Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (II)

"Pour Tahar Djaout," une oeuvre de Denis Martinez.
"Pour Tahar Djaout," une oeuvre de Denis Martinez.

En regroupant cinquante années plus tard tous les figurants ou coreligionnaires du champ esthétique au sein d’un glossaire ne fixant aucune échelle de valeur sous le seul principe et prétexte de réparer trois injustices, Monsieur Mansour Abrous (MMA) pensait qu’il était «(…) bien de le faire, car des artistes en démarrage de carrière peuvent se sentir boostés en étant aux côtés et à proximité de gens au parcours prestigieux.»[1].

a) En finir avec le dé-personnalisme, le généralisme et les mythes protecteurs

Mais, si beaucoup de ces derniers se réjouissent de l’avancée de "poucets" et de la profusion des disciplines, ils ne sont pas spontanément disposés à appuyer son communautarisme, sorte de nouvel absolutisme auxquels comptaient bien échapper quelques ex-éveilleurs du "Peuple-Héros", parmi lesquels Denis Martinez. En 1986, celui-ci alléguait d’ailleurs que «jusqu'à présent, peut exposer chez nous n'importe qui, n'importe comment et n'importe où, quel que soit le niveau et la qualité de la production. Le manque de sérieux et de compétences des responsables des galeries et des salles, aidés par l'attitude inconséquente des mass-médias, ont contribué au développement de la médiocrité. Les fabricants de croûtes, les jeunes valeurs et ceux qui ont un long chemin derrière eux sont tous présentés de la même manière. °»[2]. Considérant certains peintres comme anormalement dévalorisés, Mustapha Orif s'empressera donc de faire, la même année, leur promotion, l'un de ses axes prioritaires étant «(…) de faire émerger les artistes de talent pour qu'un public le plus large puisse les distinguer des autres artistes qui ont tout à fait le droit de fonctionner comme tels mais qui ne fournissent pas le travail nécessaire pour que l'on puisse les célébrer de la même façon qu'un créateur.»[3]. D'emblée, cet agent économique placera l’index sur la griffe unique, donc la rareté, réquisit incontournable pour convenir des variations relativistes de plasticiens qui en transitant du genre moderne au genre contemporain assureront l’évolution du statut de l’artiste et élargiront l’autonomie de son champ (vis-à-vis des pressions politiques exogènes).

L’erreur de Monsieur Mansour Abrous (MMA) est d’avoir ravivé les susceptibilités en misant sur le pléthorique et en mettant par là même "aguerris" et "débutants" dans le même sac alors que les premiers ont gagné leur notoriété selon un long temps d’adaptation et ne sont pas prédisposés à accepter un inventaire qui identifie «(…) tous les acteurs (…) sans distinction.»[4]. L’option prise par Monsieur "A(re)brous poil" est complètement à contre-courant de la "montée en objectivité" que les agitateurs et promoteurs du champ éprouvent, tant ils ambitionnent d’être situer à hauteur de cette amplitude qu’est l’éthique de singularité, tant cette extrême convoitise, qui préfigure donc l'autre face (cachée et mal comprise) du statut, devient un impératif à libeller, ne serait-ce qu'en vertu des prochaines œuvres que s’apprête à engranger le Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA).

