Mascarade présidentielle : les mises en scène (suite et fin)

Bouteflika, présient malade, candidat fantôme qui entend rester à tout prix au pouvoir.
Bouteflika, présient malade, candidat fantôme qui entend rester à tout prix au pouvoir.

Simplifions l’équation. Bouteflika dirige-t-il réellement le pays ? En détient-il la réalité du pouvoir exécutif ? Ou donne-t-il seulement l’illusion de l’être, comme nous l’avions déjà insinué plus haut ? De la pure représentation.

Bouteflika, homme d’Etat ou homme de pouvoir ?

Et encore faudra-t-il qu’il soit vraiment libre dans son destin d’homme politique. D’avoir la capacité de trenscendance, de se tenir au-dessus de la mêlée, des divisions partisanes, en cherchant le seul intérêt commun de ses concitoyens. Etre en avance de son temps. Etre capable de faire en sorte que tous les Algériens vivent dans l’harmonie de l’inconscient et de la conscience, se sentent bien dans leur pays, s’y assumant comme citoyens agissants et non comme sujets assistés. Créant et promouvant au préalable une véritable symbiose entre la citoyenneté et les institutions. Jalonner le pays pour les générations à venir, en le projetant dans la modernité. Nous ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure. 

Sitôt installé, il s’attelle à vendre «sa» (?!) Concorde civile par voie plébiscitaire, le 16 septembre 1999. Un projet de loi de «grâce aministiante» dont les principes émanent de l’ordonnance du 25 février 1995 initiée par l'ancien président Liamine Zeroual. Sans débat préalable, le 29 septembre 2005, la «Concorde civile» se mue en «Charte pour la paix et la réconciliation nationale» par un autre référendum. Un mois auparavant, le 22 août, Amnesty International dénonçait «un référendum organisé pour effacer les crimes du passé». Avec du recul, même s’il y a eu un relatif retour à la «paix civile» (car le terrorisme frappe toujours en Algérie), il n’en demeure pas moins que la «vente» a été concomitante. Il y a eu troc contre troc, «paix» contre «oubli». Paix des cimetières contre impunité. Un marché de dupes. Or, on ne peut pas faire abstraction de la douleur des familles des 200 000 morts, des dizaines de milliers de disparus. Depuis 1998, les familles de ces derniers se rassemblent chaque mercredi devant la Commission nationale pour la promotion et la protection des droits de l’Homme, à Alger. Ils clament le droit à la vérité, la justice et la mémoire. On ne bâtit pas l’avenir d’une nation sur du sable mouvant. Pas plus qu’on ne peut crier victoire tant les plaies sont toujours béantes. Oui pour la réconciliation, mais aussi pour la justice. Sans justice, aussi humaine soit-elle, le spectre des victimes nous hantera jusque dans nos rêves les plus fous pour ce pays, aussi longtemps que durera notre lâcheté d’imbéciles heureux. Sans mémoire apaisée il n’y a point de salut. Des voix de conscience nous interpelleront pour nous rappeler, à chaque instant, que nous les aurions sciemment oubliées. Peut-être même qu’elles nous harcèleront jusqu’à ce que perte de raison s’ensuive. Cessons donc d’ânonner à longueur de journée, ou de colonnes, les "faits d’armes" de Bouteflika. Nous avons lâché la proie pour l’ombre.

