Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (III)

"Chaouiates", une oeuvre de M'hamed Issiakhem.
"Chaouiates", une oeuvre de M'hamed Issiakhem.

L’important reste de comprendre la différence tangible entre des intellectuels organiques, intéressés ou opportunistes et des interactionnistes qui, en accointances avec les investigations de Nathalie Heinich, sont disposés à mettre en exergue l’individu créateur, à privilégier les transferts paradigmatiques et axiologiques qui rendent visible les disparités esthétiques.

a) La chute fatale du "Nous collectif" mènera tous les auteurs au Personnalisme

Ces médiateurs, ou marqueurs de la modernité esthétique, "retrempent" les œuvres dans les cultures pour examiner la manière dont elles influencent l’essor du singulier, refusent ainsi le chiffrage en tableau, remplace cette typologie "fermée", ce schéma factice de la signalisation hors contexte, par les articles de journaux algériens desquels découlent les ressentis de protagonistes interviewés. En croisant leurs sources, ils rapportent l’énoncé des interrogés aux implications et causalités idéologiques, aident à mieux dresser le registre discursif d’êtres sociaux dont nous avons crayonné, via deux tomes intitulés L’artiste créateur et l’auteur de génie en Algérie (1830-1989 et 1989-2013), la cartographie tout en empruntant les concepts d’habitus, de champ et de capital chers à Pierre Bourdieu, à ce sociologue de la domination qui a mis l'accent sur l’hétérogénéité des sphères et perceptions impliquées dans l'art, sur la nécessité de faire liens avec ces environnements que sont le social, l’économique, le politique ou le culturel. En Algérie, ces compartimentations ont directement affecté le statut des hommes de culture dont les livres, films, dramaturgies, toiles ou sculptures gagneront en pouvoir d'attraction dès lors que leurs habiletés ne seront plus synonymes de redondances mais de créations, que leurs démarches viseront à changer les règles du jeu plutôt que d’affûter les astuces classiques. Cause irrémédiable à l’identité de précurseur, et à sa pérennité, le Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) a pour mission de concourir au caractère changeant de l’ "iceberg statut". Son directeur, Mohammed Djehiche, a le devoir de pratiquer une "plongée salvatrice" du côté de sa partie aquatique de façon à prêter plus d’attentions aux installations, vidéos et autres interventions qui dénotent le changement comportemental des plasticiens algériens et algéro-européens.

Les années "appropriationnistes" du processus d’identification, c’est-à-dire de reconnaissance et d’appartenance, pendant lesquelles peintres et romanciers algériens s’employaient, face à la vulgarisation de la culture hégémonique véhiculée par les mass media occidentaux, à déconstruire ses mythologies capitalistes et bourgeoises, ont fait place nette aux quêtes libertaires d’avant-corps qui réagissent au purisme de la spécificité souveraine d’œuvres bien léchées et recourbées sur leur perfection, sur leurs intrinsèques vertus esthétiques, donc sur elles-mêmes, pour les frotter aux conditions sociales et aux réalités (ou manœuvres) politiques. İls considèrent qu’un Algérien réactif et animé d’un doute épistémologique a gardé en lui la capacité de s’extraire des symboles gérés par les forces idéologiques qui traversent leur présent ou déjà-là artistique, de s’accomplir sur le flux compétitif d’une adversité-diversité des langages et non plus en raison d’une recapitalisation symbolique ou véhémences identitaires et patriotiques. Hors, l’année dédiée au Cinquantenaire de l’indépendance semblait bien avoir plombé quelques esprits. Prêts à «(…) offrir un espace de rencontre »[1] au sein de leur atelier[2], les peintres Rachid Djemaï et Moussa Bourdine déroulaient en juillet 2013 le tapis rouge à une vingtaine de plasticiens[3] plébiscités pour «(…) animer les soirées du Ramadhan (…).»[4] lors d’un regroupement d’infortune baptisé Les 22[5], «(…) un chiffre inspiré du "groupe des 22 historiques"»[6].