Dans son laïus de l’İFA, l’opérateur socio-culturel s’inquiétait de celles «(…) qui partent vers des collections privées ou publiques à l’étranger»[5], déplorait que les musées européens possèdent plus de productions «(…) d'art d'Algériens que les institutions algériennes, et que pour découvrir nos jeunes artistes, il faudra aller là-bas.»[6]. Conviant à la vigilance, l’"assureur MMA" souhaitait voir l’"État-Armée-providence" acheter les médiums de créateurs locaux et établir une fourchette des valeurs alors qu’antérieurement il refusait de répartir les animateurs du champ artistique à l’instar de leurs propriétés, capacités, habiletés ou tendances, cela au nom donc de l’exhaustivité. De plus, tout en briguant une certaine neutralité, il employait un ton paternaliste ("Nos jeunes artistes", "Mon cri est un cri du cœur") incompatible avec la distance que garde normalement un chercheur, même lorsque celui-ci craint «(…) une déperdition qui sanctionnera les générations futures qui n’auront plus accès aux œuvres de ces artistes et ainsi de la mémoire artistique algérienne.»[7]. L’ex-directeur de la culture (et des actions en direction des jeunes) de la Ville de Créteil ferait mieux de s’enquérir des faibles moyens dont disposent les musées algériens pour assurer une politique conservatoire digne et idoine, c’est-à-dire conforme à un dispositif sécuritaire et visuel ou aux conditions de restaurations, d’admettre que compte tenu de la situation délétère du moment, il vaut mieux que «La France possède l'essentiel de la conservation des œuvres d'artistes algériens.»[8]. Désigné en prévision de 2003, Année de l’Algérie en France, Ramon Tio Bellido, le commissaire de Le XXᵉ siècle dans l’art algérien, nous confiait le 15 avril 2010 que «° Bien avant que l'exposition vienne en France, j'avais déjà pu appréhender la manière dont les œuvres étaient conservées au sein du Musée des Beaux-Arts d'Alger. La plupart se "cassent la gueule" dans des conditions irrecevables (et) il y avait lieu d'agir au plus vite, de mettre fin à cette décrépitude.». C’est sans doute pour cela que l'Association des Musées méconnus de la Méditerranée (AMMED) réalisera bientôt un documentaire[9] et un site İnternet, publiera à la suite un livre d'art retraçant un itinéraire créatif que des Algériens culturellement et financièrement défavorisés auront des difficultés à goûter en raison d’un billet d’entrée (aux musées nationaux) passé de 20 à 200 dinars et d’un «(…) système de vidange qui expulse les artistes à l'étranger.»[10]. L’Algérie exclurait ainsi de son territoire des marginaux fuyant leurs conditions de SNP (Sans nom patronymique), des exilés de seconde zone que l’Europe siphonne pour faire de certains d’entre eux des plasticiens de renommée internationale, donc la partie intégrante et agissante d’un corps d’élites que finalement le Premier ministre Abdelmalek Sellal désire voir revenir à la "Maison". Néanmoins, il omet de concevoir que, intrinsèque aux tropismes du pays d’accueil ou de substitution, l’herméneutique des artistes contemporains candidats à un éventuel retour ne sera pas obligatoirement "adaptée" à la nomenclature de la population algérienne. Un mot identique n’ayant pas forcément la même consonance et substance pour celui qui se trouve d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée, le dramaturge Slimane Benaïssa précisera sur ce point avoir découvert à Paris que la langue de Voltaire lui avait donné «(…) l’expérience du peuple français», fait découvrir que «(…) le mot liberté (…) est chargé du poids de l’expérience historique de la France.»[11].

Après l’indépendance, les peintres dits du "Signe" utilisaient les archétypes des cultures ancestrales ou régionales et se persuadaient mutellement que, parce qu’imprégnée de ces origines plébéiennes, leur abstraction allait être instinctivement "imprimée" dans et par la conscience de l’ensemble des Algériens. İls pianotaient alors sur la mythologie naïve d’une spontanéité émotionnelle de la création, un affect supposé être immédiatement réceptionné et partagé au nom d’une parenté préétablie des sentiments alors que leurs transcriptions informelles exigeaient que les publics aient préalablement reçu une éducation artistique. Celle-ci n’étant à ce jour pas vulgarisée via une suffisante dimension collective (profusions de galeries et de musées, multiplication des publications et magazines spécialisés, épanchement de l’exégèse esthétique et de la critique d’art), l’accoutumance n’est pas venue résorber l’écart sémantique et cognitif existant entre certaines œuvres et le ou les publics. Constatant ce même faussé d’incompréhensions, Mohammed Djehiche, le directeur du MAMA, octroiera de l’importance à la formation et à l’action pédagogique «(…) afin que le public algérien se rapproche de l’art moderne et contemporain.» mais trébuchera intellectuellement lorsqu’il avancera, à notre sens malencontreusement, que «(...), franchement, nous n’avons pas de grands artistes d’art contemporain en Algérie»[12].