Cela étant dit, on ne peut pas endosser tout notre malheur national à l’actuel Président "désigné". Mais on ne peut pas non plus l’en exempter. Car il a toujours fait partie du système. Donc prisonnier de son passé dont il ne peut se soustraire. Nous nous limitons à ces 15 dernières années pour dire que Bouteflika n’a rien d’un homme d’Etat. Non seulement il n’a rien apporté au pays, mais il nous a enfoncés davantage dans le pétrin. Il a toujours été un homme plutôt porté sur le passé, imbu de sa petite personne, qu’il est arrivé au pouvoir en revanchard. C’est un homme tourmenté qui voit partout des spectres le malmener, se croyant en butte à des ennemis invisibles, qu’il se tient sur la défensive. Il se bat contre des moulins à vent. Il fait et défait ses hommes au gré de ses sautes d’humeur machiavéliques. Roublard, il fait sortir certains d’entre eux par la fenêtre pour les faire revenir après par la grande porte. C’est quelqu’un qui ne s’embarrasse pas de ses contradictions flagrantes, qui a toujours cultivé une chose et son contraire à la fois. Pas plus qu’il ne s’embarrasse de son hagiographie de chef révolutionnaire, qui cache mal son passé sous une dorure spécieuse de la légende d’Abdelkader El Mali. Enfants désabusés, nous disions chez nous, en Kabylie : "Tarr tarr", pour déjouer un mensonge patent de nos aînés. Nous avons tous à l’esprit les "aventures prodigieuses" de Tartarin de Tarascon, d’Alphonse Daudet !

Les militaires, bon gré mal gré, nous l’ont ramené en 1999 comme panacée à la décennie noire. Le pays se trouvait alors dans une telle impasse politique et sécuritaire que le monde entier nous regardait de travers. Une troïka européenne avait été dépêchée à Alger, le 19 janvier 1998, dans une visite éclair de 24 heures pour forcer les parties à composer (?!!). La souveraineté de l’Algérie titubait. Puis, le général Liamine Zeroual, chef d’Etat à l’époque, ayant maille à partir avec les mêmes «décideurs» de l’ombre, prit la décision d’écourter son mandat. Le personnage Bouteflika a fait donc leur jeu de donner l’illusion d’être le Président. Eux, ils avaient "laissé faire". Nous nous souvenons tous de l’homme du caprice, se croyant en mesure d’exiger, profitant de la situation de «faiblesse» du moment, qu’il ne voulait pas être un "trois quarts de Président". En effet, il avait toujours su enfouir au fond de lui un rêve, celui de pouvoir être un jour Président à la nord-coréenne. Un Président à vie. C’est sa seule vraie feuille de route en fait. Des lubies qui remontent au temps où il était le protégé de Houari Boumediene. Il rêvait déjà de lui succéder. Nous connaissons la suite, son exclusion du bureau politique du FLN en juillet 1981, sa frustration, sa longue traversée du désert. 20 ans d’errances et de rejet par ses pairs. Le 8 juillet 1999, amer, il dira aux journalistes de la radio Europe 1 : "J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediene, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’Etat à blanc et l’armée à imposé un candidat". Le général Rachid Benyelles, un des barons du sérail à l’époque, confirme : "Son nom a été évoqué mais écarté. Nous étions tous unanimes : ce n’était pas sérieux comme proposition". Il était même condamné par la Cour des comptes, en 1983, pour cause de malversations. Mais il sera vite gracié par Chadli. En 1999, en revenant par la grande porte, comme premier magistrat de l’Etat, il ordonne l’arrêt de la Cour des comptes. Autant de refoulements violents qui le rendront de plus en plus aigri. 

