Personne ne fera taire le poète

Kateb Yacine un écrivain qui pourfend la censure.
Kateb Yacine un écrivain qui pourfend la censure.

Aux ennemis de la liberté qui veulent nous empêcher d’écrire.

Par Karim Akouche

Il y a des écrivains qui libèrent et ceux qui emprisonnent. Quand j’étouffe, gagné par le chagrin ou le doute, il me suffit de lire quelques feuillets de Don Quichotte, Ainsi parlait Zarathoustra, Cent ans de solitude ou Voyage au bout de la nuit et me voilà soulagé, revivifié, comme ce tournesol oublié par le jour qui reçoit soudainement au crépuscule sa dose de lumière. En revanche, le fait d’ouvrir le livre d’un auteur, dont je sais d’emblée qu’il a un style étriqué, me procurera une sensation de déprime.

L’écriture doit être l’exercice qui libère l’esprit. Elle est le contraire de la contrainte. Si l’écrivain se soumet à celle-ci, il produira des textes ampoulés et boiteux. Le lecteur le sentira dès les premières lignes. Rebuté, il fermera non seulement le livre, mais également son cœur.

L’écrivain qui pratique l’autocensure est un semi-écrivain. Il affectionne les lieux communs. Il prend toutes les précautions pour ne pas blesser ses lecteurs. Il aime les caresser dans le sens du conformisme. Il adapte ses paroles en fonction de son auditoire. Sacrifiant son éthique, il n’hésite pas à fouler aux pieds la plus fondamentale des valeurs : la liberté. Ce faisant, il assassine la vérité. À cet égard, il doit être banni de la «communauté des poètes».

L’écrivain ne doit pas écrire pour plaire. Il ne doit surtout pas avoir peur de déplaire. Il doit jouir totalement de la liberté que lui procurent sa plume, la solitude, la paix des forêts. Il ne doit obéir à personne, sauf à ses mots, à sa musique intérieure, à son intuition, à ses révoltes. Son métier est d’esquisser les contours vagues de l’être. Son rôle est de déchirer le voile du silence. Son art est de composer la complainte de ses longues nuits blanches ou obscures.

L’écrivain est un agitateur des mots. Il est le gardien de la libre parole. Rien ni personne ne peut le faire taire. Il a le droit de secouer les endormis, de heurter les belles âmes, de choquer les bonnes consciences.

Écrire, c’est peindre les yeux fermés. Écrire, c’est tremper son pinceau dans l’encre, dans du café, dans des larmes, dans la boue, dans du foutre, dans du sang. C’est selon l’alchimie du moment. C’est selon le rythme du pouls. Si l’on trouve l’homme beau, qu’on le fasse comme le David de Michel-Ange. Si on le découvre violent, qu’on s’inspire de Caligula et d’Ubu Roi.

L’homme est un caméléon. Il peut être lourd, léger, misérable, lucide, sadique, doux, enfant, fou. Les adjectifs s’opposent et se neutralisent en lui pour enfin démontrer qu’il est d’une insignifiance et d’une légèreté qui frisent la bouffonnerie. L’écriture consiste précisément à capter ces humeurs changeantes, à les fixer sur des toiles complexes, à les faire passer dans des labyrinthes glauques.

L’art naît de l’incessante danse de l’être humain sur ses ruines. Celui-ci rêve d’incarner Dieu, mais finit toujours par habiter le Diable. Étrange dilemme d’un animal qui échappe à la logique. Étrange marche d’un mortel qui se prend pour l’éternité. Étrange machine qui complique les idées et les choses.

La quête de l’écrivain doit être l’art et non la raison. C’est l’esthétique qui précède le discours. C’est le discours qui s’efface devant le flot des images. L’art qui blesse et non la raison qui dicte. L’art qui fascine et non la raison qui calcule. L’art qui taquine et non la raison qui affecte.

Écrire, ce n’est pas convaincre. Écrire, ce n’est pas prêcher. Écrire, c’est dénoncer la tyrannie de la pensée unique. Écrire, c’est tenter de comprendre. Comprendre, c’est chercher des réponses à des questions qui n’en ont pas forcément. Comprendre, c’est essayer de capter la vérité qui fuit. En Haïti, on dit que la vérité est comme la fumée, elle finit toujours par trouver une issue. La vérité de l’écrivain ne doit pas être un slogan que l’on fixe au fronton des Églises et des Cours de justice. La vérité de l’écrivain est une idée inachevée, sans cesse recomposée et sans arrêt remise en cause, comme ce forgeron qui s’obstine à rendre parfait un bijou fétiche, refusant d’admettre que la perfection est mirage.

