Les trois messages de Hamrouche (2)

Mohamed Laksaci nous annonce la catastrophe à venir.
Mohamed Laksaci nous annonce la catastrophe à venir.

Cette chronique devait paraître hier, mais j’ai dû la reprendre à cause ou grâce à l’intrusion de Mohamed Laksaci qui formule avec plus de compétences que moi les deux ou trois choses autour desquelles je voulais articuler mon texte.

Par Mohamed Benchicou

Ce monsieur, que personne n’écoute parce qu’il ne parle ni de Toufik ni de l’homosexualité du frère du président, vient régulièrement nous faire part des dernières nouvelles des finances nationales lesquelles, pour tout dire, ne sont pas reluisantes. Il avait choisi donc l’instant où j’allais expédier la seconde chronique sur Mouloud Hamrouche pour faire sa communication mensuelle ou trimestrielle, je ne sais plus, et nous annoncer que nous allons tranquillement dans le mur, que le pays gagne beaucoup moins d’argent mais dépense toujours plus et qu’en conséquence, nous sommes un peuple de joyeux drilles tranquillement installés dans un train qui mène vers la catastrophe.

J’ai oublié de signaler que Mohamed Laksaci est gouverneur de la Banque d'Algérie, que ce n’est pas la première fois qu’il vient nous prévenir, tout comme d’ailleurs le ministre des Finances, Karim Djoudi, de la prochaine faillite nationale. Mais allez trouver du temps et une oreille à prêter à deux hommes qui vous parlent de choses aussi barbantes que l’excédent commercial, la balance de paiement et les réserves de change quand la scène est occupée par l‘orchestre endiablé d’Amar Saâdani et les révélations du capitaine Aboud Hicham sur les penchants sexuels de  nos gouvernants. Sans compter que, comme de juste, ni la radio ni la télévision nationale ne tendent le micro à ce Laksaci qui plombe l’ambiance comme pas un.

Dame ! Dans un  pays où l’on arrive à masquer la lourde maladie du président de la république, comment espérer qu’on puisse dévoiler l’état de santé du porte-monnaie national ?  Du reste, il y a un pouvoir vigilant pour éviter ce genre de dérapages. Quand le ministre des Finances, Karim Djoudi laisse entendre qu'il n'y a plus d'argent en caisse, que les salaires comme les pensions ne seront plus augmentés, il est aussitôt recadré par le chef du gouvernement, Abdelmalek Sellal, qui jure ses grands Dieux que tout va à merveille dans notre merveilleux territoire ! Il n’y a, bien entendu, aucune raison de douter de la parole d’un homme qui avait juré ces mêmes grands Dieux que le président Bouteflika se portait comme un charme et qu’il n’était entré à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce que pour de simples examens complémentaires.

Faut-il se résigner à vivre cinq années de plus avec ce régime de cet art de gouverner qui se réduit, chez nous, à clamer les fausses bonnes nouvelles et à taire les vraies mauvaises nouvelles ?

Il faut dire que ce pouvoir a bien des choses à dissimuler : après 15 ans de règne de Boutefika, le pouvoir a démoli une bonne partie des chances des prochaines générations. Tous les décideurs le savent ; quelques-uns seulement ont le courage de le dire : avec ou sans Bouteflika, le prochain pouvoir aura pour mission presque impossible d'éviter la mort au pays. Avec peu de moyens. Nous n'aurons plus jamais les faramineuses recettes pétrolières dont a bénéficié le régime de Bouteflika.

L'arrivée de ce dernier au pouvoir avait coïncidé avec l'augmentation de la demande chinoise qui avait vu s'envoler les prix du pétrole en quelques années. Aujourd'hui, nous vivons le scénario inverse. L'exploitation du pétrole non conventionnel en Amérique du Nord va créer, dans les cinq prochaines années, une augmentation de l'offre qui va faire effondrer le prix du baril. Autrement dit, avec ou sans Bouteflika, le prochain régime se débrouillerait avec un pétrole à moitié prix, moins abondant, et des besoins en hausse ! Le pétrole, les réserves financières en milliards de dollars, c’est fini ! Oui, fini.

Les projections les plus optimistes donnent l’Algérie pour importatrice nette de pétrole dès 2020. Au cours des trois mandats du "pouvoir civil" de Bouteflika, il a été gaspillé l’argent du présent et celui du futur. En 15 ans de règne, il n'a pas fait évoluer d'un iota l'économie hors hydrocarbures. Cela est de notoriété publique. Mohamed Leksaci, gouverneur de la Banque d'Algérie, arrive, doucement mais sûrement, à la prévision qu'avait récemment énoncée son prédécesseur, Abderrahmane Hadj Nacer, pour qui "un jour ou l’autre, on sera de nouveau, emprunteur".