Colporter un tel discriminant ou assertion sans préciser le manque d’infrastructures culturelles et surtout les freins de la bienséance et barrières bureaucratiques mises en branle depuis un demi-siècle pour démunir les avant-corps autochtones des matériaux discursifs indispensables à leurs prérogatives et épanouissements, c’est propager (dans ce cas inconsciemment) des dépréciations infantilisantes, voire même, à un certain égard, néo-colonialistes. Moins vindicatif, le flagorneur MMA (Monsieur Mansour Abrous) s’emploiera à louer «L’abnégation et le dévouement des enseignants dans les écoles d’arts pour transmettre leur savoir aux étudiants malgré des conditions difficiles»[13]. Ses satisfécits minimisaient toutefois l’inquiétude éprouvée par Sadek Amine Khodja, le directeur de l’École des Beaux-Arts de Constantine, lequel affirmait en novembre 2011 que «Nos élèves ne savent pas parler, ils ne communiquent pas.»[14]. La cause incombant au verrouillage et aux volontaires négligences conciliées à l’encontre de cette fructueuse épure probatoire qu’est l’histoire de l’art, MMA jugera de son côté nécessaire de récolter des «(…) information et documentations afin de recenser et se documenter sur le parcours de tous les artistes algériens.». Considérant par ailleurs que de propager «(…) du savoir sur notre culture (est) une des conditions d’émancipation (…)»[15], il insistera pour que l’université puisse servir «Les artistes à travers des recherches, en apportant des regards de spécialistes en la matière et en opérant des collectes de données». Mais, regrettera le conférencier, les contactés préfèreront mettre leurs documents «(…) à la disposition de chercheurs occidentaux que de faire confiance à un compatriote.»[16].

Si le terme "compatriote" dénote encore une fois des relents démagogiques et condescendants, il y a concomitamment lieu de s’interroger sur l’identité de ces hypothétiques investigateurs ? MMA faisait-il allusion à l’historien François Pouillon, à l’écrivain Michel Georges Bernard ou aux critiques d’art Ramon Tio Bellido, Jean-Louis Pradel et Évelyne Artaud, tous les trois enrôlés dans le cadre de Djazaïr 2003 ? Répertoriés depuis longtemps dans le milieu de l’art moderne ou contemporain, et n’ayant à ce titre rien à prouver, ils n’ont jamais eu[17] l’outrecuidance de se comparer à des éclaireurs à l’indéfectible et incomparable aperception historique ou intellective. Par contre, le garant MMA atteste sans aucune pudeur ni retenu que son "bottin biographique" représente «(…) un véritable et précieux outil pédagogique qui permettra aux lecteurs, artistes plasticiens et chercheurs universitaires d'avoir une vision globale de la mémoire des arts visuels en Algérie en se faisant accompagner en termes de logistique intellectuelle et d'analyse prospective.»[18]. Notre "guide suprême" à l’œil cosmique et panoramique qui illumine «(…) une vision d'ensemble de la mémoire humaine des arts visuels.» n’avait reçu qu’une seule réponse sur les 250 fiches envoyées aux différents artistes alors qu’il comptait «(…) créer un outil "central" et "centralisé" d'information et de savoir», inscrire son introspection dans «Une logique de proximité avec les artistes algériens. », en concertation avec eux, cela afin de «(…) constituer un socle "a minima" de connaissances, (d’)impliquer davantage les universitaires à prospecter.»[19]. À notre connaissance, très peu d’entre eux examinent la sphère culturelle algérienne, justement en raison du manque de matériaux fiables. Sur ce point, ayant relevé un certain nombre d’erreurs dans les relevés et indices de l’"assureur MMA", nous conseillons aux impétrants, doctorants ou thésards de vérifier à deux fois avant de reprendre telle quelle «(…) une première base de données.»[20] dont une large partie repose sur un enquête sociologique ordinairement arborer sous l’aspect d’un tableau, une formule appliquée au début de la décennie soixante par Pierre Bourdieu et ses acolytes, notamment dans L’Amour de l’art.

b) Des paradigmes, concepts, tropismes et entretiens plutôt que l’alignement de chiffres hermétiques