Écrire, c’est interroger son cœur qui bat. Écrire, c’est se murmurer des mélodies fragiles. Écrire, c’est dessiner les fantômes qui hantent l’enfant que l’on n’a jamais cessé d’être. Écrire, c’est planter un scalpel dans sa chair pour en sentir la douleur. Écrire, c’est coudre ses blessures avec la pointe de son stylo. Écrire, c’est saisir les failles de l’histoire qui triche. Écrire, c’est noyer le mensonge dans le fleuve absurde de la vie. Écrire, c’est insuffler de la chaleur dans le cœur glacé des hommes.

Écrire, c’est répandre la lumière sur les yeux aveugles du monde.

K. A.

Ecrivain

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Commentaires (8) | Réagir ?

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Massinissa Umerri

"...

Écrire, c’est coudre ses blessures avec la pointe de son stylo. Écrire, c’est saisir les failles de l’histoire qui triche. Écrire, c’est noyer le mensonge dans le fleuve absurde de la vie. Écrire, c’est insuffler de la chaleur dans le cœur glacé des hommes.

... "

A la gare du nord - "Attention, attention: les passagers a destination de Gancourt, sont prie's de ne pas charabier en francais ! - Bon voyage. "

Wella, wella j'ai ecrit 267 pages - et quand il est devenu bien compact, ou comme on dit en Anglais "tight", je l'ai brule' he'e'e'e'e'ee'.... Ou comme dit Michael Jackson - "l'homme du mirroir est sorti ! Huuuuuhhhhhh..... Ayemaaaaa !!!"

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Massinissa Umerri

Je deteste faire ceci, mais il faut bien.

"... Son métier est d’esquisser les contours vagues de l’être... "

Un metier est necessairement une contrainte, car il contraint le recpteur de l'ecrit a une obligation, en terme de temps, d'attention ou tout simplement d'argent - "car dit-on, time is money ! " -Mais surtout, quand on vent ses fantasmes sur papier.

Ne pas ecrire pour les autres, n'est rien d'autre que de la masturbation mentale - Et ecrire aux autres, sans en tenir compte, est une tricherie.

"... Son rôle est de déchirer le voile du silence. Son art est de composer la complainte de ses longues nuits blanches ou obscures... "-Voyons, si c'est l'obscurite' ou l'obscurite', alors c'est tout... Et du coup, "... la complainte de ses nuit - STOP - "suffira. Une des choses que j'ai apprise, chez les bons peres est la lecture melodique - Un silence final, s'impose, juste le mot nuit. Si une ponctuation autre que le point est introduite, alors une idee ou complement bien forme' s'impose. Voyons, c'est pas l'heure du jour qui fait qu'on soit de jour ou de nuit - en fait, on qu'il FASSE jour ou nuit. La nuit signifie bien un degre' d'obscurite' - Je suppose que vous voulez dire "des nuits tourmente'es".

"... Il est le gardien de la libre parole... " - Une parole guarde'e est une parole emprisonne'e - C'est comme la femme !

Mr. Karim, ecrire c'est comme la musique - Le silence pese son poids.

"... Rien ni personne ne peut le faire taire. Il a le droit de secouer les endormis, de heurter les belles âmes, de choquer les bonnes consciences... "

Il y a une difference entre ecrire a son journal prive', comme le font toutes les adolecentes et, adresser le publique comme le font les politiques - La vie publique et son sommeil de mort, emerveille' de fantasmes ou, agite' par des cauchemards, a son rythme et ses protocoles, c. a. d. son ethique - ou ce que les Anglais appelent "public trust. " (je ne connais de foormule reciproque en francais).

Kateb Yacine et ses ecrits sont conformes a l'etique - Il revele une verite' soutenue par une realite'. Quelque chose du genre "Savoir", "comprendre" et connaitre, c. a. d. etre au courant de quelque chose, avoir le don d'en construire une rationale et, l'avoir vecu ou palpiter de pres (ce quelque chose).

Constat: Quel boutton avez-vous touche' ? Celui de 4 heure du matin, ou l'appel du chacal du quartier, qui a perturbe' tous mes phantasmes d'adolecent - Achaque fois, c'etait juste au moment ou Lila allait dire "Moi aussi. " - Alors un jour, j'ai immite' les aine's - j'ai foutu la cassette de Mireille Mathieu (que Lila aimant tant) a la place de l'appel au "secouement" (des endormis) - et biensur, dans l'espoir que Lila me rejoigne dans mon sommeil feerique - Mais non ! Le droit de MRDer sur le comfort des autres, m'a valut une fetwa !

Et du coup, le casse-tete est "l'ecrivain, a-t-il ou pas, le droit d'avoir peur ?"

Si la repons est non, pourquoi vous justifiez-vous donc ?

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