De même que nous avons en mémoire son fameux gage aux cohortes des islamistes armées, s’il avait vingt ans, il serait monté au maquis. En voilà des messages, symptômes avant-coureurs des dérives qu’il nous réservait, pour ramener la paix dans un pays déjà mis à feu et à sang ! Manière aussi de jeter la pierre à ceux-là mêmes qui l’ont ramené. Entre temps, à chaque fois qu’un attentat était commis, il répondait par un silence déconcertant. Ne daignant même pas adresser ses condoléances aux familles des victimes. Nous avons souvenance également de son rôle de "Président de tous les Algériens" pendant le Printemps noir de Kabylie en 2001. 128 jeunes y laisseront leur vie, des milliers d’autres en sortiront écorchés à jamais dans leur chair. Des gendarmes qui tiraient dans le dos des jeunes à mains nues ! Nous nous demandions tous dans quel pays nous vivions. Le premier magistrat continuait, comme si de rien n’était, sa villégiature quelque part en Afrique, assistant à un forum sur le Sida. Alors que l’embrasement n’était encore qu’à ses débuts qu’il aurait pu en circonscrire l’étendue. Quelques jours plus tard, sous pression, il ordonnera qu’une commission d’enquête soit installée. Elle sera confiée au regretté et professeur émérite Mohand Issad. Nos attentes d’espoirs et de justice furent de courte durée, le temps qu’avait mis la commission à remettre ses comptes rendus. Puis, plus rien. On n’en entendra plus parler. Les assassins courent toujours, à ce jour, sans être inquiétés. Bouteflika en semble prendre un malin plaisir derrière sa carapace de silence. Un silence plutôt pesant. Tant il semblait en soi "une réponse du berger à la bergère". Pourrions-nous déjà parler d’une "guerre" de clans, pris dans une tension dialectique qui sépare et unit deux "frères siamois", pouvoir occulte et pouvoir apparent, qui à leur tour subdivisés en "cercles dans des cercles", et qui se livreraient sourdement à un dialogue macabre ? Un rappel à l’ordre au trublion Bouteflika qui tenterait de s’émanciper, tout occupé à faire table rase, à renverser les rapports de force en sa faveur ? L’histoire nous le dira un jour. 

Mais, si d’un côté il s’est toujours complu dans le silence en réponse à "la bergère", de l’autre il s’est révélé d’une surprenante incontinence verbale, quand il s’agissait de s’en prendre au reste des Algériens sujets. Bouteflika a poussé au paroxysme du mépris pour nous dire que nous sommes des moins que rien. Qu’Octobre 1988 n’était qu’un "chahut de gamins", les journalistes étaient des "tayabatt el hammam" (masseuses des bains maures), et les Kabyles «des nains». Lui qui n’était plus au pays les 20 dernières années. Insidieusement et objectivement, il en était à ses premiers coups de sape pour miner le moral. Il était venu en démolisseur et non en bâtisseur. Le 8 mai 2012, lors de son fameux discours «tab djenan na», il persiste et signe : «Ce qui se passe aujourd'hui sous couvert de démocratie et de respect des droits de l'homme reste sujet à débats. Car la démocratie comme le développement ne s'octroie pas comme un don et ne s'importe pas comme une usine clés en mains». Dont acte. La démocratie, les libertés, les droits humains, ce n’est pas pour nous. Nous pourrions encore attendre. Air toujours renfrogné, moqueur, le regard méchant, usant d’un ton condescendant, et gesticulant jusqu’à la caricature, pour sortir de sa petite personne, il se permet ainsi de nous donner des leçons, de nous réprimander. Son personnage désespérant relèverait plus de la psychanalyse tant il appartient à un système en butte à sa propre régénération. C’est quelqu’un qui voit tout noir ou tout blanc. Soit on est avec lui, soit on est contre lui. Ce n’est pas un homme à consensus. Il se pose en deus ex machina, homme providentiel. L’archange de la nation, notre sauveur. C’est ainsi que, ayant dessein de mettre en pratique sa «feuille de route», il entreprit de brouiller les repères en remettant tout en question. D’aller en sens inverse de l’Histoire. De faire du vide autour de lui, en écartant les compétences, l’intelligence, le bon sens. D’inhiber et annuler les forces créatrices du pays. D’étouffer toute voix discordante. D’ensevelir nos illusions en s’attaquant aux ténus acquis d’Octobre 1988, mais pas des moindres, qu’étaient les libertés de la presse et d’expression, l’alternance au pouvoir. Il ose jeter pour 2 ans en prison Mohamed Benchicou, et interdire de parution son journal, en 2004. Nous sommes en 2014 et Le Matin est toujours absent des kiosques. Il continue néanmoins à survivre grâce à sa version en ligne, sur Internet, pour contribuer un tant soit peu au débat national. Tant d’acharnement parce que le journaliste et écrivain citoyen, qu’est Mohamed Benchicou, avait osé écrire, donc s’exprimer, sur lui dans un livre intitulé : "Bouteflika : une imposture algérienne". Un Président n’est-il pas un homme public, et partant sujet a fortiori aux critiques ? Aussi fussent-elles désobligeantes, gênantes. Dans le cas-limite, en dernier recours, il y aurait la justice (si justice il y avait) pour faire la part des choses. Et si tel était vraiment le cas, pourquoi alors le procédé biaisé, la machination mafieuse des fameux "bons de caisse" ? Pourquoi s’attaquer au journal Le Matin ? Passons.