Le listing de Monsieur Mansour Abrous, qui fera passer le nombre des artistes de 800 à 4.501, stipule que 47% d’entre eux sont nés avant l'indépendance, que 39% recevront une éducation au sein des diverses écoles des Beaux-Arts, que 45% des diplômés activent pleinement en tant que bédéistes, calligraphes, caricaturistes, céramistes, décorateurs, designers, dessinateurs, enlumineurs, graveurs, illustrateurs, infographes, miniaturistes, peintres, photographes, sculpteurs ou vidéastes, que 86% vivent en Algérie et 14% au Canada, en Angleterre, Belgique, France et Allemagne ou résident au sein de pays africains, que 71% des exposants font partie de la gente masculine, que donc 29% de femmes participent aux "Mondes de l’art" et l’agrémentent (sauf lorsqu’elles fondent un foyer et délaissent alors quelque peu leur activité), que près de 50% des monstrations se tiennent à Alger au sein d’espace à 86% publics, que se montent près de vingt manifestations par mois en Algérie, que des pics adviennent en décembre et des chutes de fréquentations au moment du trimestre inhérent aux congés d’été, que les plasticiens devenus parfois des binationaux, et qui d’après notre interlocuteur, «(…) tournent le dos à l’Afrique et au Maghreb»[21] ou reviennent au "bercail", se produisent à l’étranger, là où la France occupe (après l’Algérie) le premier échelon.

Oui, très bien, et alors tout cet étalage de chiffres et de pourcentages est bien gentil, mais en quoi fait-il avancer le schmilblick ?

L’intellectuel organique MMA transpose sur le domaine de l’art les techniques sondagières apprises à Paris au sein de l’équipe de développement local de la délégation à la politique de la Ville et à l’intégration, procédés que tout sociologue connaît puisque basés sur les quotas (sexe, âge, niveau d'instruction, santé cérébrale et physique, profession, localisation géographique). Ce décorticage sert, entre autres, à circonscrire les monades[22] composant un public dont la routine perceptive échoit aux "Mondes de l’art"[23], à tous ces vecteurs que sont le plasticiens, comédiens, musiciens, etc…, leurs pairs, collaborateurs techniques ou commanditaires, la critique journalistique ou professionnelle, les directeurs de musées, de théâtres ou d’opéras et les investisseurs. Avec la quantité des pôles et acteurs, la problématique de la réception et celle de la création n'a plus à être pensée selon la vision bipartie émetteur-récepteur, rapport frontal devenu insuffisant puisque la stratification de la société occidentale stipule des fractions d’érudits fréquentant assidument les endroits arrogés, rien de moins qu’une adversité-diversité des regards et langages. Les spectateurs sont en Europe fragmentés en cercles que les études d’Howard S. Becker ont rapportés aux créateurs, critiques, collectionneurs, marchands, à tout un panel d’yeux. Le sociologue américain a ainsi pris en compte des "empreintes" qui incisent le trait d’une morphologie esthétique et sociale, influencent les thématiques d'une exposition et, par truchement, les goûts d’un "Grand public" qui, nourri de différents raisonnements et intuitions, est donc à saisir selon des données sociodémographiques (âge, sexe, profession, niveau d'étude et origine).