Le grimage révolutionnaire des deux hôtes (Rachid Djemaï et Moussa Bourdine) maquillait un conditionnement psychique et un raccourci archétypal révélateurs de cet autre postmodernisme qu’est le "renouveau dans et/ou par l’authenticité" ("tajaddud wal açala") affiché dix années plus tôt par un Président appelant les pupilles de la nation à « (…) ne pas délaisser le patrimoine légué par les pionniers de la glorieuse révolution algérienne»[7]. C’est du reste ce qu’intronisera le colloque L'État algérien à travers l'histoire du 02 octobre 2013 inauguré au Cercle national de l'Armée par Ahmed Gaïd Salah. Fraîchement promu vice-ministre de la Défense et chef d'état-major de l'ANP, ce général envisageait alors de booster «(…) les gloires de la nation algérienne (…)» en intimant à des «(...) hommes de plume (à) la parole sincère et loyale» le devoir de diffuser «(...) les connaissances (…) authentiques », de rectifier pour cela les «(…) faits souillés d'intentions inavouées et commandités par les ennemis des peuples.». Ces objecteurs-correcteurs étaient à cette occasion redevenus des "soldats" et "moudjahidin" en lutte contre les mensonges environnant, les «(…) fidèles gardiens de la mémoire collective (…) à travers laquelle (…) s'encrent les valeurs de sacrifice et de dévouement (…), se renforce la volonté d'entretenir les legs de nos glorieux martyrs (...).»[8]. Presque cinquante ans après la Charte d’Alger de 1964, auteurs et créateurs étaient conviés à concilier les postures du patriotisme avec les racines rabougries du nationalisme de bunker, à souscrire à une "re-narcissation"[9] qui, écrira le sociologue Lahouari Addi, "suppose que la source du pouvoir, c’est les martyrs". Le fil conducteur du corpus littéraire de Boualem Sansal avisera de son côté que ces "martyrs ne sont pas forcément des saints", qu’ils ravitaillent des mythes échafaudés de toutes pièces par de "vieux dinosaures veilleurs de conscience", et dont l’obsession antagoniste est de moderniser sans profaner. İls réfutent en cela le statut de singulier parce que ses transversalités finiront par ébranler les logiques conservatrices échafaudées autour du vocable stabilité que depuis des mois Abdelmalek Sellal martèle pour figer dans le marbre apocryphe les mêmes artefacts anesthésiants.

Chez Mustapha Sedjal, l’insubordination à la totalité toute bonne s’est forgée en octobre 2012 par l’annonce d’un désenchantement placardé à l’encontre du mot d’ordre mobilisateur de la décennie soixante "UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE". En ajustant le focus sur les chroniques et parcours individuels, le plasticien-vidéaste reviendra de la sorte à l’atavisme primordial afin de constater qu’en fin de compte n’existe qu’"UN SEUL HÉROS, LE PEUPLE, MON PÈRE". Devant ce slogan olographe incrusté le 03 décembre 2012 sur le mur extérieur de la galerie Karima Célestin, chaque spectateur avait à enregistrer la mort de l’illusio "Peuple-Héros". Renouant avec le cordon ombilical d’une "Père-ceptible" généalogie, l’ex-Oranais lui suppléait du substrat génétique, une descendance dénotant sa volonté de dissoudre la foi en une "Masse Prodige" et le fantasme de l’Un pour, et au profit de spiritualités beaucoup plus mystiques que celles des fondamentalistes religieux, mieux passer entre les mailles du "Grand Tout" sublimé, endurer une conversion ontologique susceptible de remettre l’auteur de génie au centre de la vie culturelle, comme le laisse par ailleurs supposer en littérature Samir Toumi.

