Syrie : Homs agonise sous les bombes du régime d'Al Assad

Les quartiers rebelles de la ville de Homs (centre) étaient violemment bombardés par les forces du régime syrien ce jeudi, notamment à Bab Amro (ou Baba Amr), secoué par des explosions «terrifiantes», selon des militants qui disent lancer un «dernier cri de détresse».

"Nous lançons un dernier cri de détresse. Les gens, s'ils ne sont pas tués par les bombardements, vont mourir de faim et de soif", affirme Omar Chaker, militant sur place. "Bab Amro, ainsi qu'une partie du quartier d'Inchaat, sont bombardés depuis 7 heures du matin et des tirs de mortier sont tombés sur Khaldiyé", indique de son côté Rami Abdel Rahmane, chef de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

"On entend des explosions terrifiantes, effroyable", rapporte de son côté Hadi Abdallah, un militant local de la "Commission générale de la révolution syrienne". «Plus les condamnations (internationales) se succèdent, plus le bombardement s'intensifie», commente-t-il.

Le centre de presse visé

Les quartiers de cette ville stratégique du centre de la Syrie sontbombardés sans relâche depuis le 4 février par les forces du régime du président Bachar al-Assad. "Aujourd'hui, nous n'arrivons pas à joindre une dizaine de militants, ni via Skype (téléphone par Internet), ni via Thuraya (téléphone satellitaire)", précise par ailleurs le militant. "Nous recueillons aujourd'hui nos informations en dehors des quartiers bombardés, les communications sont totalement coupées à l'intérieur", indique de son côté Rami Abdel Rahmane.

Ce 20e jour de bombardement intervient au lendemain de la mort de deux journalistes occidentaux, l'Américaine Marie Colvin, grand reporter du Sunday Times, et le Français Rémi Ochlik, photographe à l'agence IP3 Press, dans le pilonnage d'une maison transformée en centre de presse pour les militants.

"Nous sommes sûrs que le centre a été visé car il y a 11 obus qui sont tombés sur et autour du bâtiment. Les forces du régime ont capté un signal de transmission", selon Hadi Abdallah. Le chef de l'OSDH avait affirmé ce mercredi que des avions de reconnaissance «ont probablement capté des signaux indiquant des communications par satellite» avant de viser le centre.

Aide humanitaire d'urgence

Aucun des militants interrogés n'était en mesure d'indiquer où se trouvaient les corps des journalistes. «On ne peut pas confirmer s'ils ont été retirés de Bab Amro», indique Hadi Abdallah. Le sort de trois journalistes blessés était également inconnu dans l'immédiat. Les militants craignent depuis plusieurs jours un assaut du quartier rebelle, «défendu» selon les militants par les combattants de l'Armée syrienne libre (ASL).

«Assad veut en finir, mais il craint une résistance féroce à l'intérieur des quartiers, il ne veut pas d'une guerre urbaine», indique Rami Abdel Rahmane. Le pilonnage se poursuit au moment où la communauté internationale cherche à instaurer une trêve en vue d'acheminer une aide humanitaire d'urgence, notamment vers Bab Amro, où les quelques milliers d'habitants bloqués font face à une situation de plus en plus difficile.

"Nous sommes en train de transporter les blessés vers les maisons, car même l'hôpital de campagne est visé. Quitter Bab Amro relève du suicide", selon Hadi Abdallah. "Nous craignons un génocide, et ce n'est pas un mot que nous lançons au hasard." "Nous ne comprenons pas pourquoi la communauté internationale ne se mobilise pas, pourquoi elle est apathique. Pour qu'un seul homme reste, tout un peuple est massacré", affirme-t-il, en référence à Bachar al-Assad.

Damas rejette la responsabilité de la mort des journalistes

Le régime syrien a rejeté ce jeudi toute responsabilité dans la mort des deux journalistes étrangers tués la veille, estimant qu'ils étaient entrés sur le territoire «sous leur propre responsabilité».

"Nous refusons les déclarations qui font endosser à la Syrie la responsabilité de la mort de journalistes qui se sont infiltrés sur son territoire sous leur propre responsabilité", a annoncé le ministère des Affaires étrangères, cité par la télévision d'Etat. "Le ministère des Affaires étrangères réaffirme la nécessité pour les journalistes de respecter les règles du travail journalistique en Syrie et d'éviter les infractions en entrant [clandestinement, ndlr] en territoire syrien pour accéder à des zones qui connaissent des troubles et qui ne sont pas sûres", poursuit le ministère.

Avec AFP

A Homs, "même les enfants sont en colère"

La nuit, la pluie, la boue et une petite colonne d’ombres qui ploient sous leur fardeau. Des torrents de pluie et des champs de boue. Un mur à franchir. A nouveau la boue, si dense qu’elle aspire les chaussures. Encore un mur. Les ombres se faufilent entre les fermes isolées, glissent en sautant des arroyos, trébuchent mais ne trahissent pas le silence, à peine réveillent-elles un chien. Chacune porte ce qu’elle peut sur son dos, de la farine, du lait pour enfant, des médicaments. Une épopée de fourmis pour ravitailler Homs, ou plutôt Bab Amro, le dernier quartier insoumis, le symbole des symboles de l’insurrection syrienne, assiégé depuis des mois et bombardé depuis quinze jours du lever au coucher du soleil.

