Nos walis dans les films chocs

Alger dans les années 1970
Alger dans les années 1970

Il y a quarante ans, un film de course-poursuite entre une autorité mandatée et quelque groupe civil armé était à peine toléré à la télévision.

Notre pauvre génération se rappelle, surtout nos camarades du volontariat sacrifiant les séances cinéma, les sorties entre copains, les poignants derbies foot et, en été, les escapades en mer ou en forêt, le suspense sadique sur le JT interminable suivi d’un discours ou d’une émission spéciale avant la retransmission d’un match de final de coupe d’Europe terminé depuis deux heures.

La glorieuse époque des passeurs à tabac

C’était la période qui correspondait à peu près au kidnapping du fils du patron de la BNA, si on a bonne mémoire, résolue en quelques heures qui fait dire jusqu’à présent à des contemporains de l’évènement qu’il s’agissait d’un règlement de comptes pour impardonnable mépris envers autrui entre deux familles au statut social aux antipodes qui avait mal tourné.

Si on pouvait donner une image de ce que fût l’autorité sécuritaire à l’époque, la police et la gendarmerie, celle-là surtout, on aurait sans risque de beaucoup se tromper avoué qu’il s’agissait d’un imperturbable, paisible et fier gardien de troupeau, celui-ci obéissant au doigt et à l’œil malgré le confinement de l’enclos et la restriction du pacage. Il valait mieux jadis avoir un parent ou voisin flic, même dans la voierie, que professeur à Bab Ezzouar flambant neuf. Il n'aurait pas été aussi moins périlleux de bouffer un ramadan les yeux dans les yeux devant l’imam de Djamaa el Kébir ou de Sidi Boumediene qu’à cinq mètres d’un CRS patrouillant à Bab el Oued ou d’un gendarme vous observant de la fenêtre arrière de sa Land-Rover.

Au commissariat de police ou dans la brigade de gendarmerie de Salah Vespa ou de Ahmed Bencherif, vous subissez déjà un châtiment quel que soit le délit non encore présenté et expliqué devant le procureur de la République. Anecdote.

Assez soûls jaillissant du balcon Saint-Raphaël, à El Biar, avec un ami de l’Unja, tard dans un soir printanier, nous entrons en chamaille avec un "taxieur" qui ne voulait pas nous conduire vers la cité universitaire de Ben Aknoun où des camarades nous attendaient. Puis comme sorti du néant ou des entrailles de la terre un panier à salade nous chope et direction le poste de police après deux deuxième de hanche, trois uppercut et un bras volé. Mon copain essaye de fausser compagnie mais un croche-pied envoyé de derrière le véhicule a failli le faire tomber si ce n’est la reprise de volée sur la poitrine en coup de ciseau du flic qui aidait à me maîtriser. Bref, la cellule au sous-sol était un salut.

De la boîte de thon du monoprix à la bombe dans le boulevard

A l’intérieur se tenait au fond assis pensif sur la balustrade en béton froid servant de lit un jeune de notre âge, un œil au beurre noir et une entaille sanguinolente dans la lèvre inférieure. Il y était pour avoir dérobé dans l’après-midi une boîte de thon au monoprix du Cheval blanc. "Si au moins je l’ai dégustée", nous dit-il en nous narrant comment il s’est fait attraper par le surveillant de l’établissement à quelques pas faufilés en quittant la porte de sortie. Là aussi la Vr arriva comme téléportée et le traitement prophylactique aussi, un jeu de labs et un sacré revers de coude au visage associés à un bon coup de genou au pubis.

Nous passons la nuit plutôt à rire et à nous raconter des blagues. Notre ami de la disgrâce travaillait comme mitron dans une grande boulangerie mais ensuite chassé de l’établissement parce que prouvé sur lui des vols sur les mottes de beurre et sur le sucre. Il était originaire de la Basse Kabylie qu’il a dû quitter, selon ses dires, pour permanentes rixes parentales. Il était dans cette catégorie du service national qu’on appelait "apte non incorporable" que j’ai compris plus tard qu’il s’agissait de ces chanceux qui n’étaient pas malades ou soutiens de famille mais parce que les capacités d’intendance de l’armée ne pouvaient prendre en charge les promotions arrivées au complet..

A l’ouvrable, on nous présenta devant un officier chez qui se tenait le taxieur qui, après nous avoir traité de tous les noms en axant surtout le gravissime que nous étions étudiants, il retira la plainte. Nous avions laissé le "petit kabyle"- il s’appelait Achour - seul dans la cellule vers laquelle avant qu’on vienne nous appeler un policier avait ramené trois baguettes de pain.

Le parking de Bouteflika, les walis cascadeurs et les nouveaux flics

Je l’ai rencontré et tout de suite reconnu quelques années plus tard où j’étais déjà journaliste professionnel. Il avait été condamné à six mois d’emprisonnement qu’il avait purgés au Cpmc d’El Harrach. Il travaillait alors comme agent de manutention au souk el fellah de Chateauneuf. Nous sommes restés amis puis il disparut jusqu’au jour où j’apprends qu’il mourût dans l’attentat à la bombe du boulevard Amirouche près du commissariat central du 30 janvier 95, il y a jour pour jour, dix-sept ans. Il laissa une veuve et un garçon de cinq ans qui en a aujourd’hui vingt-deux, que je vois de temps en temps naviguer entre un parking sauvage et un furtif business de coin de rue. Il a perdu sa maman emportée par un cancer du colon. Il a été jusqu’à la première année secondaire qu’il a refaite sans succès pour le passage en seconde. Il me dit souvent de le pistonner pour un stage de formation comme flic.

Pourquoi je ne ferai rien pour qu’il le devienne ? Ce n’est pas parce que je dois me venger pour moi et pour son papa pour les abus commis par cette corporation, non. A l’époque, les passes droits étaient plutôt de l’ordre du zèle où le flic mal élevé se prenait vraiment pour un éducateur ; il vous cogne sur un prévenu comme il roue de coup sa propre progéniture, croyant "dresser" dans le sens animal du terme.

Aujourd’hui, ya el khawa, c’est plus grave, les flics plus "intellectuels" sont chargés de dresser des remparts pour qu’il n’y ait aucune courroie de communication entre les populations et les ultra citoyens qui régentent pour qu’il n’y ait pas contamination d’envie de pouvoir. La preuve ?

Regardez comment dans une étendue de l’Etat souverain deux importants commis de la nation vous refont le film de Jason Bourne en plein désert où un élu régional se jette sur un pistolet la voiture en marche, portière ouverte. Ce n’est pas dans une communauté étatique pareille qu’on conseille à un jeune homme de devenir flic. Je préfère si je n’ai pas d’autre choix franchement celui qui a tabassé le pauvre Achour parce qu’il n’avait pas à chaparder une boîte de thon car on n’entendait pas à l’époque des généraux qui portent des noms de manufacture ou de produits de label international.

Nadir Bacha

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Raveh Aksel

S'il y a bien une chose qu'ils apprennent par coeur, ces policiers et ces gendarmes de la RADP, c'est celle de mépriser le peuple, dont ils sont pourtant issus !! Les coups qu'ils distribuent ne sont que la monnaie de ce qu'ils ont reçu, lors de leur instruction ! Ne parlons pas alors de leur racisme ordurier, si jamais ils découvrent que la personne devant eux est de Kabylie !!