Le hic avec MMA (Monsieur Mansour Abrous) réside aussi dans le fait que l’on ne sait pas de quelle école sociologique il se revendique ? Appartient-il au courant post-marxiste, est-il un partisan de la théorie de la croyance, donc un Durkheimien, prône-t-il, à la manière de Pierre Bourdieu, le renversement de la violence symbolique ou comme Jean-Claude Passeron une anthropologie des dynamiques culturelles afin de "chronométrer" Le temps donné au tableau[24], c'est-à-dire la durée que les afficionados vouent aux toiles au sein des musées ou galeries d’art ? Non négligeable, l’emprise dialectique et immanente de ce corps à corps (objet ouvré-public) contrebalance la suffisance hautaine de ceux qui, de par leur éducation familiale ou les capitaux antérieurement accumulés, possèdent les bonnes clefs intellectives pour recevoir confortablement le message subliminal des œuvres. Laissant entendre avoir en sa possession les passes esthétiques ouvrant les coffres détenant le secret des icônes, Monsieur Mansour Abrous (MMA) concédera «(…) que la diversité des regards ne peut être qu’une plus-value essentielle.»[25] alors que son discours aux redondances paternalistes et dichotomiques est incompatible avec la critique déconstructive de la représentation, avec les hybridations et mises en scène postmodernistes qui ont remis en question les barrières entre les arts, avec les transmigrations et interlocutions culturelles Orient-Occident, avec les décantations d’un champ de productions autorisant, par le brassage, l’interpénétration de la vidéo, de la peinture, de la sculpture, de la littérature et de la photographie, une symbiose des formes et des matières, la conjonction du singulier et du collectif, de l’autonomie (vis-à-vis des oukases ou dictats externes) et de l’hétéronomie sociale. Les permanentes remises en cause de ces deux valeurs ontologiques que sont l’authenticité et l’originalité ont déboussolé l’idée avant-gardiste d’un dépassement continu des qualités internes à l’œuvre, ébranlé les postulats assénés autour de sa pure effectivité.

Les critères de reconnaissance des médiums contemporains se sont grandement assouplis via le décloisonnement des pratiques et le largage des vieux clivages et présupposés théoriques dans un monde où les médias ne cessent de se toiser les uns les autres jusqu’à se métisser. Le melting-pot des tendances crédibilisant une visée mondialiste et souple qui dispense désormais la fonction artistique d’une interrogation sur les hiérarchies axiologiques que préconisait la philosophie, l’esthéticien MMA (Monsieur Mansour Abrous) se sent désemparé face aux installations, happenings ou interventions de plasticiens dont les intentions travaillent à la définition d’un art autoréférentiel qui ne prétend plus dire le "Beau" ou le "Vrai" puisqu’il se présente à l’œil complètement nu pour ne déclarer que ce qu’il est, soit une proposition démonstrative et non plus une flopées d’œuvres habillées de leurs atouts canoniques fixant la pupille sur le détail ou les tropes de l’intime. Braqué sur les traditionnelles frontières délimitant l’art du non-art, les expressions chaudes ou froides (donc majeures ou mineures), la rhétorique persuasive de l’"assureur en tout genre MMA" s’en trouve déroutée, n’a plus de balises ou de crédit à thésauriser et entreprend donc une OPA pour investir le terrain de sociologues habilités portant leurs diligences sur les effets frontaux du visuel. İls homologuent les chocs et perturbations perceptives que procurent sur les regardeurs les modalités, exténuations et dilutions hétéroclites d’un art contemporain devenu "son propre sujet de réflexion et de redéfinition perpétuelles".

