Accord d’association Algérie/Europe: explications sur les pertes fiscales

La production nationale ne fait pas le poids devant la concurrence des produits de l'UE.
La production nationale ne fait pas le poids devant la concurrence des produits de l'UE.

Afin de freiner les réformes nécessaires que se proposent d’engager le gouvernement, lors de la récente rencontre à l’APN en ce mois de juillet 2014, à l’initiative du PT et de l’UGTA, certains participants versant dans la sinistrose, ont avancé que le Trésor a enregistré un manque à gagner important depuis l’application de ces accords du fait de la levée des tarifs douaniers de 2005 à fin 2013 de 8 milliards de dollars. L’objet de cette contribution est de poser objectivement les impacts de ces Accords loin des débats stériles, sans analyses réalistes, relevant d’une idéologie dépassée.

I.- Les principaux axes de l’Accord

Il s’agit d’éviter des déclarations hâtives et de calculer toujours à prix constants et jamais à prix courants car n’ayant aucun sens économique. L’on doit tenir compte de l’évolution de la cotation du taux de change du dinar, (une dévaluation rampante contrebalançant la baisse de l’imposition de certains produits soumis aux dégrèvements tarifaires), uniquement des produits soumis à la baisse de tarification qui est dégressive, et non linéaire, du contexte économique, social et politique global et des nouvelles mutations mondiales. Quels ont les principaux axes de l’Accord ? D’abord, - les produits industriels devraient subir progressivement un dégrèvement tarifaire allant vers zéro horizon 2020 ; l'interdiction du recours à la «dualité des prix» pour les ressources naturelles, en particulier le pétrole (prix internes plus bas que ceux à l'exportation); l'élimination générale des restrictions quantitatives au commerce (à l'import et à l'export); obligation de mettre en place les normes de qualité pour protéger la santé tant des hommes que des animaux (règles sanitaires et phytosanitaires). Avant de se lancer dans des unités pétrochimiques ou unités fonctionnant au gaz destinées à l'exportation, nécessitant des dizaines de milliards de dollars d'investissement sur fonds publics, si l'on veut éviter des problèmes avec les structures européennes et américaines à la concurrence qui peuvent interdire l'entrée de ces produits au sein de leur espace, il ya lieu résoudre le problème de la dualité du prix du gaz, et d'une manière générale les subventions ; les normes qualités aux standards internationaux; l'obligation d'observer les règles de protection de l'environnement; la libre circulation des capitaux, supposant d'assouplir la règle des 49-51% ; la protection de la propriété intellectuelle, les pays membres s'engageant à combattre le piratage donc la sphère informelle ; et enfin les relations de partenariat entre les deux parties seront basées sur l'initiative privée.

II.- Les importations en provenance d’Europe

Pour le volet commercial, les importations en provenance de l’Union européenne sont passées de 8,2 milliards $ US en moyenne annuelle avant la mise en œuvre de l’Accord d’Association (2002 à 2004) à 24,21 milliards $ US en 2011, à 26,33 milliards de dollars en 2012(52,27%) et à 28, 582 milliards de dollars en 2013 (52,11%) selon les statistiques des douanes. Les exportations vers l’Union européenne sont passées, en moyenne annuelle, de 15 milliards de $ US, entre 2002 et 2004, à 36,3 milliards de $ US en 2011 – essentiellement pétrole /gaz ont été de 39,797 milliards de dollars en 2012 (55,38%) et 42,773 milliards de dollars en 2013( 64,89+%) du fait de la baisse des importations provenant des USA ( révolution du gaz de schiste) qui risque de s’accélérer entre 2015/2020. Les exportations hors hydrocarbures ont été en moyenne 2012/2013 de 2 milliards de dollars. Mais plus de 70% des recettes ont été réalisées par 400 exportateurs, provient de la commercialisation de dérivés du pétrole, du gaz, ainsi que de produits miniers comme le phosphate. Les exportations algériennes hors hydrocarbures vers l’Union européenne (UE) sont prédominées par des dérivés d’hydrocarbures avec un taux de 93%, selon l’Agence algérienne de promotion du commerce extérieur (Algex) n’ayant rien à exporter en dehors des hydrocarbures expliquant que la balance commerciale hors hydrocarbures reste déséquilibrée. En principe, exemple le cas chinois, et c’est une loi économique universelle, toute dévaluation devrait dynamiser les exportations pour sa monnaie le yuan non convertible intégralement comme le dinar algérien, et freiner les importations. C’est l’effet inverse en Algérie. Selon les données de la Banque mondiale correspondant à celles de la Banque d’Algérie pour la période 2000-2013, l’Algérie a exporté 707,250 milliards de dollars et a importé pour 491,200 milliards. La différence est de 216 milliards et si on enlève le remboursement anticipé de la dette, on retombe sur le chiffre des réserves actuelles fin 2013. Si on avait minimisé les coûts d’importation de 15% (491,2 milliards de dollars d’importation selon la Banque mondiale) entre 2000/2013, on aurait eu un gain de 73,68 milliards de dollars en devises, soit près de 40% de nos réserves de change. Uniquement pour l’année 2013 les importations de biens avoisinent 55 milliards de dollars plus 12 milliards de dollars d’importations de services soit 67 milliards de dollars) auquel il faut ajouter entre 5/7 milliards de dollars de transferts légaux de capitaux des compagnies étrangères nous donnant entre 72 et 74 milliards de dollars de sorties de devises.