Dans Alger le cri, l’écrivain épure le moi perdu et éclaté d'un quarantenaire errant sur les trottoirs d’une cité « Complexe et impénétrable (…), belle et nauséabonde, tout à la fois », d’une ville contrastée mais aussi désaxée car ne sachant plus comment amortir le « Choc culturel, choc du relief. », ces bruits fracassants accentués par les écroulements de bâtisses vétustes. De là le vocable "cri" récurrent tout au long de la trame épistolaire pour auditionner cette capitale bruyante où la colère, plus ou moins contenue, et le chaos de la déréalisation sont partout agissants, où des réfractaires au totalitarisme religieux accrochent des "Cadenas de l’amour" sur le pont-immeuble du Télemly avec l’incertain espoir de soigner leurs traumatismes, raidissent les câbles d’une passerelle-réseau menant au libre-arbitre d’autres séditieux refusant désormais d’être diluer dans la "Masse", de s’affaisser devant la Grande Histoire des frauduleuses légitimités, de trembler face aux pourfendeurs d’espace scindant la société algérienne en Faux et Vrais révolutionnaires, en Bon réconciliateurs et Méchants éradicateurs, en une supposée Famille qui avance pendant que l’autre serait condamnée à perpétuellement reculer dans les affres de l’incomplétude, en donc deux camps tiraillés entre La confrérie des éveillés[10] et celle des endormis.

À relier avec la visée minimale et minimaliste de Monsieur Mansour Abrous (MMA), ces divisions antithétiques ont impacté le Tiers inclus, c’est-dire le mixage des intellectuels progressistes (les "laïco-assimilationnistes" jetés en pâture par les adeptes d’un pernicieux glissement sémantique) et ceux de la mouvance djazariste de Malek Bennabi. C’est l’accomplissement de ce Tiers-inclus, à ce jour donc encore Tiers-exclu, qui fait peur aux dévots du manichéisme Bien-Mal, ces salafistes et généraux mafieux enclins à diviser pour mieux régner. Aussi opposons nous résolument aux croyances bipolaires et stabilisatrices des maîtres à penser (y compris donc Monsieur Mansour Abrous) des controverses sur ce qui constitue la résorption de l’humain dans un système normatif et enclavé, donc banalisé d’images-modèles.

L’œuvre de Mustapha Sedjal n’est actuellement pas récupérable par le Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger. Ouvert en décembre 2007 pour exaucer les fastes politico-diplomatiques d’Alger capitale de la culture arabe, il est épié par l’œil borgne et inquisiteur d’un conseil d’orientation dans lequel siège des représentants de plusieurs ministères, parmi lesquels ceux des Moudjahidine et des Affaires religieuses[11]. Autrement dit, on voit mal ces chargés de missions qui délibèrent sur le règlement ou l’organisation interne, et possèdent de surcroît un droit de regard sur les accords, contrats, conventions, dons, legs, comptes annuels ou budget de la dite institution, de confirmer l’impact profanatoire d’une intervention dont l’épitaphe sonne le glas d’un parangon entretenu depuis cinq décennies par ceux qui font des martyrs la rente mémorielle de l’aperception historique du "Soi algérien" (et tais toi). Abdelmadjid Merdaci[12] signalera à ce sujet que « Le temps doit advenir du passage des mythes fondateurs à la connaissance historique, et ce passage est particulièrement difficile en Algérie où l’autoritarisme a longtemps institué les rapports à la guerre d’indépendance comme matrice des légitimités (…). Nous vivons les contrecoups prévisibles du passage de la thèse du peuple comme héros collectif à l’irruption du sujet comme acteur de l’histoire.»[13].

b)Les concepts de corps, violence et désaliénation vecteurs de la reconnaissance de l’artiste-créateur et de l’auteur de génie,

