Chevènement et ses amis, publicistes du pouvoir algérien !

Chevènement et ses amis, publicistes du pouvoir algérien !

Mohamed Sifaoui a suivi pour Lematindz le colloque "France – Algérie au XXIe siècle", organisé hier samedi par l'ancien ministre de l'Intérieur français Jean-Pierre Chevènement , candidat aux élections présidentielles.

Il fallait avoir du temps à perdre pour aller un samedi après midi à l’Assemblée nationale écouter Jean-Pierre Chevènement et ses amis nous parler de l’Algérie. Un colloque au titre pompeux, "France – Algérie au XXIe siècle", une enceinte prestigieuse, épicentre de la démocratie française, des intervenants, souvent de qualité, Boualem Sansal, Omar Belhouchet, Jean Daniel, Régis Debray (pour ne citer que les plus intéressants), un public attentif, intéressé, parfois complaisant. Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour débattre. Mais débattre de quoi ? De l’avenir des relations algéro-françaises pardi !

Cette rencontre devait être tellement importante pour le pouvoir algérien que l’ambassadeur Missoum Sbih himself s’est déplacé. Un fait rare qui mérite d’être signalé. Le vieux représentant de la gérontocratie algérienne, s’est fait d’ailleurs quelque peu tirer les oreilles, avec le sourire, par un Jean-Pierre Elkabach, moqueur, (pourquoi s’en priverait-il ?) qui lui a rappelé qu’Europe 1, l’invitait régulièrement pour prendre la parole, mais que ce cher ambassadeur, qui a probablement peu de choses à dire, refusait quasi systématiquement les tribunes qui lui étaient offertes. Mais disons que ce n’était là qu’un point de détail.

En vérité, il y a eu très peu de débat et d’échange. Il y a eu surtout des monologues. Hormis un Boualem Sansal qui a pu rappeler certaines vérités (d’ailleurs l’ambassadeur algérien avait tout fait, selon certaines indiscrétions, pour ne pas avoir à les écouter), le reste était, disons une paëlla (tchaktchouka serait plus appropriée) de lieux communs, de poncifs et d’échanges de mamours entre des Algériens et des Français qui paraît-il s’aiment beaucoup et sont comme ces vieux couples ridés où l’on ne peut plus parler d’avenir quasiment pour des considérations physiologiques. Mais bon, n’allons pas blâmer tout de même des septuagénaires et des octogénaires qui ont probablement juste voulu nous faire rire en essayant de nous expliquer ce que seront les relations algéro-françaises dans 20, 30 ou 40 ans. Il est évident qu’à partir d’un certain âge, on a tendance à se croire éternel (il n’y a qu’à observer Bouteflika !) et à s’imaginer aux affaires, y compris dans un demi-siècle. D’ailleurs, quand on sait qu’en 1962 Missoum Sbih, d’un côté, (comme directeur de la fonction publique) et Jean-Pierre Chevènement, d’un autre (comme Préfet d’Oran), étaient tous les deux déjà des responsables politiques, représentant chacun son pays, on comprend leur état d’esprit et la relation qu’ils entretiennent avec la chose publique. Mais passons !

Entre le ton tantôt professoral tantôt comique d’un Malek Chebel qui a parlé plus de lui-même que des relations algéro-françaises et les envolées lyriques d’un Chevènement ou d’un Raffarin dont on ne sait plus s’ils sont amis des Algériens ou du régime d’Alger et entre des représentants d’entreprises françaises plus soucieux de signer de juteux contrats qu’autre chose et un Jean-Pierre Elkabach qui est venu nous rappeler que l’Algérie "est forte", tous les ingrédients étaient réunis, en réalité, pour présenter les tenants du pouvoir algérien comme des gens respectables, sérieux et crédibles. N’est-ce pas là, le véritable objectif d’un tel colloque ?

De ce point de vue, la présence très remarquée du ministre Chérif Rahmani, venue en famille à Paris, parler d’aménagement du territoire et d’environnement en est l’une des illustrations. Il ira jusqu’à éluder royalement l’une des rares questions que le public a eu le droit de poser et qui portait sur cette saleté qui caractérise les villes algériennes depuis quelques années. Comment pouvait-il répondre à une telle interpellation alors que le pouvoir auquel il appartient favorise la clochardisation de la société ? Qu’aurait-il pu rétorquer cependant que l’intervention de cet éternel ministre, pur produit du système, a, à peine effleuré les profonds changements qui touchent le monde arabe et les aspirations démocratiques de la société algérienne. En fait, il a été à l’image de tous ces représentants du pouvoir, arrogant, suffisant, grandiloquent, mais avec peu de talent, montrant une indécente autosatisfaction devant des "amis" français décidément bien complaisants à l’égard du pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika et du général Mohamed Mediène.

À l’évidence, personne n’a appris à Chérif Rahmani que pour parler d’aménagement du territoire, d’urbanisation ou même de politique environnementale, il faut préalablement évoquer le projet de société dans lequel est censé s’intégrer toute politique de la ville. Or, le ministre ne pouvait, en aucune manière, parler de projet de société, car tout simplement le gouvernement qu’il représente et le pouvoir dont il est l’un des apologues sont dénués de tout projet de société. Ce que Chevènement et les "amis" du pouvoir algérien ont oublié de mentionner, c’est d’abord et avant tout cette mauvaise gouvernance et cette perpétuelle instabilité politique : deux éléments objectifs qui empêchent forcément la mise en place d’une réflexion prospective sérieuse sur l’avenir des relations algéro-françaises.