Abderrahmane Hadj Nacer, faisait partie de ce qu'on appelait le "cercle hamrouchien". Voilà qui nous ramène à Hamrouche. Dans sa déclaration, Hamrouche insiste sur ces "moments sensibles" qui vont "au-delà de la présidentielle, indépendamment du fait que le Président soit candidat ou pas". C'est un de ses plus forts messages.

Dans une récente analyse, le journal britannique, Financial Times, estime que "L’Algérie est entre les mains d’un chauffeur saisissant les commandes au volant, les yeux fixés sur le rétroviseur, incapable de se concentrer sur les problèmes à venir. Ces problèmes sont notamment la montée des islamistes radicaux dans les pays voisins et une dépendance excessive des  hydrocarbures".

C'est sur ces "problèmes à venir" que Hamrouche veut concentrer le débat et impliquer les chefs de l'armée. Comment créer de l’emploi avec un pétrole qui va en se raréfiant ? Comment rebasculer la décision sur la production nationale plutôt que sur l'importation ? C'est une question de rapports de forces, semble nous dire l'ancien Premier ministre ! Tout l'enjeu des prochaines présidentielles, est là. Oui, le régime est sous la menace de sa population insatisfaite. Hamrouche, "enfant du système", s'emploie à sauver ce système de la mort lente qui risque d'emporter tout le pays. C'est ici que le débat retrouve une brûlante utilité.

Les observateurs les plus conscients pensent même que le pire est à envisager. Après 14 années de règne, Bouteflika a mis l'État à la merci de sa population. La fronde des chômeurs peut aller dans n'importe quelle direction, y compris la plus pessimiste : une jacquerie nationale avec, au bout, une forte poussée des forces séparatistes. L'approche consensuelle que propose Hamrouche aux généraux, " afin d'éviter les victimes",  repose sur une ouverture démocratique, la fin de l'exclusion, la fin du tribalisme...Pour cela, il faut reprendre l'Etat en mains.

Mouloud Hamrouche semble en appeler à l'armée qui ne saurait rester plus longtemps "neutre" dans ces moments où se joue le destin du pays. "Faut-il rappeler ici et maintenant que la renaissance de notre identité algérienne et notre projet national ont été cristallisés, abrités et défendus, successivement, par l’Armée de Libération Nationale, puis, l’Armée Nationale Populaire ?", écrit-il. Il donne l'impression de placer les chefs militaires devant une responsabilité historique, face au règne absolu de Bouteflika et aux ravages provoqués : "Faut-il convoquer aujourd’hui, la promesse d’édifier un État moderne qui survit aux hommes, aux gouvernements et aux crises ? Faut-il rappeler encore l’engagement pris de poursuivre le processus démocratique ? Faut-il invoquer la promesse de continuer la réforme ? Nos constituants sociaux ne peuvent s’accommoder de pouvoir souverain sans contre-pouvoir. Il ne peut y avoir d’exercice d’un pouvoir d’autorité ou de mission sans habilitation par la loi et sans un contrôle. Il y va de l’intérêt et de la sécurité de l’Algérie, de tous les Algériens et de toutes les régions du pays. C’est à ces conditions, que notre Armée Nationale Populaire assurera sa mission plus aisément et efficacement et nos institutions constitutionnelles assumeront clairement leurs rôles et fonctions."

Cela tombe curieusement bien : une partie non négligeable de la hiérarchie militaire pense pareillement.

Nous en parlerons dans la prochaine chronique.

M. B.

Lire la suite : Les trois messages de Hamrouche (3)

Lire 1re partie : Les trois messages de Hamrouche (1)

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Commentaires (13) | Réagir ?

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khelaf hellal

Je n'aime pas les gens trop sérieux comme Hamrouche, les gens qui veulent donner l'impression d' avoir beaucoup de choses à exprimer a partir d'un cafouillis d'insinuations comme pour nous signifier qu'il n'ont pas encore dit leur dernier mot. Justement ces gens-là veulent qu'on prête un sens extraordinaire à ce qui relève du baragoin de circonstance d'un enfant du système. Ils jouent aujourdhui les oracles trop sérieux pour nous dire ce qu'ils n'avaient pas pu dire ni faire au moment ou ils étaient aux commandes du pays. Ils jouent les oracles trop sérieux laissant échapper de belles occasions de parler avant cette veille électorale comme la chevauhée électorale en solo de Bouteflika en 1999, le viol de la Constitution en 2008 et la fraude massive qui en a suivi, La corruption généralisée qu'on veut étouffer par l'omerta et l'inpunité etc...

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Atala Atlale

@ Ok Messieurs Ramess II et Sara Sadim, j'attends de lire une idée plus développée de ce que vous entendez par état fédéral. Sera t-il territorial comme celui de la Suisse ou communautaire comme au Liban, Syrie et ailleurs. Et je n'ai pas fait allusion ni à l'arabe ni au musulman, à croire que ces deux termes sont devenus un exutoire pour certains. Pas du tout d'accord.

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