Le long métrage Omar Gatlatou de Marzak Allouache cassait en 1976, tant dans le fond que dans la forme, avec le cinéma des martyrs ou djounoud du noir et blanc[14], avec les injonctions laconiques et volontaristes de l’époque Boumediène. Sa tonalité perturbait les envolées lyriques ou propagandistes des scénarios formatés. Non stéréotypée, la syntaxe n’évoluait plus sur les traverses fictionnelles et lénifiantes léguées aux héros-pur, sur ces palliatifs incitatifs fournis à l’ensemble de la communauté comme gage de son alliance indéfectible à l’internationalisme prolétarien et tiers-mondiste. La narration ramenait au contraire le spectateur à l’irréalisme de plans quinquennaux qui magnifiaient autrefois l’industrie-industrialisante de Belaïd Abdesselam, objectait aux certitudes de ce gigantisme positiviste une parole sibylline chuchotée à l’oreille de spectateurs soudainement pris à partie. İls se trouvaient en interaction dialogique et émotive avec le personnage principal qui parlait face-caméra pour les sortir de leur fauteuil et les faire pénétrer dans son univers endocentrique.

Au "Nous collectif" et populiste succédait le "Je" enjôleur d’un fonctionnaire algérois qui dès les premiers tours de manivelle confiait aux cinéphiles que le pseudonyme de Gatlato signifie en arabe "la virilité qui tue". Celui qui, en quelque sorte, "frappe avec la vigueur des mots" révélait les détails d’une enfance dont les habitus culturels le conditionnaient à écouter de la musique chaabi. Le "Jeu" du tournage entraînera ensuite, par complicités et découpages, à suivre les zigzags urbains d’un hâbleur flottant autant dans l’air d’une cassette audio que dans l’ère d’un vide sociétal où la journée précédente ressemblait à la prochaine avec ses illusions, ennuis, nonchalances et banalités quotidiennes, ses frustrations amoureuses, ses bus bondés où l’on monte pour caller une silhouette callipyge et assouvir quelques désirs refoulés et inassouvis, compenser sa stérilité et prurit affectives. Le poids des coutumes le maintenant soudé ou enchaîné aux mœurs immémoriaux, Omar ne s’en dégagera qu’à l’écoute de la voix d’une femme dont le timbre attirant et mystérieux changera son destin, envoutera ses nuits et le fera basculer de l’ombre à la lumière puisque sa parole jusque là défaite par les non-dits du sens et inhibée par la censure du Parti unique FLN, s’épanchera en intimités, débordera de mots doux, communiquera les épisodes d’une nouvelle chair, réconciliera les appétits érotiques avec les humeurs tremblantes du corps défendu car sexué.