Victor Hugo disait ceci : "Une monarchie à esclaves est logique. Une république à esclaves est cynique. Ce qui rehausse la monarchie déshonore la république."(4) À 5 mois des « élections », le 12 novembre 2008, pour s’arroger la présidence à vie, Bouteflika ose "amender" (sic) l’article 74 de la Constitution qui limitait l’exercice de président à deux mandats. L’Histoire retiendra que ce jour-là le Parlement croupion avait voté à 500 voix contre 21 en faveur de l’abdication de la République. Oui, seul un parti, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), avait refusé de cautionner l’amendement de la honte, en claquant les portes de l’hémicycle. Comme il est utile de rappeler que, quelques mois auparavant, le salaire de base des députés avait été plus que doublé, pour l’élever à 294 595 DA par mois. Soit 24 à 25 fois le Smig des Algériens à l’époque. En janvier 2011, Bouteflika fera de même pour les 170 000 policiers qui constituaient le corps de la Sûreté Nationale, en augmentant leur salaire de 50 % avec un effet rétroactif de janvier 2008. La substantielle augmentation coïncide curieusement avec les révoltes populaires qui gagnaient le pays, dans le sillage du fameux «Printemps arabe», et que les autorités, timorées, voulaient cyniquement imputer aux seules et diverses pénuries de produits alimentaires de base. Réduisant ainsi les Algériens à des tubes digestifs, ne pensant qu’avec leur panse. A supposer que la version officielle soit vraie, ce qui est loin d’être le cas évidemment, comment expliquer alors qu’on en soit arrivés là alors que les réserves de change du pays étaient estimées à 155 milliards de dollars ? A moins que c’est voulu, mieux vaut penser… avec la panse. Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’échec patent d’un système finissant. Un peuple pauvre dans un pays riche. A l’évidence, rien ne va plus en Algérie.

