Les trois messages de Mouloud Hamrouche (1)

Mouloud Hamrouche.
Mouloud Hamrouche.

On ne lui connait pas une vocation de Saint-Bernard ni un goût pour la sainteté.

Par Mohamed Benchicou

Ses adversaires le redoutent ; ses ennemis le respectent et seuls les intermittents de la politique, ceux-là, opposants sans nuisance ou rivaux sans pouvoir, armés de leur seule mauvaise humeur, s’attardent sur ses vices et sur ses vertus, parfois sur ses "dévergondages islamistes", un peu plus rarement sur sa stature de réformateur, mais c’est pour, aussitôt, abdiquer et renoncer à en percer le secret de la jouvence, le mystère de la notoriété et l’éloquence du silence. Mouloud Hamrouche est une citadelle impénétrable. Un éternel inconnu.

Mouloud Hamrouche est une créature adaptée à notre gouvernance nébuleuse où le ténébreux côtoie l’obscur. Ce personnage hermétique s’amuse à gagner en prestige au rythme de ses mutismes. Le voilà, avec le temps, devenu un de ces princes éminents et impénétrables dont la reine d’Angleterre disait qu’ils devaient garder le même silence que les confesseurs, et avoir la même discrétion. Dans un système moulé autour des conspirations et des trahisons, Mouloud Hamrouche fait autorité par sa taciturnité. Il n’a nul besoin de parler pour intriguer les rois, troubler les anecdotiers et brouiller les stratégies : ses silences pénètrent plus que la langue ne saurait faire. Et quand il s’exprime, comme lundi dernier, il choisit son moment.

En 2004, comme en 2009, c’était trop tôt. Mais aujourd’hui, en 2014, après 15 années de règne bouteflikiste, après l’effondrement de l’État, la perte de l’autorité, l’absence d’arbitre, les attaques contre le DRS, aujourd’hui, c’est le moment ! Mouloud Hamrouche s’adresse aux officiers perplexes ainsi qu’à ceux qui, parmi les Algériens, ont gardé la foi et quelques illusions. A ces derniers, il offre une occasion de croire au miracle d’une Algérie démocratique et apaisée.

Aux premiers, il propose une solution à la Andropov : sauver le système en le réformant, en urgence, de l’intérieur, en instituant l’État de droit mais aussi en réhabilitant l’État tout court. C’est ce que veut dire l’ancien Premier ministre quand il rappelle que "nos constituants sociaux ne peuvent s’accommoder de pouvoir souverain sans contre-pouvoir" et qu’"il ne peut y avoir d’exercice d’un pouvoir d’autorité ou de mission sans habilitation par la loi et sans un contrôle." Il use d’un jargon d’initiés, au moyen d’un texte, à bon escient, sibyllin qui tient à la fois de la supplique, de l’adjuration et de la réprimande.

Hamrouche dit ne pas prétendre se battre contre les loups avec de bons sentiments. Aussi ne répugne-t-il pas à faire usage du langage des loups plutôt que d’emprunter le coassement des grenouilles qui se voient bœufs ou le bêlement des agneaux qui croient faire partie de la famille. Dans ce texte codé, Hamrouche rappelle, tout de go, que "le pays vit des moments sensibles qui vont conditionner son avenir immédiat et profiler irrémédiablement son devenir", où l’État est mis en demeure de préserver "tous les droits et garantir l’exercice de toutes les libertés", insistant sur "les intérêts de groupes, de régions et de minorités" pour finir sur une harangue déroutante : "Il y va de l’intérêt et de la sécurité de l’Algérie, de tous les Algériens et de toutes les régions du pays". Nul ne sut vraiment à quel malheur il faisait allusion ni à quelle autorité s’adressait cette requête à l’accent si péremptoire, jusqu’au lendemain quand, choisissant son moment et ses armes, l’homme fit savoir qu’il ne concourrait pas pour les présidentielles "si l’armée présentait un candidat".

C’était un missile que peu d’entre nous avaient remarqué.