Presque quarante années après Omar Gatlatou, la relation au corps restant problématique en Algérie, l’unité de recherche sur la culture, la communication, les langues, les littératures et les arts (UCCLLA)[15] abordait le 03 février 2014[16] sa place au sein des fictions contemporaines (donc la corporéité), des configurations poétiques ou symboliques (en tant que reconquête du phrasé et de ses éloquences), relatait de ses infections, meurtrissures, blessures ou violences, cela au moment même où un décret ministériel[17] attribuait un statut de victime aux femmes violées par les terroristes. Cette profanation faite au corps, Rachid Boudjedra l’accentue délibérément dans son écriture pour bannir l’imaginaire, les fantaisies et jouissances du moi, provoquer une réaction du lecteur, combler la béance thématique par le libertinage et les invectives, par un verbe ciselé faisant couler la sueur, ouvrant les entrailles ou les viscères. Après Mohamed Dib et Kateb Yacine, l’auteur de La répudiation et de Journal d'une femme insomniaque dira avoir su creuser à son tour le sillon transgressif de la modernité littéraire, être ainsi «(…) le troisième à avoir cassé ses codes (…), les tabous sexuels (et) l'hypocrisie sociale»[18]. İl consacrera quelques lignes de sa graphie aux monotypes de Choukri Mesli, un ex-aouchemite qui avec M’Hamed İssiakhem occupera l’espace ténu de la réclusion féminine et de ses tortures pour, comme Frantz Fanon avant eux, provoquer une désaliénation corporelle et mentale, une préoccupation également connotée au sein des œuvres d’Abdelwahab Mokrani, Mourad Messoubeur (à ses débuts), Nadia Spahis, Kamel Yahiaoui, Samta Benyahia, Salah Hioun, Meriem Aït-el-Hara, Rachid Nacib, Karim Sergoua, Tarik Mesli, Amza Bounoua, Gassouma Jaoudet, Ammar Bouras, Arezki Larbi, Boudjema Zouhir, Hellal Zoubir et Noureddine Ferroukhi. Avec son hybridation picturale faite de préciosités androgynes, ce post-orientaliste (et non pas pro-orientaliste) cristallisera des séductions érotiques menant au paradis des peaux parfumées, aux visions de l'extase, aux fantasmes du non renoncement au corps, aux signes explicites ou allusifs de l’irénisme, à un univers charnel à saisir dans le sens de la plénitude des sentiments , de la splendeur chatoyante du sensuel, d’un décor essaimant une complexité émotive et organique avec tout ce que cela impliquera comme fragmentions, déviances et décentrements narcissiques. Chacun de ses montages accrochés en 1993 sur les cimaises de l’İnstitut Cervantès (Centre culturel espagnol d’Alger), dans l’optique de mieux dialoguer avec Shéhérazade[19], débloquait du cadre rigoriste les chaînes de la virilité en faisant frissonner les zones érogènes d'une musulmane dont le corps-cliché défiait l'ordre fantasmagorique de la Vérité révélée par les sommations exclusives de la domination symbolique et autres dépositaires du tragique fondamental. Avec le collectif Essebaghine, Noureddine Ferroukhi se positionnait en 2000 dans le champ artistique comme avant-corps et lorsque nous l’interviewions dix années plus tard sur cette notion d’avant-garde, le plasticien confiait qu’il fallait «° (…) prendre ce terme comme ressortant d'une expression non galvaudée dans le paysage artistique local. Ce que nous proposions aux publics n'était pas, il me semble, arrivé à saturation dans notre pays où il y avait lieu de poursuivre ce qui ailleurs avait atteint sa finitude historique et conceptuelle. Par exemple, ma démarche plastique axée sur un érotisme débridé et pailleté était loin d'avoir éprouvé tout son potentiel.»[20].

Lorsqu’un journaliste demandera à Rachid Boudjedra ce qu’il pense de la nouvelle génération d'écrivains, celui-ci indiquera qu’elle «(…) fait son boulot (…) mais pas de chef-d'œuvre, (…)»[21], qu’elle serait par conséquent encore en dehors de son cercle démiurgique parce que n’ayant pas suffisamment trempé son "Être-là" dans le bouillon de la perversion. Hadjer Kouidri, remarquée depuis la publication de Nawress Bacha[22], rectifiera le tir en précisant au périodique Liberté du 03 novembre 2013 que sa contemporanéité scripturale articulait, comme de plus en plus de romanciers, artistes, metteur en scène et cinéastes, du "Je". Ce mouvement d'individuation, donc éthique, pointe le bout de son nez en Algérie comme le démontrait déjà l’article "50 ans de littérature algérienne, et après?"[23] de Sara Kharfi, laquelle attestait en juin 2012 que, «Hantés par les contradictions de notre monde et de notre société, quatre écrivains ont revendiqué leur "Je" dans l’écriture.». Maïssa Bey, Hamid Abdelkader, Anouar Benmalek et Yahia Belaskri auront ainsi modulé les contradictions qui rythment la société algérienne, divulgué que «(…) les considérations politiques n’étaient plus un sujet central (…)», que leur plume délictuelle et mnésique «(…) permet de mieux comprendre les complexités» et que ses interprètes s’engouffrent dans le réel comme les «(…) agents de la description des relations sociales.»[24], c’est-à-dire d’échanges beaucoup plus hétérogènes et entrelacés que les dichotomies sommaires Vrai-Faux, Mineur-Majeur ou Beau-Laid. Tout en exhibant, avec Nina Bouraoui et Malika Mokkedem, un sujet dépressif soumis aux sévices corporels, éjecté du monde du rêve et assiégé par une morale vécue comme une plaie du dedans ou une blessure du dehors, Maïssa Bey se conçoit comme une « (…) citoyenne qui observe et qui n’a plus envie d’être un témoin passif.»[25], ce que confirmait d’ailleurs Hamid Abdelkader, lequel assure que sa prose a pour fonction de "secouer les choses", de semer le doute au cœur de certaines idées figées. C’est du reste exactement à quoi tendent aujourd’hui la photographie plasticienne et des installations contemporaines agencées pour provoquer un séisme sensoriel et physique chez les spectateurs, les convier à participer à l’élaboration de l’œuvre, à la déconstruction de la fonction d’auteur. Le corps de celui-ci n’est en effet plus le seul médium susceptible de changer la donne du statut de l’artiste, de lui consentir une grandeur supérieure ou certifier une conscience contestataire, lucidité d’autant plus nécessaire en Algérie où il faut maintenant «Loin de toute idée de révisionnisme, regarder sous un autre jour, et critiquer la Guerre de Libération nationale, avec lucidité.»[26]. Le professeur des universités Abdelmadjid Merdaci stipulera sur ce point qu’aujourd’hui la «(…) séquence d’une histoire officielle, mensongère, manipulatrice, imposée par le haut, est critiquée (…) sauf que cette critique absout sans examen les Algériens d’une si longue et passive adhésion à cette histoire (…). Nous devons considérer que (la) lutte pour leur indépendance, nécessaire, douloureuse, légitime, ne fut jamais un long fleuve tranquille.»[27]. (A suivre)

