J’ai mal à mon pays, particulièrement à ma Kabylie

Nos douleurs s’éveillent à chaque nouveau malheur, et se font chaque fois plus insoutenables.

La dernière en date : la mise à mort d’un ressortissant français en application des imprécations de l’épouvantail El Baghdadi ne fait pas exception. Elle me fait mal à mon pays et, plus particulièrement, à ma Kabylie. Elle vient après cette douleur, toute récente, de jeunes djounouds cisaillés par la mitraille sur l’autel d’une élection sordide. Une énième douleur qui s’était ajoutée à tant d’autres, si nombreuses, accumulée le long d’une guerre vidée de sens et d'historicité.

Djaafar et Kamel tués à l’intérieur d’un lycée ; ces permissionnaires du service national dont la famille, les amis et les voisins ont ratissé des vallons escarpés dans l’espoir de pouvoir enterrer autre chose que trois têtes ; Mebrouk Ait Slimane qui, pour préserver ses amis, tombés avec lui sur un faux barrage, cacha son arme et se laissa prendre par ses tortionnaires et assassins ; Hassen Oukaki, Malek Mouffok, Malek El Hadj, tombés à la fleur de l’âge comme tant de policiers, de gendarmes et de militaires. Rachid Tigziri, Tahar Djaout l’immortel, Rabah Stambouli ; Belghazli Achour, Nabila Djahinine, la passionaria, et d’autres militants, poètes, journalistes, … et d’anonymes : des institutrices, des mères, des vieillards, des nourrissons,… Il y a tant et tant de douleurs qui nous habitent, même celles des miraculés qui ont échappé à cette furie qui est notre lot depuis un quart de siècle, qu’enfin (?) tous découvrent comme une abjecte barbarie…

Dans leur amoncèlement ces douleurs ne se confondent pas, chacune garde une place entière…

Celle d’aujourd’hui, aussi, est particulière. Certainement par l’exposition médiatique à laquelle elle soumet mon pays et ma région ? Mais pas seulement. Bien qu’Il y ait eu, ces 48 dernières heures, de nombreux apprentis candidats à jouer les "Rivoire" et les "Burgat", à partir à "la découverte" du complot qui tendrait à discréditer la "troisième phase" de l’éveil des peuples anciennement colonisés, une faune irrémédiablement contaminée par le "qui tue-quistes", cette maladie honteuse et incurable, mon propos n’est pas de m’arrêter à cette abjecte déviation. Il est préférable d’aborder des questions plus significatives.

Hervé Gourdel, semble s’être rendu dans le Djurdjura en vue d’identifier des itinéraires à proposer à de potentiels clients[1]. Peut-être que ses amis lui ont présenté la région comme un havre de paix promis à de prospères affaires ? Cette perception existe chez de nombreux concitoyens. D’autant que la propagande officielle sur «les succès de la concorde civile» nourrit généreusement l’illusion. Les capitales occidentales aussi ne sont pas en reste dans les éloges de cette politique qui prétend "domestiquer" (sic) les djihadistes et dompter l’islamisme (re sic). Aux yeux de ces capitales, Alger, a regagné une place de «partenaire» à la hauteur de ses liquidités. Ce ressortissant français peut être considéré comme une victime de ces illusions saluées, entre autres, par son gouvernement.

Cette propagande n’exclut pas, par ailleurs, l’application de théories qui prônent la possibilité de maintenir des poches «résiduelles» de Djihadistes en Kabylie avec la prétention de pouvoir contenir leur action en deçà d’un certain seuil de nuisance ; seuil qui est celui du parasitage de cette région frondeuse. À ce moment, Hervé Gourdel apparaît comme une victime "collatérale" de vils calculs politiciens qui n’offusquent pas outre mesure Paris, Washington et autres centres décisionnaires qui, hier, avaient jeté des ponts avec les islamistes algériens qu’ils croyaient aux portes d’El Mouradia ; comme ils se refusent à les rompre avec la nébuleuse des frères musulmans ou à dénoncer le double jeu des pétromonarchies du Golf qui font Daesh, en sous mains, et s’affichent dans la coalition qui le combat.

Les djihadistes d’aujourd’hui ont gagné leurs premières batailles lorsque le pouvoir mitterrandien envisageait l’arrivé du FIS au pouvoir et que Washington couvait un chef terroriste comme atout futur dans le jeu d’influence sur les régences vassales. Pas même l’impact sur ses banlieues n’a fait douter la France. Il serait intéressant de connaître le chiffre des islamistes qui ont bénéficié de l’asile politique et qui, depuis, sont devenus "Français" et de les mettre en rapport avec le modeste nombre d’asiles territoriaux accordés aux démocrates… comment dès lors s’étonner de la prolifération des Merah et autres Nemmouchi…

Je reviens à mes douleurs, El Watan nous apprend que Gouri Abdelmalek, l’assassin en chef du défunt Hervé Gourdel, est originaire de Si Mustapha, je repense à mon camarade Salah Badir écorché et suspendu à un pont enjambant l’autoroute à hauteur de Thala ‘Icha (Thénia), je répense à Moumouh et à tous ceux qui ont péri en faisant face à la bête immonde.

Nos douleurs sont nombreuses ; elles ne se tairont qu’avec notre trépas. Le temps de leur amoncellement n’est pas encore révolu. Les victimes reposeront en paix, lorsque la démence et les calculs sordides seront déjoués.

Paix à l’âme d’Hervé Gourdel…

Mohand Bakir

[1] Sur facebook, Hervé Gourdel écrivait : «... si je rentre !»

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Commentaires (6) | Réagir ?

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Quelqun EncoreQuelqun

Dernière dépêche: il parait que l'organisation Ni Putes Ni Soumises aurait appelé à manifester pour la dénonciation de ce crime barbare. Quand je vous disais que tout est bon pour essayer de faire du bruit; même la mort d'un innocent !

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mohand tawdect

Ainsi la manip est partout, aussi bien chez les uns que chez les autres d'ici et de là bas. Elle cessera son action néfaste lorsque les esprits, qui furent rationnels, se réapproprieront leur culture dynamique défendue par des armes salvatrices ; on a pris soin de désarmer la Kabylie avant de la clochardiser !

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