Tireurs embusqués. Ce sentier improvisé de boue épaisse qui serpente entre les postes de l’armée, c’est le seul itinéraire possible pour gagner Bab Amro, le seul lien avec le monde extérieur. Après la campagne, il y a le passage secret - dont on ne peut révéler l’emplacement, sous peine que l’armée syrienne le détruise comme elle l’a fait avec le précédent -, une canalisation souterraine longue de 4 kilomètres. Une fois à Homs, les membres de l’Armée syrienne libre (ASL), de très jeunes gens surexcités, prennent les provisions et s’occupent de les distribuer. Leurs voitures ronflent, puis bondissent dans la nuit, tous feux éteints. Malgré la nuit opaque, elles sont bientôt repérées et poursuivies par les rafales des tireurs embusqués, jusqu’à ce que les premières ruines leur offrent un asile incertain. Après, il y a les rues sous le feu des snipers et celles qui leur échappent. Dans les secondes, il est possible d’allumer les phares et de conduire moins vite. Dans les autres artères, la vie joue à la loterie.

A regarder la ville, on dirait qu’elle ne respire plus. Les rues sont livrées à l’ordure et aux décombres. Pas un passant, à l’exception de quelques combattants ou d’un médecin qui, en courant, défiant les balles des tireurs, n’a pas renoncé à rentrer chez lui pour rassurer sa famille. La nuit, quelques voitures osent se hasarder dans les artères défoncées, le plus souvent en quête de quelques vivres dans d’autres quartiers, ceux qui ne sont pas encore complètement sous la coupe de l’armée syrienne. Quelques très rares lumières, dont celles du petit centre de presse, celui que les bombes ont anéanti hier, tuant deux journalistes occidentaux (lire page 5), installé au rez-de-chaussée d’un immeuble de trois étages. Le dernier avait déjà été fracassé par un obus. Les habitants du lieu, la famille d’Abou Omar, un chauffeur de taxi de 48 ans, avaient trouvé refuge dans une maisonnette contiguë au bâtiment. Quelques jours plus tard, le 9 février, une roquette frappait à son tour la petite maison, tuant l’épouse du conducteur, sa fille et une autre qu’ils avaient accueillie. «Elles ont été tuées pendant leur sommeil. A ce moment-là, j’étais sorti chercher de la nourriture, c’est pourquoi j’ai été épargné», raconte Abou Omar, qui décrit avec des gestes toutes les tortures qu’il aimerait infliger à Bachar al-Assad. Il ne reste que quelques pans de murs de la maisonnette.

"Terrifiés". Pas très loin, il y a un autre immeuble. On le croit vide, mais toute une famille s’y cache. Hamida, 30 ans, survit comme elle le peut avec six enfants, les siens et ceux de membres de sa famille. Elle-même, à cause de la peur, n’a plus de lait maternel à donner à Farane, son bébé de 16 mois : "Et je ne sais quoi faire pour occuper les autres enfants. Ils pleurent, ils crient. Ils sont terrifiés. Même les plus petits sont en colère. Ils demandent pourquoi on nous fait ça. On se sent complètement abandonnés par la communauté internationale. Mais ces petits enfants ne sont quand même pas des terroristes !" Diana, une fillette de 8 ans, intervient : "Moi, j’ai trop peur de Bachar al-Assad." Déjà, la famille a perdu Ahmed, 16 ans, tué en allant chercher de la nourriture.

Le centre de presse - en fait une seule pièce où les Syriens comme les rares journalistes occidentaux de passage travaillaient, mangeaient et dormaient côte à côte - était dirigé d’une main de fer par Abou Hanin, dont le nom signifie «le père de la Nostalgie», le prénom de sa fillette. Lui, dont la vie est particulièrement menacée et exposée, a décidé d’informer jusqu’au bout. Il fait tout son possible pour trouver de l’essence afin de faire fonctionner générateur, ce qui permet d’avoir de l’électricité et, dès lors, de conserver un accès à Internet et de pouvoir regarder la télévision. Sur la chaîne Al-Jezira, on peut voir les représentants débattre aux Nations unies de la Syrie et d’une éventuelle résolution. "Allez-y Messieurs. Discutez, discutez… pour arriver à rien du tout. Et pendant ce temps, le massacre continue. Aujourd’hui, c’est une belle journée. Il y a déjà des dizaines d’obus qui sont tombés", lance-t-il dans un anglais parfait. Depuis dix mois, Abou Hanin informe coûte que coûte. Pour cela, il a réuni une dizaine de journalistes-activistes qui réalisent des vidéos sur le siège de Bab Amro. L’un d’eux vient de rentrer. "J’ai été visé par un sniper près de la mosquée", dit-il négligemment, comme s’il évoquait l’arrivée d’une averse. Personne ne prête attention à ses paroles.

