi une démonstration de force", déclare t-il. "Le rassemblement forcé du 22 mai consistait à réaffirmer le reniement des engagements des Français".

Mme Djenane Baya dit avoir plusieurs fois proposé une place historique du 22 mai, reconnue, à Melbou. Cela n’a pas encore eu lieu. Takhelouith El Marsa, lieu historique situé à 300 mètres du chef-lieu communal reste "déserte".

"J’ai déjà proposé l’idée d’ériger une place à Melbou au directeur des moudjahidine de Béjaia. Il était d’accord. Mais Il faut une volonté sérieuse qui manque pour le moment", nous confie Baya. "C’est difficile d’arriver à faire des choses avec la mentalité de nos élus", regrette-t-elle encore en faisant allusion au RCD. Il est important de rappeler qu’on 2009, le 22 mai a été triplement célébré par le RCD à la tête de l’APC et le FFS qui n’a pas eu accès au cimetière. Kamel Bouchoucha, ex-député RND, lui opte plutôt pour un petit musée historique communal (MHC). Celui-ci servira au même temps d’archives historiques de la région.

Reportage réalisé par Mounir Outemzabt

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Commentaires (2) | Réagir ?

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algerie

merci

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klouzazna klouzazna

C'est principalement pour toutes ces raisons qu'il faudrait permettre aux académies d'inclure dans les programmes scolaires d'histoire et de littérature au niveau de chaque région sa page de gloire, ses grandes personalités, leurs oeuvres et surtout ses grands héros !!! l'oubli est une seconde mort (SIC) !!!