L’Algérie attend depuis 25 ans devant la porte de l’OMC

L'Algérie souffre du dirigisme économique et du manque de visibilité à long terme.
L'Algérie souffre du dirigisme économique et du manque de visibilité à long terme.

En nous en tenant seulement aux pays en voie de développement, après des poids lourds du continent africain, voilà la Russie qui adhère à l’OMC. Pour sa part, l’Algérie, afin d’éviter sa marginalisation, bien que cette adhésion ait été inscrite dans le programme présidentiel 2004/2009, reconduit dans le programme 2009/2013, a un long chemin à faire si elle veut adhérer à cette organisation.

La communauté internationale a qualifié l’adhésion de la Russie à l’OMC comme étant "un résultat historique", la Douma devant ratifier cette adhésion début janvier 2012. Les réserves des Etats-Unis ayant invoqué de manière inattendue, l'article 13 du règlement leur permettant de ne pas accorder à la Russie la clause de la nation la plus favorisée (MFN), qui stipule qu'un pays ne peut pas appliquer aux membres de l'OMC des conditions douanières moins favorables que celle de son partenaire commercial le plus favorisé, interdisant donc de fait les discriminations, ne constitue pas un obstacle majeur. Pour accéder à l'OMC, la Russie a conclu 30 accords bilatéraux pour l'accès aux marchés des services, et 57 pour l'accès des biens. Concernant l'aspect multilatéral, Moscou a accepté d'abaisser le seuil de ses tarifs à 7,3%, contre 10% actuellement. La Russie a aussi accepté de limiter ses subventions agricoles à 9 milliards de dollars en 2012, et de les réduire progressivement à 4,4 milliards d'ici 2018. Sur le plan des télécoms, la Russie a accepté que le seuil de 49% maximum de capitaux étrangers soit supprimé 4 ans après son accession à l'OMC.

Sur le plan bancaire, les banques étrangères pourront librement ouvrir des filiales en Russie, mais ne pourront pas représenter plus de 50% du système bancaire suisse. Par ailleurs, à partir du jour de l'accession, les importations d'alcool, et de produits pharmaceutiques ne seront plus soumises à des licences d'importation. La Russie s'est aussi engagée à pratiquer des tarifs commerciaux "normaux", pour le gaz naturel. En effet, les 153 membres de l’Organisation mondiale du Commerce accueillent la Russie au sein de l’Organisation après 18 ans de négociations. D'autres pays issus de l'ancienne URSS sont en train de négocier leur adhésion à l'OMC, comme l'Ouzbekistan (depuis 1994), le Béarus (depuis 1993), ou le Kazakhstan (depuis 1996), et selon M. Medvedkov, l'accession de la Russie devrait accélérer le processus.

Pour les responsables russes et notamment, le négociateur en chef russe, M. Maxime Medvedkovo, concernant la crise actuelle et la mondialisation, il vaut mieux essayer de changer les institutions financières et économiques mondiales de l’intérieur, plutôt que d‘être mis de côté. Rappelons que la Russie a exporté plus de 400 milliards de dollars, 320 milliards d’euros de biens en 2010, 70% de cette somme étaient représentés par des minéraux (pétrole, gaz, minerais), 13% par des métaux et pierres précieuses et un peu plus de 6% par des exportations de produits chimiques. Toujours selon les autorités russes, devenir membre de l’OMC signifie pour les Russes qu’ils pourront bientôt acheter des machines-outils et les biens durables qu’ils importent, à des prix bien moins élevés qu’auparavant. 45% des importations russes sont des machines et des biens durables. L’adhésion de la Russie à l’OMC va lui permettre d’exporter plus de produits qu’avant. Son industrie sidérurgique notamment ne sera plus sujette aux quotas imposés aux exportateurs non membres de l’OMC. De plus, les barrières douanières vont disparaître sur 700 catégories de produits, ce qui va faire baisser les taxes à l’importation de 10 à 7%.