En décembre 2013, nos ogres de députés, eux, voyant venir le cirque du 4e mandat, "exigeaient" que leur salaire de base soit encore revu à la hausse, à raison de 372 120 DA par mois. Soit 26 à 27 fois le Smig des Algériens actuellement. C’est comme cela que le Président a habitué ses hommes pour acheter des compromis politiques. Il les chiffre. Qu’ils ont vendu leur âme au diable. Ils sont tous à vendre ou à acheter. Il les corrompt. Pour ensuite pouvoir acheter ou forcer la paix sociale. Il sait aussi veiller au grain de la fronde populaire en attisant les divisions, en stipendiant ses baltaguias (hommes de main) pour mater et casser les réfractaires. L’argent du pouvoir ou le pouvoir de l’argent, sur le principe des vases communicants. Ce n’est un secret pour personne, des postes de député s’achètent à la criée, sur la place publique, à coups de millions. Des partis se disant de l’opposition "tarr tarr" (RND, FLN, MSP et PT, pour ne citer que ceux-là) passaient le plus clair de leur temps, ces dix dernières années au moins, à soutenir le "projet du président". De projet, il n’en est rien. Nous n’avons jamais rien vu. A moins que le projet en question ne rime avec une simple profession de foi, des promesses sans lendemain. Le RND, le FLN et le MSP se sont même constitués en Alliance présidentielle durant le 1e mandat, en février 2004. Nous sommes en 2014, le RND et le FLN en sont à leur mariage de raison. Le MSP, pour un concours ou calculs de circonstances, s’étant retiré en janvier 2012. Mais en se gardant de laisser la porte fermée. L’ubuesque dans toute cette histoire, des partis qui n’ont de tels que le nom. Ils appuient systématiquement et inconditionnellement le Président, en se gardant de participer à la course. Le PT fait de même et participe à la course !! Louisa Hanoune, qui est secrétaire générale du parti depuis sa création en 1990, soutient systématiquement Bouteflika dans son projet invisible, inexistant, et lui dispute en même temps le "poste". Enfin, comme tous les autres amuseurs de la cour, elle fait plutôt semblant de participer à la course. Dans un cas comme dans l’autre, cela dépasse tout entendement. On dirait un pays qui marche sur la tête. Des partis, en apparence, que rien ne semble concilier. Mais que, dans le fond, ils ont tous passé un patce tacite "de famille" qu’ils s’entendent comme larrons en foire. Ils trempent tous dans la gabegie et la rapine. Jamais auparavant les institutions du pays n’avaient atteint un tel degré de perversion. Si la corruption a toujours existé, Bouteflika a poussé le bouchon un peu plus loin. Pour bien asseoir son règne, il fait de la prévarication, la concussion, le graissage de patte, la subornation, le passe-droit, le clientélisme, la justice aux ordres et le brouillage de repères un mode de gouvernance qui s’avère redoutablement efficace. Nombre de ses ministres sont des transfuges. Certains d’entre eux étaient même des porte-drapeaux aguerris de l’opposition, sur qui nous fondions tous nos espoirs. Leur retournement de veste a porté un coup dur à tous ceux qui croyaient en eux, en même temps qu’il a permis à leur maître de nous rire au nez. Bouteflika est non seulement "infréquentable"» du fait de sa maladie contagieuse du pouvoir, mais aussi de sa capacité redoutablement corruptrice à retourner les plus coriaces comme une vieille chaussette. Rares ceux qui se sont frottés à lui en sont sortis indemnes. Il les transforme en aliens qu’ils nous paraissent d’une autre planète. Et quand ils nous parlent, on entend résonner la voix de Bouteflika. Il les «possède», dans tous les sens du terme. Il les décrédibilise, comme il nous méprise. Il fait en sorte que la rue devienne civiquement démissionnaire, perde foi en la politique et ses héros d’hier. Pour qu’il plastronne seul en homme providence, en notre sauveur. Puis, le moment venu, il passerait le relais à son frère Saïd. De la drôle de République à la drôle de monarchie il y a un empire suintant de corruption à franchir. Le chemin est tout tracé. Nous y serions. A trop vouloir singer Fidele Castro, il se retrouve désormais émule de Robert Gabriel Mugabe et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Bouteflika confondra l’Algérie avec sa propriété privée. Le 29 avril 2009, on dénombre 10 ministres de Tlemcen, d’où il est originaire, dans le nouveau gouvernement Ouyahia. No comment ! Mais il se trompe et d’époque et de société. Les Tlemceniens auront compris que, loin de moi l’idée de vouloir les offenser, je fais uniquement allusion à l’instint tribal et clientéliste de la caste qui nous gouverne.