III.- Le dérapage du dinar qui constitue un dumping n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures

Cela montre que le blocage est d’ordre systémique tout en rappelant que la valeur du dinar est fonction de la confiance et d’une économie productive. Créé en 1964, le dinar algérien était coté, jusqu’en 1973, 1 dinar pour 1 franc, et par rapport au dollar, 1 dinar pour 5 dollars. Depuis 1974, la valeur du dinar a été fixée suivant l’évolution d’un panier de 14 monnaies, avec une dépréciation entre 1986/1990 de 4,82 à 12,191 (cours USD/DZD=150%) suivi d’une seconde dépréciation de l’ordre de 22%, en 1991. Avec la cessation de paiement, en 1994, et suite au rééchelonnement et aux conditionnalités imposées par le FMI, il y a eu une nouvelle dévaluation de plus de 40% par rapport au dollar américain, suivie, dès 1995/1996, d’une convertibilité commerciale du dinar. Pourquoi la valeur du dinar est-elle si insignifiante, pour un dollar, selon le cours du Forex1, en date du 12 juillet 2014, 79,06 au cours officiel, en comparaison, par exemple, avec le dinar tunisien qui se cote 1,69 pour un dollar, ou avec la monnaie marocaine, qui est à 8,20 pour un dollar ? Sur le marché parallèle, contrairement aux pays voisins où l’écart est faible, en Algérie, les réseaux parallèles, avec un écart qui est passé de 140 DA un euro, fin 2013, à 160 DA un euro, entre juin et juillet 2014, les devises se vendent et s’achètent sur la place publique sans aucune intervention bancaire. La valeur des importations en provenance de l’Europe sont taxées par la douane algérienne. Donc le dégrèvement tarifaire induit une baisse des recettes fiscales mais ce que l’on oublie c’est qu’elle profite aux consommateurs algériens qui ont un bas prix mais peuvent paradoxalement pénaliser la production nationale. Mais n’oublions pas que l’Algérie n’a rien à exporter en dehors des hydrocarbures 97/98% provenant des hydrocarbures et important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. N’ayant pas d’économie, pour un dollar d’exportation hors hydrocarbures, l’Algérie importe en moyenne vingt (20). Mais là n’est pas l’essentiel.

IV.- Les pertes dues au dégrèvement tarifaire pondérées par la dévaluation du dinar par rapport à l’euro (22%) ont été d’environ 2,5 à 3 milliards de dollars à prix constants

En effet, appliquer un taux uniforme pour évaluer les pertes sur tous les produits importés d’Europe est un non sens. Affirmer que l’Algérie aurait perdu 8 milliards de dollars entre 2003/2013 doit tenir compte du montant des importations provenant de l’Europe entre 2006/2013, de la progressivité du démantèlement tarifaire qui ne touche que certains produits et du montant qui n’est pas le même.par ailleurs c’est une lourde erreur de confiner l’analyse à des données statistiques statiques devant toujours raisonner en dynamique. Le montant déclaré de 8 milliards de dollars de pertes entre 2005/2013 est surévalué reposant sur un calcul biaisé ne tenant pas compte de la dévaluation rampante du dinar où les importations en provenance de l’Europe doivent tenir compte de la cotation du taux de change dinar-euro auquel s’applique le calcul fiscal des taxes douanières qui s’accroissent avec la dévaluation du dinar. Le dérapage du dinar entre 2005/2013 outre qu’il augmente artificiellement la fiscalité pétrolière et le fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens en référence aux exportations d’hydrocarbures dont la valeur dollars est reconvertie en dinars au niveau de la banque d’Algérie, gonfle également les taxes douanières où le calcul s’applique aux importations de marchandises en provenance de l’Europe dont la valeur euros est reconvertie en dinars au port où s’appliquent les taxes douanières. Le taux de change en 2005, il était de 90/91 dinars un euro. Fin décembre 2013 il est à 110 dinars un euro soit un dérapage de 21/22%. Redressé car cette dévaluation qui permet de gonfler les recettes fiscales, les pertes fiscales - en calcul statique- dues à l’Accord appliquées aux produis concernées seraient d’environ 2,5 à 3 milliards de dollars entre 2005/2013. Ces pertes sont faibles par rapport aux gains importants si l’Algérie avait accéléré les réformes structurelles devant raisonner jamais en statique mais toujours en dynamique. Si on avait réalisé les reformes structurelles, micro-économiques et institutionnelles le gain net de l’Accord pour l’Algérie se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards de dollars avec des entreprises compétitives et des emplois durables productifs. Par ailleurs les données sont contredites par le gouvernement qui donne une autre période celle de 2010/2017 et non celle de 2003/2013. Selon le gouvernement algérien «voix officielle déclaration de l’ex ministre des affaires étrangères Mourad Medelci à Luxembourg lors de la 5 e réunion du Conseil d’association entre l’UE et l’Algérie. Je le cite «l’accord d’association dans son volet démantèlement tarifaire à induit des pertes substantielles en recettes douanières pour l’Algérie au titre de la période 2005-2009, de l’ordre de 2,5 milliards de dollars, avec une projection pour 2010-2017 d’environ 8,5 milliards de dollars » Selon l’ex ministre de l’industrie Mohamed Benmeradi, je le cite « l’Algérie aurait perdu 8,5 milliards de dollars de recettes de Trésor d’ici à 2017 si elle avait maintenu en vigueur le démantèlement tarifaire des produits importés de l’UE».Il est entendu que ce montant suppose une cotation dinar-euro, qui ne varie pas entre 2014/2020. Sinon il serait moindre, une dévaluation rampante contrebalançant la baisse de l’imposition de certains produits soumis aux dégrèvements tarifaires. 