Évidemment, si la France veut faire du business dans une logique de courte vue, la chose est simple. Il suffit de se rappeler que l’Algérie est désormais classée 112e parmi les pays les plus corrompus (étude de l’ONG Transparency International) identifier les "décideurs" qui ne rechignent pas à toucher des commissions voire même à verser des rétro-commissions et conclure ainsi des contrats. En d’autres termes, pour faire du bricolage dans le cadre des échanges franco-algériens, les choses sont simples. Le pouvoir de Bouteflika se vend au plus offrant et non pas au mieux disant.

Si par contre, il est question de réfléchir sérieusement sur les relations politiques, économiques et diplomatiques entre les deux pays, dans une longue perspective, il convient de poser trois questions essentielles aux tenants du régime algérien :

Primo : il faudrait que nous puissions avoir des indications précises sur les intentions de Bouteflika et du DRS, cette police politique qui contrôle et rythme la vie de la faune et de la flore en Algérie. Comptent-ils laisser le pays se démocratiser de manière effective ou sont-ils résolument décidés à pérenniser leur système ? Et subsidiairement comptent-ils passer de la "légitimité historique" à la "légitimité démocratique" ou alors espèrent-ils acheter la paix sociale indéfiniment en dilapidant l’argent du pays afin que leur règne soit épargné par les bouleversements qui touchent le monde arabe ?

Secundo : il faudrait qu’on s’aperçoive que le pouvoir réel en Algérie et en train de miser sur des islamistes mis sous sa coupe. En d’autres termes, il est évident que pour assurer la pérennité de ce système corrompu et incompétent, le pouvoir est prêt à aller, vingt ans après l’interdiction du FIS, à une compromission totale avec les intégristes. Les fanatiques qui ne remettent pas en cause la légitimité du pouvoir ont toujours été les bienvenus surtout s’ils participent à l’entretien de la bigoterie ambiante et à l’entretien de l’abrutissement de la société et singulièrement de la jeunesse. L’Europe et avec elle Chevènement ou Raffarin (pour ne citer qu’eux) qui lancent, à raison, des cris d’orfraies en voyant, par exemple, Rached Ghannouchi se hisser démocratiquement comme personnage fort du jeu politique tunisien, doivent savoir que celui-ci n’est guère plus islamiste qu’un Abdelaziz Belkhadem du FLN ou qu’un Bouguerra Soltani du MSP : deux partenaires historique de Bouteflika et du général Toufik. Ceci pour dire que le pays qui a le plus souffert des affres de l’islam politique est celui qui est en train, actuellement, à travers l’aveuglement de ses dirigeants, de s’adosser sur ce même islam politique dans l’unique but de garantir le pouvoir à une caste composée de civils et de militaires ayant choisi, au lieu de servir leur pays, de l’asservir.

Tertio : les dirigeants français qui ont choisi de miser sur les tenants de la mauvaise gouvernance et l’autocratie, comme ils avaient misé hier sur le tunisien Ben Ali ou l’Égyptien Moubarak, doivent savoir qu’ils font un mauvais investissement sur l’avenir, car, même si le pragmatique politique et le cynisme qui l’accompagne favorisent souvent l’installation de l’amnésie, il est évident que les démocrates algériens, même s’ils sont aujourd’hui fragilisés et méprisés, aussi bien en France que par le régime voyou qui est aux commandes de l’autre côté de la méditerranée, ces démocrates, dis-je, auront du mal demain à oublier que des Chevènement ou des Raffarin qui se réclament souvent des grands principes de la République et des grandes valeurs universelles mettent ces mêmes principes et ces mêmes valeurs sous le boisseau lorsqu’il s’agit de l’Algérie, voire lorsqu’il est question de leurs petits intérêts politico-personnels.

Car posons-nous la question ? Quelle affinité peut exister entre un Jean-Pierre Chevènement qui répète partout son attachement à la démocratie, à la laïcité, aux droits de l’Homme et le pouvoir de Bouteflika qui crache sur la démocratie comme il a craché sur la déclaration du 1er Novembre 1954, qui s’allie avec les islamistes, ennemis de la laïcité et des principes universels et qui a fait hisser l’Algérie parmi les pays les plus corrompus de la planète ? Évidemment, les mauvaises langues diraient qu’à la veille d’une élection présidentielle en France, le pouvoir algérien, connu pour sa grande "générosité", peut, en effet, devenir un allié indéfectible. Mais cette insinuation, ce sont les mauvaises langues qui la propagent. Pas nous !

Nous n’allons pas, tout de même, nous engager sur ce terrain, car nous pourrions dire toutes ces choses qui nous font parfois détester la politique…

Mohamed Sifaoui - Lematindz

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Commentaires (9) | Réagir ?

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ali Foughali

Je ne sais pas si Cheven ment ou il dit vrai.

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Afifa Ismail

Encore une comédie burlesque, ils auraient dû tenir séance à la Comédie française, le lieu était plus approprié. Malek Chebel a parlé de lui mais qu'y avait il à faire d'autre dans cette pseudoconférence, ce pseudo sujet ? Ce brillant intellectuel a le mérite de faire honneur à l'Algérie quand il s'exprime et non pas une humiliation de plus sur la place publique. Sansal aussi est hors sujet dans cette mascarade mais s'il a pu être une petite parenthèse de clarté et de vérité face à ces vieux guignols qui s'auto-congratulent alors tant mieux. Chevènement Monsieur vieille France toujours pas résolu à prendre sa retraite, il ose se présenter aux présidentielles, cela me rappelle une phrase des Tontons flingueurs "les cons osent tout, c'est à cela qu'on les reconnait".

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