Trois mandats, soit 15 très longues années consacrées à démolir le peu qui a été bâti au prix fort, de larmes et de sang des Algériens. A ce que les adulateurs nous présentent comme «grandes réalisations» de leur maître, nous leur opposons «grandes arnaques» ! A l’autoroute Est-ouest et autres, surfacturations milliardaires. Pas plus que la grande mosquée, temple personnel dont rêve Bouteflika, signes de folie des grandeurs propre aux despotes, initialement estimée à 3 milliards de dollars, puis ramenée à «seulement» 1 milliard ! Kim Jong-Un n’aurait pas fait mieux en ingéniosité mégalomaniaque. Le véritable et plus grand temple au monde, où vivre sa foi religieuse, ne se mesure pas à l’aune de son beffroi ou minaret, en mètres. Pas plus qu’il ne demande des sommes aussi astronomiques pour prétendre atteindre le ciel. Il est à la portée de tous. Il est partout. Il est dans le cœur des femmes et des hommes. Tout le reste n’est que mauvaise foi, manipulation et fonds de commerce. En Algérie des Bouteflika, on grimpe allégrement de milliards en milliards de dollars, pendant que la «paupérisation relative» se mue en paupérisation absolue, gagnant des pans entiers de la société. Quand les laudateurs intéressés nous parlent de «grandes réalisations» de leur maître, entendons qu’ils défendent bec et ongles les mamelles de la rente pétrolière, auxquelles ils s’accrochent désespérément, qu’ils ne sont pas près de lâcher. Cela fait plus de 50 ans qu’on nous parle d’économie. On en a même fait une politique de paravent qu’à chaque fois on évacuait systématiquement les autres grands débats de la nation : la citoyenneté, la démocratie, les libertés fondamentales, les droits de l’Homme, la culture… Nous sommes en 2014, nous continuons à importer, dans l’absolu, de tout, et nous n’exportons, en dehors des hydrocarbures, pratiquement rien. Comme en témoignent les récentes déclarations de l’ambassadeur de Russie en Algérie, M. Alexandre Zolotov, sur le site de TSA : «En 2013, les échanges commerciaux se sont élevés à un milliard sept cents millions de dollars. Cela fait de l’Algérie un des principaux partenaires de la Russie dans le monde arabe et africain et il y a des possibilités d’augmenter encore ce volume. Malheureusement, la balance commerciale n’est pas équilibrée. Les exportations algériennes vers la Russie restent insignifiantes et il est dans nos intérêts communs de remédier à cette situation.» (5) En 2012, les exportations hors hydrocarbures étaient de l’ordre d’à peine de 2 milliards de dollars, soit 3% de la valeur totale des exportations algériennes. Nous parlons des dérivés d’hydrocarbures et du secteur agroalimentaire. Selon M. Ahmed Bennasri, président de l’Association des exportateurs algériens, si on fait abstraction des hydrocarbures et ses dérivés, les chiffres retombent encore à moins d’un milliard de dollars. Soit à peine 1% du total des exportations. Des 35 millions de dollars représentant les produits agricoles exportés, 25 millions reviennent aux seules dattes. Autant dire une économie de chameliers au 21e siècle. "Le pays continue d'importer trois quarts de ses produits de base […] et semble loin de sortir de sa dépendance aux exportations d'hydrocarbures, qui fournissent 98% des recettes en devises du pays et 75% des recettes en dinars du budget de l'État."(6) Une situation qui perdure depuis ces vingt dernières années. Pourtant le pays leur a tout donné, même des comptes bancaires bien garnis en Suisse ou ailleurs, dans d’autres paradis fiscaux, mais qu’ont-ils apporté en retour ? "El izza oual karama" (la fierté nationale) outragée, pourtant si cher slogan à Bouteflika, le cinquantenaire de l’Indépendance même est passé sous silence.