On apprendra, dans la soirée, qu’il avait atteint le cœur du clan Bouteflika et mis le feu dans la baraque présidentielle. La maison brûlerait toujours. L’ancien Premier ministre venait, d’un mot, de délégitimer l’actuel chef de l’État : Bouteflika n’est donc pas le candidat de l’armée ! Entendez par là qu’il n’est pas anobli par le système dans son unicité, mais seulement par des groupes d’intérêts.

Hamrouche venait de délivrer son premier message. Bouteflika l’a compris. Le deuxième message découle de source : le candidat de l’armée, même non déclaré, eh bien, c’est lui, Mouloud Hamrouche, lui dont il nous est arrivé d’écrire, ici, qu’il reste le meilleur atout des décideurs et leur plus tendre ennemi. L’homme est en passe de réussir un come-back historique : 25 ans après avoir été renvoyé à ses pénates, par l’armée, pour "complicité avec le FIS", l’ancien Premier ministre devrait donc se présenter aux élections présidentielles en candidat de "la dernière chance", parrainé par une partie de cette même armée !

Hamrouche contre Bouteflika, c’est la fin de la structure unitaire du régime algérien. Un bouleversement cataclysmique ! L’Algérien serait, enfin, invité à vivre une élection présidentielle sans candidat officiel ou, plutôt, avec deux candidats officiels. Hamrouche et Bouteflika partagent une approche lucide et désabusée de la politique, s’interdisant l’euphorie et le romantisme, ces choses étrangères aux véritables créatures de pouvoir. Ils ne se conçoivent pas d’avenir politique en dehors du système. Ils s’en considèrent, tous les deux, ses filleuls. Mais, en 2014, il y aurait un filleul de trop.

Une heure plus tard, ce lundi 18 février, le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, est convoqué au palais d'El-Mouradia. Faut-il faire un communiqué au nom de l'armée ? La suggestion est rejetée. Gaïd Salah avait déjà fait savoir que l'armée n'avait pas de candidat. Dans l’après-midi, l’idée jaillit : Bouteflika doit revendiquer, avec force, sa tutelle sur l’armée et rappeler qu’il en est le protecteur. Le discours que devait lire, au nom du président, le ministre des Moudjahidines, Mohamed Cherif Abbas, le lendemain mardi 18 février, journée nationale du Chahid, est remanié dans ce sens. Mardi matin, le directeur de l’Agence de presse (APS) reçoit en primeur le texte que le ministre Mohamed chérif Abbas devait lire deux heures plus tard.

Les médias publics sont instruits d’accorder toute la place à cette déclaration présidentielle dans laquelle on apprend que "personne n'a le droit de détruire les piliers sur lesquels reposent les institutions républicaines et les acquis". Bouteflika répète que le DRS demeure, contrairement à ce qui est colporté dans la presse, qui porte atteinte à la stabilité de l'État et de l'ANP, complètement mobilisé afin d'accomplir dans les meilleures conditions, les missions qui lui sont assignées au même titre que les autres structures de l'Armée nationale populaire».

Mais c’était trop tard.

Quelque chose d’imprévu venait de se produire à l’insu de tous.

Nous y reviendrons.

M.B.

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Commentaires (9) | Réagir ?

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bouzaher fechlane

Je réponds à Sarah Sadim

http://www. forum-algerie. com/actualite-algerienne/22614-lex-president-de-lapn-aurait-detourne-3000-milliards-de-centimes-11. html

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ali chemlal

"si l'armée me fait appel, je serai candidat" alors, il ne sera pas celui du peuple, il sera pris en otage,

et n'aura aucune libérté d' action, pour imposer un changement démocratique, comme le souhaitent, les algeriens. De plus, pour fair face a une crise multiple, ce n'est pas a un septagénaire, qu'il faut faire appel, mais a un homme plus jeune, intégre, compétent et volontaire pour résoudre les problémes qui se posent a la société algerienne. Nombre de défis, sécuritaires, économiques, sociaux, doivent étre relevés en priorité.

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