Le Liban menacé par la guerre civile en Syrie

Les violences de la guerre civile qui se déroule en Syrie commencent à gagner le Liban voisin, où réside une très forte communauté syrienne. La contagion armée inquiète les Libanais et la communauté internationale.

Echanges de tirs, barrages de pneus incendiés, appels à la démission du Premier ministre, armée accusée d'être à la solde de l'étranger: depuis quelques jours, les violences en Syrie ont réveillé au Liban les affres des tensions intercommunautaires qui l'ont plongé dans la guerre civile il y a plus de trois décennies. Dans la ville portuaire de Tripoli, dont la population majoritairement sunnite soutient les insurgés syriens, neuf personnes ont été tuées la semaine dernière au cours d'affrontements entre sunnites et alaouites.

La violence s'est étendue lundi à Beyrouth après la mort d'un dignitaire religieux sunnite, tué par des militaires libanais à un poste de contrôle routier dans la province d'Akkar, au nord du pays. Mardi, ce sont des chiites qui ont dressé des barrages sur les routes d'un quartier du sud de la capitale pour dénoncer l'enlèvement de treize des leurs par des insurgés syriens présumés près d'Alep, alors qu'ils rentraient d'un pèlerinage en Iran. "Nous entrons dans une phase d'instabilité durable au Liban. Il n'y a aucun moyen direct de circonscrire totalement ces événements", estime Ayham Kamel, analyste d'Eurasia Group.

A Moscou, la situation est jugée suffisamment préoccupante pour que le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov évoque "un réel danger de voir le conflit s'étendre au Liban où, compte tenu de son histoire et de la composition religieuse et ethnique de sa population, il pourrait très mal se terminer". Le roi Abdallah d'Arabie saoudite se dit quant à lui "profondément préoccupé", dans une lettre ouverte adressée au président libanais Michel Souleimane.

"Du fait de la gravité de la crise qui risque de donner lieu à des violences religieuses au Liban et de raviver le spectre de la guerre civile, nous vous invitons (...) à intervenir pour y mettre fin (...) et pour tenir le Liban à l'écart des conflits étrangers et notamment de la crise syrienne", ajoute-t-il.

Trafic d'armes

Le soulèvement en Syrie a placé le Premier ministre libanais Najib Mikati dans une position d'arbitre intenable entre partisans et adversaires tout aussi acharnés du régime de Damas, qui a longtemps imposé sa pax militari au Liban. Najib Mikati est lui-même une incarnation des contradictions libanaises: musulman sunnite de Tripoli, il a des liens étroits avec le pouvoir alaouite syrien et n'a accédé au pouvoir l'an dernier que lorsque les chiites du Hezbollah et leurs alliés chrétiens ont fait tomber le gouvernement sunnite de Saad Hariri.

Il a promu une politique de "dissociation" avec les événements en Syrie dans l'espoir d'éviter une contagion des violences à travers des frontières poreuses, sans empêcher des incidents frontaliers, ni un afflux de réfugiés dans un sens et d'armes dans l'autre. Au point que le régime syrien a accusé le Liban de "couver les éléments terroristes" qu'il accuse d'être à l'origine du soulèvement. L'armée libanaise a réagi en saisissant le mois dernier trois conteneurs remplis d'armes libyennes probablement destinées aux rebelles syriens.

"Il n'y a aucun moyen de parvenir à un équilibre entre ces intérêts contradictoires. Il va être très difficile pour le gouvernement de calmer la communauté sunnite et de contrôler en même temps le trafic d'armes", souligne Ayham Kamel.

Le Hezbollah, allié de Bachar Al Assad et membre de la coalition gouvernementale, "veut empêcher un soutien effectif à l'opposition syrienne qui changerait le rapport de forces sur le terrain", précise Sahar Attrache, analyste d'International Crisis Group.

Mais cette politique mécontente les sunnites du nord du Liban, qui se sentent depuis longtemps délaissés par le pouvoir central et dont les groupes les plus radicaux sont d'autant plus revendicatifs que le départ de Saad Hariri à l'étranger a créé un vide à la tête de la communauté sunnite. 

Les violences de la semaine dernière à Tripoli ont ainsi été provoquées par l'arrestation de Chadi al Moulaoui, un islamiste accusé d'appartenir au mouvement terroriste Al Djamaa al Islamya et opposant notoire au régime d'Assad. L'homme a finalement été libéré sous caution pour ramener le calme. "La démonstration de force provoquée par l'arrestation de Moulaoui est un phénomène nouveau", relève Sahar Attrache. "Avant, ces groupuscules avaient besoin d'une couverture politique. Désormais, ils agissent de manière beaucoup plus indépendante."

Les affrontements de Tripoli ont opposé des combattants sunnites à des membres de la petite minorité alaouite, mais aussi à des soldats de l'armée libanaise quand ceux-ci ont tenté de s'interposer. Cette intervention et la mort dimanche du dignitaire sunnite tué par des soldats ont alimenté un vent de colère contre l'armée, accusée par un député sunnite d'être "au service de la Syrie" et qualifiée de "traître" par des habitants de Tripoli.

"Ces critiques contre l'armée sont très inquiétantes, très dangereuses", souligne Sahar Attrache, rappelant que la perte de légitimité de l'armée - qui rassemble toutes les communautés sous un même uniforme - est un des facteurs qui a fait plonger le Liban dans la guerre civile en 1975.

Après l'enlèvement des pèlerins chiites, mardi en Syrie, le Hezbollah a appelé les membres de sa communauté à la retenue et à ne pas participer aux combats qui ont opposé à Beyrouth des militants sunnites pro et antisyriens.

"Le Hezbollah va rester les bras croisés", estime Amal Saad Ghorayeb, auteur d'un livre sur le mouvement chiite. "Tant que ces groupes ne constituent pas une menace pour la résistance (à Israël), il ne se laissera pas entraîner dans des affrontements intercommunautaires."

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