Un livre-enquête sur Mouammar Kadhafi, le violeur de filles

Mouammar Kadhafi a mis en place un système de sélection de filles à violer.
Mouammar Kadhafi a mis en place un système de sélection de filles à violer.

Lycéennes, soldats, femmes de ministres… Les victimes seraient des centaines. Le régime libyen était organisé pour satisfaire les pulsions du "Guide", révèle Les proies, un livre-enquête d’Annick Cojean.

C’est une phrase glaçante, qui résume le long règne de Kadhafi. Elle a été lâchée à Annick Cojean par l’un des plus proches collaborateurs du "Guide" de la Libye : "Il ne pensait sérieusement qu’à ça. Il gouvernait, humiliait, asservissait et sanctionnait par le sexe". Les proies, livre enquête que la journaliste du Monde publie mercredi, en fait la démonstration effarante. Elle révèle, témoignages à l’appui, que le colonel n’était pas seulement le "séducteur compulsif" décrit jusque-là dans les médias, mais un violeur en série.

Mouammar Kadhafi avait mis son administration en coupe réglée pour assouvir ses pulsions, quatre fois par jour. Les victimes, femmes ou hommes, se comptent en "plusieurs centaines", affirme Annick Cojean, 55 ans, titulaire du prix Albert Londres. La riche carrière de cette fille de notaire finistérien a pourtant prouvé son peu de goût pour les formules sensationnalistes.

L’une des victimes de Kadhafi est nommée Soraya, dans le livre. L’auteure l’a rencontrée en Libye, fin octobre 2011, juste après la mort du dictateur. Soraya avait 15 ans, en 2004, quand il a visité son école, à Syrte. Elle était fière de faire partie du groupe de jolies lycéennes choisies pour remettre des fleurs au Guide de la révolution. Il l’a récompensée en posant une main sur sa tête. Dans l’entourage de Kadhafi, on appelait ce geste "la touche magique".

Le lendemain, trois femmes passaient chercher l’adolescente dans le salon de coiffure de sa mère. Kadhafi l’a violée trois jours plus tard, après que le test sanguin pratiqué par ses infirmières ukrainiennes eut prouvé que l’adolescente était "saine" (Kadhafi avait peur du Sida). Soraya va passer plusieurs années enfermée dans les sous-sols de Bab al-Azizia, le palais de Tripoli, avec une vingtaine d’autres. L’effectif tournait. L’appel tombait régulièrement : "Le maître te demande…" Un maître violent, vulgaire, constamment sous substance : cocaïne, whisky, Viagra.

Les Amazones ? "Du décorum"

Le recrutement des victimes avait lieu dans les "comités révolutionnaires", les facultés, les salons de beauté et dans cette fameuse académie militaire pour femmes qui valait à Kadhafi sa réputation de "féministe". Il les a tellement exhibées en voyage, ses Amazones, gardes du corps en uniforme… Une femme officier témoigne, dégoûtée : "Kadhafi s’y servait à sa guise". C’était "un simple décorum". Les vrais gardes étaient en coulisse : "Des hommes de Syrte, sa ville natale."

"Tous les responsables connaissaient sa méthode. Certains l’utilisaient, personne ne pouvait parler. Même encore aujourd’hui, s’indigne Annick Cojean. Le viol reste un tabou extraordinaire en Libye. Parce que la honte rejaillit sur les victimes et leur entourage : les pères, frères, maris sont considérés comme des sous-hommes s’ils n’ont pu laver ce crime dans le sang."

Une vidéo d’avertissement circulait chez les gardes de Kadhafi, montrant l’un d’eux écartelé entre deux voitures : il avait hurlé parce que le maître avait "visité" sa femme. Le viol était une "arme politique", explique encore l’avocat Mohammed al-Alagi, actuel président du Conseil suprême des libertés publiques, un des rares leaders de la nouvelle Libye démocratique à aborder le sujet.

Le dictateur mégalomane, qui régna quarante-deux ans sur le pays et sur ses riches ressources pétrolières, abusait aussi des certains ministres, de leurs femmes, de filles de généraux, d’épouses de diplomates étrangers, de stars… Parfois par la force, parfois en distribuant des valises de billets. Le fils de bédouin pauvre y voyait une façon d’humilier à jamais toutes les têtes susceptibles de dépasser.

Exagéré ? L’obstinée Annick Cojean a pu accéder à Mansour Daw, chef de la sécurité, cousin et dernier fidèle du guide, capturé à ses côtés par les rebelles. Aujourd’hui en prison, il ne renie rien du régime. Sauf sur la partie "vie privée", dont il ne veut pas entendre parler.

Mais il raconte quand même avoir marié son fils dans la plus grande discrétion, interdisant les portables, pour éviter que des photos des invitées ne circulent dans l’entourage de Kadhafi. Pourquoi ? "Je ne voulais pas que ma famille soit victime de ses agissements."

"Arme politique", le viol est devenu une "arme de guerre" contre la rébellion. Dans les caches des milices pro-Kadhafi, à Benghazi, Misrata ou Zouara, on a retrouvé des centaines de boîtes de viagra. L’ordre venait d’en haut.

La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur ces crimes de guerre. Mais elle se heurte à ce tabou du viol dans une société puritaine et traditionaliste, qui transforme les victimes en coupables.

"Le livre, traduit en arabe, sortira le mois prochain en Libye, ça m’angoisse, soupire Annick Cojean. On ne peut imaginer à quel point le sujet est sulfureux, là-bas. J’ai peur pour Soroya et les autres. Mais j’espère que cela va permettre de reconnaître leur souffrance. C’est fondamental."

François Chrétien

Les proies, dans le harem de Kadhafi, Annick Cojean, Grasset, 19 €, 324 pages.

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Commentaires (9) | Réagir ?

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rachid mihoub

Viol de la kabylie ? Décidément chassez le naturel il revient au galop : seule la Kabylie souffre en Algérie. Pour le reste tout va bien : la zone Sud productrice d'énergies (gaz et pétrole) n'a pas fini de faire les frais d'une gestion adminstrative et d'un aménagement nul! Absence de liaison aérienne par exemple pour la ville de Laghouat, alors meme qu'elle a attendu un siècle avant d'obtenir son aéroport civil définivement fermé aujourd'hui mais on ne sait pas pourquoi ?; infrastructures scolaires insuffisantes, chômage en explosion alors que les bases de Hassi Rmel sont à proximité...... et que le travail ne devrait pas manquer.. Non cessons cette vision néo coloniale ou la Kabylie est seule à souffrir.. Et çe ne sont pas les visites du Président à Laghouat (ou la rencontre avec les chefs de confréries religieuses qui va arranger tout, les gens ne sont pas bêtes....) qui va améliorer les choses: il n'y a pas un jour sans manifestations et pneus brulés pour distribution clientelliste de logement ou de la hogra renforcée par une présence de l'armée ultra visible même au dessus des toits des maisons... tout cela est facilement consultable sur You Tube alors un effort en matière d'information.....

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ali Foughali

M. François Chrétien vous n'auriez pas par hasard un autre livre comme celui là mais sur l'Algérie.

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