Orage d’acier. C’est encore Abou Hanin qui accepte d’emmener les journalistes de passage dans les rares endroits où la vie du quartier se manifeste encore un peu : les centres de premiers secours et de ravitaillement, des souterrains où l’on fait le pain et ou s’entassent jusqu’à 300 femmes et enfants… Il sait appréhender, en fonction des heures de la journée, l’incessant déluge d’obus, quand il est possible de se risquer ici ou là. Au volant de sa voiture, c’est encore un autre homme qui se découvre. Dans les rues les moins exposées, il se concentre en roulant doucement. Puis, brutalement, il jette son véhicule dans l’orage d’acier, parcourant les artères crevassées et boueuses à une vitesse qui défie la raison, plongeant dans les vastes flaques d’eau, sans jamais montrer la moindre nervosité.

Il n’est pas le seul héros ordinaire. Un habitant du quartier, Abou Zyad, un technicien de 47 ans qui en paraît 70, avec un bonnet de ski enfoncé à ras des sourcils, un blouson de cuir fatigué et une barbe bien taillée en dépit des circonstances, fait d’incessants va-et-vient à travers les lignes de l’armée pour ravitailler les habitants. A chaque fois, il apporte un sac de 70 à 80 kg, en général du sang pour les blessés, des médicaments et du lait pour les nourrissons, qu’il fixe sur une petite moto chinoise avec laquelle il roule tranquillement, empruntant les chemins détrempés qui permettent d’approcher Homs. Puis, il cache le véhicule, prend son lourd sac sur une épaule et, à la faveur de l’obscurité, gagne à pied la ville assiégée. "Je marche pendant environ un kilomètre. Je fais attention aux écoles qui sont toutes remplies de soldats. Puis, j’arrive à la première tranchée qu’ont creusée les soldats et qui est large de quatre mètres et profonde de deux. Après, c’est la route à traverser. Puis, la seconde tranchée, pareille à la précédente", raconte en fumant cigarette sur cigarette ce père de trois enfants, dont une fillette qui est, dit-il, "la chose la plus précieuse de ma vie". Il ne se rend même pas compte qu’il accomplit quasiment au quotidien un exploit. "Si on ne fait pas ce genre de boulot, qui d’autre prendra soin de nos gosses ?" demande-t-il simplement. Un peu d’humour avant de repartir : «Quand notre révolution sera finie, je viendrai vous aider à faire la vôtre. Je viendrai avec ma petite moto, mais elle ne sera plus chinoise», rigole-t-il en faisant référence à la position de Pékin en faveur d’Al-Assad.

Chant des coqs. Autre héros, le Dr Mohammed Mohammed, ancien médecin militaire qui a déserté l’armée en décembre et seul véritable professionnel du Centre des premiers soins. Après avoir mis sa famille à l’abri à l’extérieur du pays, il est venu spécialement du nord du pays dans l’enfer de Homs pour partager le sort de sa population. Avec une pince, il arrache brutalement un fragment d’obus de l’œil d’un blessé qui vient de succomber, faute de matériel adéquat. Puis, seule façon de surmonter un stress né de cette impuissance, il se met à hurler et à insulter le régime avec une incroyable violence, face à une caméra du centre de presse. "Voir les gens mourir sans rien pouvoir faire alors qu’on pourrait les sauver, c’est la pire chose pour un médecin. Il y a quelques temps, un homme a mis deux jours à mourir à cause d’un éclat dans la tête", dit-il, en esquissant nerveusement avec les bras d’illusoires gestes de défense chaque fois qu’un obus tombe à proximité du dispensaire.

Pour Abou Hanin, du centre de presse, ce que souhaite le régime n’est pas tant prendre la ville que d’en faire un exemple. "Homs n’est défendu que par quelques centaines de combattants. Avec ses chars et ses milliers de soldats, Bachar peut s’en emparer quand il le désire. Non, ce qu’il veut d’abord, c’est la punir. Détruire Bab Amro, c’est détruire le cœur de la révolution." Le pilonnage du quartier est si violent que le silence est rare. Pourtant, entre deux salves d’obus, on entend le chant des coqs, singulier et unique rappel que la vie n’a pas renoncé dans la ville agonisante, et qu’elle persiste coûte que coûte.

Jean-Pierre Perrin, envoyé spécial de Libération à Bab Amro (Homs)

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Walid Annabi

Les faits se compressent implacablement sans que la raison humaine puisse retirer ou ajouter quoique ce soit. C'est l'Histoire qui s'écrit. Le président Al Assed, impassible (en apparence) affirme ne pas avoir donné l'ordre de de tuer, on pose la question suivante : qui est-ce qui est commandant en chef organique des forces armées d'un pays ? Chez nous, c'est Boutef. En Syri, certains militaires forcent des civils à reconnaître qu'Al Assad est leur Dieu, ou sont les oulémas et leur chef El Botti. Finalement il faudrait revoir le titre de l'article en fait c'est Al Assad qui agonise.