Est-ce un aveu magistral, que nous n’avions effectivement plus rien à célébrer ? Mais, tant qu’il y aura le football pour faire ressortir, de temps à autre, ce que nous avons d’Algériens, pour remuer notre fibre sensible, Fakhamatouhou (son Excellence !) pourra toujours se targuer d’être le père de la nation. Rien que cela ! Plus populiste que lui… Pas plus tard qu’hier samedi 12 avril, recevant le ministre espagnol des Affaires étrangères, alors qu’il était zoomé par toutes les caméras en vue d’un moindre scoop, il prend à contre-pied tout son beau monde. Il entretenait son interlocuteur de… la ligue espagnole de football. Voilà ce qu’est devenue la diplomatie algérienne de Bouteflika. N’était la gravité de la situation du pays, n’était le climat délétère empreint de mort d’homme qui prévaut à Ghardaïa depuis maintenant 5 mois, et son état de santé pitoyable, nous aurions fermé les yeux. N’en parlons pas de l’image qu’il donne du pays en se plaignant de son adversaire de "campagne". Heureux les martyrs de Novembre qui n’ont rien vu. Que serions-nous devenus, avec ce même système de prédateurs, sans la manne pétrolière ? La réponse est dans la question. Ou plutôt l’inverse, ils ne seraient pas aussi nombreux à se bousculer au portillon des responsabilités nationales, car il n’y aurait plus rien à gratter. Nous serions mieux sans eux. Le pays aurait connu un autre sort. Encore de la «fierté nationale», un Président algérien qui recourt systématiquement à l’emblématique Val-De-Grâce, un hôpital militaire français, pour ses soucis de santé. Est-ce un autre aveu d’échec de souveraineté nationale ? Ne sommes-nous pas capables de réaliser de grands hôpitaux conformes aux principes et standards universels, pour répondre à la demande interne du pays ? Pourtant le potentiel humain et matériel existe. En 2012, l’Algérie, détentrice d’excédents financiers, prête 5 milliards de dollars au Fonds Monétaire International (FMI). Mais encore faudra-t-il des hommes intègres, suffisamment patriotes, désintéressés, compétents, dévoués, clairvoyants, et qui ont la force de leurs convictions, pour refondre la société. Obsédé par le seul pouvoir, Bouteflika, pas plus que les charognards mus par "l’esprit de système", et qui gravitent autour de lui, n’a rien de tout cela.

Conclusion

Aujourd’hui, nous assistons médusés et impuissants devant un ras-le-bol général des Algériens. Des foyers de tensions se multiplient un peu partout dans le pays. La rue bouillonne de colère et de fureur que les clameurs prennent parfois des allures insurrectionnelles. Les autorités n’en semblent pas avoir saisi la portée. Ils continuent à répondre avec les vieux réflexes qui leur sont propres : le mépris et la répression. C’est mal connaître leurs préjugés que de continuer à être figés dans l’autoritarisme. La rue commence à se réveiller. Ce n’est pas parce que le système et Bouteflika sont aussi forts, mais parce que nous sommes aussi faibles de nos malentendus et nos divisions. Non au 4e mandat de Bouteflika. Non à la parodie des élections du 17 avril prochain. Oui, à une transition, mais sans les fossoyeurs d’hier et d’aujourd’hui de la République. Oui à l’avènement d’une IIe République. Sans quoi, cette fois, si Printemps y aura, il sera tout simplement "algérien" qu’il balayera tout sur son passage. Jamais le ciel d’Algérie n’a été aussi chargé de tant d’incertitudes.

Mohamed Ziane-Khodja 

Notes :

(1) Louis-Gaston de Ségur, «Prêtres et Nobles», Haton, 1871, p. 38

(2) Sebastian Dieguez est neuropsychologue au Laboratoire de neurosciences cognitives du Brain Mind Institute de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse. "Le syndrome d' hubris : la maladie du pouvoir".

(3) David Owen, dans son livre «In Sickness and in Power» (Dans la maladie et le pouvoir), éditions Praeger - Etats-Unis, 2008.

(4) Seconde lettre à l’Espagne, Victor Hugo. Hauteville-House, 22 novembre 1868.

(5) Entretien avec l’ambassadeur de Russie en Algérie, Alexandre Zolotov. Propos recueillis par Hadjer Guenanfa, TSA, 17 mars 2014

(6) "Algérie : recettes, dépendances et doléances", Cécile Manciaux. Jeune Afrique, lundi 26 novembre 2012.

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