N’étant pas de la "Famille des profanateurs", et ne sachant à fortiori pas vagabonder dans l’interdisciplinarité, Monsieur Mansour Abrous (MMA) déambule à contre sens. À côté de la plaque (celle donc qualificative du statut de sociologue), il demeure incapable de cerner quant et où il y a de la valeur ajoutée, de diagnostiquer les fonctionnements et dysfonctionnements d’une montée en singularité des artistes, de soumettre que leurs expressions du sensible ont à être prises en charge en termes d’axiologie. Défendre un point de vue sur un avant-corps et sa production plastique en tentant d’atteindre un maximum d’objectivité mais en s’interdisant tout jugement de goût(s), c’est-à-dire toute critique de ce qui fait l’objet de l’analyse sociologique, repose sur un exercice que Max Weber a cerné sous la dénomination "neutralité axiologique". Si elle a depuis évolué, c’est en raison des épreuves assumées par le courant interactionniste, une mouvance dont nous faisons partie alors que MMA n’est nulle part identifiable, pas plus d’ailleurs que Benamar Médiène qui plutôt que de faire une récapitulation de 2003, Année de l’Algérie en France transcrivait dans le Livre d’or, concocté après la fin de cette "Saison", ne pas entrevoir le besoin de prodiguer «(…) un bilan, comme les comptables et les bureaucrates de la culture savent le faire, (…)»[26]. Pourtant, et de par son rôle même de sociologue, il avait à entreprendre un "Voyage du regard"[27], celui de publics en situation face aux œuvres montrées dans les territoires artistiques de l’Hexagone. Par complaisance, voire par paresse intellectuelle, il n’a pas avéré les causes explicatives de l’enrôlement des peintres et/ou plasticiens algériens et algéro-européens à Djazaïr 2003, ne serait-ce que pour notifier qu'après plus d'une décennie de stagnation, ceux-ci souhaitaient faire de leurs différences et spécificités le gage d’une existence esthétique, culturelle ou sociale. Nommé commissaire à l’occasion de l’exposition des toiles de M’Hamed İssiakhem à l’UNESO, Médiène entretiendra l’amalgame en défendant, en tant que collectionneur des œuvres du peintre kabyle, un capital, d’où sa posture en parfait désaccord avec le recul que, par sa stature, respecte en principe tout sociologue. Voilà encore un stratège qui confondra sa profession avec celle de critique et historien de l’art, refusera d’avouer que ces derniers seront toujours mieux armés que lui pour entreprendre le commentaire d’une œuvre. Satisfait de sa cérémonieuse prestation, il considérera la "Saison algérienne" comme «(…) une année fertile, de profusion °», n’envisagera à son égard aucune réflexion déplacée, ce genre d’opinion relevant d’après lui d’une «(…) faute de goût artistique et (d’)une injure aux artistes»[28]. Djazaïr 2003 se particularisera au final par l’absence d’études statistiques puisqu’aucune expertise avérée et construite ne renseignera sur le nombre de visiteurs. On peut donc déplorer qu’un homme évoquant en 1993 l’urgence «(…) de prendre en charge (...) le dossier de l'éducation et de la culture, (…) °» sans quoi «(…) nous risquons de subir un échec terrible.»[29], n’ait pas suivi l’exemple, sur ce point notable, de Monsieur Mansour Abrous (MMA) dont la quantification standardisée apporte tout de même des éléments de comparaison. (A suivre)

Saadi-Leray, sociologue de l'art

Lire la suite : Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (III)

Lire 1re partie : Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (I)

Renvois

[1] Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit.

[2] Denis Martinez, in Révolution Africaine, 17 oct. 1986.

[3] Mustapha Orif, in Variétés, 11, op. cit.

[4] Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit.

[5] Mansour Abrous, in La tribune, op. cit.

[6] Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

[7] Mansour Abrous, in La tribune, op. cit.

[8] Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit.

[9] En partenariat avec la chaîne Arte.

[10] Mansour Abrous, in La Tribune, op. cit.

[11] Slimane Benaïssa, in El Watan, 30 janv. 2014.

[12] Mohammed Djehiche, in El Moudjahid, 16 déc. 2013.

[13] Mansour Abrous, in La Tribune, op. cit.

[14] Sadek Amine Khodja, in El Watan, 28 nov. 2011.

[15] Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit.

[16] İbid.

[17] Le regretté Jean-Louis Pradel nous a quittés le 23 octobre 2013.

[18] Mansour Abrous, in L’Expression, op. cit. 

[19] Mansour Abrous, in La tribune, op. cit.

[20] İbid.

[21] İbid.

[22] Unité non statique que les sociologues décortiquent en sexes, tribus, groupes, professions ou classes d’âges, une monade désigne aussi chez les pythagoriciens le principe des choses matérielles et spirituelles.

[23] Le livre Les mondes de l'art, qu’Howard S Becker a fait paraître au début de l’année 1982, analyse les relations publics-artistes, les articulations que ces deux entités entretiennent avec les opérateurs culturels et les œuvres, les interférences existantes entre un pouvoir d'action et le capital intellectuel ou esthétique acquis, ce que le marché culturel offre ou propose et les valeurs admises à telle ou telle période par la société en question.

[24] Livre que Jean-Claude Passeron a publié en 1991.

[25] Mansour Abrous, in La tribune, op. cit.

[26] Benamar Médiène, in Livre d'or, "Voyage du regard", Association française d'action artistique, 2003.

[27] Intitulé de son texte publié dans le Livre d'or.

[28] Benamar Médiène, in Livre d’or, op. cit.

[29] Benamar Médiène, in El Watan, 03 mars. 1993.

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