Conclusion

Le tissu industriel représentent en 2013 moins de 5% du produit intérieur brut, la surface économique 83% de petits commerce-services et la sphère informelle à dominance marchande 50% de la superficie économique, autant la masse monétaire en circulation et autant d’emplois, la tertiarisation de l’économie, traduit la faiblesse des réformes. L’Algérie est le seul pays maghrébin et méditerranéen à avoir demandé une révision du calendrier du démantèlement tarifaire avec l’UE. C’est que ni l’industrie algérienne, ni l’agriculture se sont aptes à faire le poids aux produits européens, d’autant que les produits algériens ont des difficultés énormes à s’exporter sur le marché communautaire, ne répondant pas souvent aux normes de qualités.

C’est en 2010 que l’Algérie avait demandé de décaler de trois années le calendrier de démantèlement tarifaire des produits importés de la communauté, motivant sa requête par le besoin d’accorder une période supplémentaire aux entreprises algériennes afin de se préparer à la concurrence accrue qui sera imposée avec la création de la zone de libre-échange algéro-européenne. L’Accord d’association accorde en parallèle aux deux parties la possibilité de geler de trois années l’application de ce démantèlement si les échanges commerciaux sont déséquilibrés et profitent seulement à une seule partie. Les deux parties sont parvenues après plusieurs rounds à aplanir les différends sur les volets agricole et industriel avec en toile de fond la protection des produits de sidérurgie, de textile, de l’électronique, ainsi que ceux relatifs à l’industrie de l’automobile. Ainsi, le démantèlement tarifaire, prévu en 2017 entre l'Algérie et l'UE dans le cadre de l'Accord d'association a été reporté à 2020. Dans son volet agricole, l'accord stipule également «un réaménagement de certains contingents préférentiels de l'UE pour les produits agricoles, et produits agricoles transformés», selon la même source. Il s'agit 36 contingents agricoles à l'importation en Algérie qui bénéficient de franchise de douanes, qui seront désormais supprimés ou réaménagés.

D'autre part, ce décalage de la date butoir devrait permettre à l'Algérie d'éviter une perte de 8,5 milliards de dollars de recettes de Trésor d'ici à 2017, si elle avait maintenu en vigueur le démantèlement tarifaire des produits importés de l'UE, selon des estimations officielles basées sur une simulation avec une facture constante des importations en provenance de l'UE sur la période allant de 2010, date du gel par l'Algérie du processus de démantèlement, à 2017. Cela est d’autant plus important que des tensions budgétaires entre 2017/2020 sont à prévoir dues à la chute des recettes d’hydrocarbures, à la forte dépense publique, l’Algérie (budget d’équipement et de fonctionnement 630 milliards de dollars part dinars et devises), dépensant sur la base d‘un cours de baril de 115/120 dollars. Il s’agit de mettre fin aux versements de traitements sans contreparties productives, des subventions généralisées (12% du PIB soit plus de 25 milliards de dollars en 2013) sans ciblage qui ne s’adressent pas aux plus démunis, (chez les pays exportateurs de pétrole, les subventions se sont élevées à 204 milliards de dollars selon le rapport FMI 2013), la mise en chantier de projets sans les maturer avec des surcoûts exorbitants ( souvent de 20 à 30%) et mesurer les impacts Cette situation est intenable dans le temps avec le risque de l’épuisement du fonds de régulation des recettes et des réserves de change. Mais évitons la sinistrose : pour peu qu’une gouvernance rénovée et les réformes structurelles soit mises en place, le redressement est possible.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités Expert international

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Commentaires (3) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci

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adil ahmed

merci

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