Saadi-Leray, sociologue de l'art

Lire la suite : Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (IV)

Lire 2e partie : Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (II)

Lire 1re partie : Statut artistique et postures intellectuelles en Algérie (I)

Renvois

[1] Moussa Bourdine-Rachid Djemaï, in La Tribune, 27 juil. 2013.

[2] Au "Village des artistes" proche du complexe touristique de Zéralda.

[3] Parmi lesquels Arezki Larbi, Valentina Ghanem, Djahida Haouadef, Karim Sergoua, El Hachemi Ameur, Adlène Djeffal, et Abdelkader Belkhorissat.

[4] Moussa Bourdine-Rachid Djemaï, in La Tribune, op. cit.

[5] Du jeudi 25 juillet au 07 août 2013.

[6] Moussa Bourdine et Rachid Djemaï, in La Tribune, op. cit.

[7] Un message lu en son nom par le ministre des Moudjahidine, Mohamed Chérif Abbas.

[8] Ahmed Gaïd Salah, in L’Expression, 03 oct. 2013.

[9] Vocable introduit par Abdelaziz Bouteflika, in discours de clôture Djazaïr 2003, Sorbonne, 18 déc. 2003.

[10] Titre d’un livre de Jacques Attali publié en 2004 aux éditions Fayard.

[11] Plus exactement des Affaires religieuses et des wakfs.

[12] Professeur des universités, sociologue et historien.

[13] Abdelmadjid Merdaci, in El Watan, 27 janv. 2014.

[14] Sous titre de l’exposition du Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA), Les photographes de guerre, mai-août 2003.

[15] Elle relève du Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran.

[16] Dans le cadre du projet de recherche Réception critique du roman contemporain algérien.

[17] Signé le 1er février 2014 par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal.

[18] Rachid Boudjedra, in L’Expression, 11 nov. 2013.

[19] L’exposition s’appelait justement Dialogues avec Shéhérazade.

[20] Noureddine Ferroukhi, in entretien personnel, Alger, 10 mai. 2010.

[21] Rachid Boudjedra, in L’Expression, op. cit.

[22] Sorti aux éditions Anep.

[23] İn Liberté, 24 juin. 2012.

[24] Anouar Benmalek, in Liberté, op. cit.

[25] Maïssa Bey, in Liberté, op. cit.

[26] Hamid Abdelkader, in Liberté, op. cit.

[27] Abdelmadjid Merdaci, in El Watan, op. cit.

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