L’Algérie : 25 ans de négociations

Quant à l’Algérie, elle négocie son adhésion pour adhérer à l’organisation depuis 1987 c’est-à-dire depuis bientôt 25 ans étant un des pays qui atteint le record mondial. Le ministre algérien du Commerce vient d’affirmer en ce mois de décembre 2011 que l’Algérie serait membre de l’OMC pour 2012. Le directeur général adjoint de l’OMC , Alejandro Jara, lors d’une récente visite début juin 2011, a insisté sur le fait que l’Algérie devrait redoubler d’efforts pour son accession à cette organisation afin de ne pas rester en marge des mutations mondiales. Cela veut dire en langage diplomatique qu’il faille changer de politique économique. L’Algérie a déjà participé à 10 ronds de négociations et répondu à 1640 questions. Mais sur les 96 autres questions restantes, 13 stratégiques et les plus importantes demandées par les piliers de l’OMC, à savoir l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique restent en suspens. Les accords avec l’OMC, qui s’inscrivent dans un espace mondial concernant uniquement le volet économique, reprennent les grandes lignes de l’Accord qui lie l’Algérie depuis le 1er septembre 2005 à l’Europe, ancré dans le processus de Barcelone, qui s’inscrit dans un espace régional mais en incluant des volets politiques et culturels. Ces accords ont des incidences stratégiques sur le devenir tant de l’économie que de la société algérienne : interdiction du recours à la "dualité des prix" pour les ressources naturelles ; élimination générale des restrictions quantitatives au commerce (à l’import et à l’export) ; normes de qualité pour protéger la santé tant des hommes que des animaux (règles sanitaires et phytosanitaires) ; obligation d’observer les règles de protection de l’environnement dans l’usage de l’énergie pétrolières, les accords environnementaux conçus, certes, en dehors de l’OMC, ont été intégrés dans les préoccupations de l’OMC lorsque cet aspect nuit au bon développement du commerce ; mesures concernant la liberté des mouvements de capitaux (transfert de profits), la propriété intellectuelle dont la protection est une condition essentielle afin de lutter contre le piratage et donc, l’intégration de la sphère informelle dominante intiment lié à la logique rentière en Algérie qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et plus de 65% des segments de produits de première nécessité au niveau du marché intérieur.

D’une manière générale, l’adhésion de l’Algérie à l’OMC lui imposera l’ouverture des frontières et la spécialisation accrue suscitée par la mondialisation. En effet, tant les accords avec l’Union européenne que ceux de l’OMC prévoient de développer les échanges en mettant en place les conditions de la libéralisation progressive des échanges de biens, de services et de capitaux. Il s’ensuit que l’Algérie devra procéder au démantèlement des droits de douanes et taxes pour les produits industriels et manufacturés sur une période de transition. Tous les monopoles d’Etat devront être ajustésprogressivement de manière à ce qu’il n’existe plus de discrimination en ce qui concerne les conditions d’approvisionnement et de commercialisation des marchandises entre les ressortissants des Etats membres. Ces accords devraient donc faire passer les industries algériennes du statut d’industries protégées à des industries totalement ouvertes à la concurrence internationale avec la suppression totale des obstacles tarifaires et non tarifaires, posant d’énormes défis aux entreprises algériennes.

L’Algérie a demandé officiellement la demande de révision de l’Accord d’association avec l’Union européenne pour les tarifs douaniers, avec un report jusqu’en 2020 au lieu de 2017, expliquant que le dégrèvement tarifaire a fait perdre à l’Algérie 2 milliards de dollars et qu’à cette tendance, le montant serait de 7 milliards de dollars. Mais est-ce que trois ans suffiront alors que l’économie est en plein syndrome hollandais avec une corruption socialisée, produit du pouvoir bureaucratique sclérosant qui fait fuir les investisseurs sérieux, 98% d’exportation d’hydrocarbures à l’état brut et semi brut et important 70/75% des besoins des entreprises (le taux d’intégration public/privé ne dépassant pas en moyenne 15%) et de ménages ?

Absence flagrande de réformes structurelles

Le tissu productif tant public que privé, à de rares exceptions, est peu enclin au management stratégique, vivant de la rente du transfert des hydrocarbures, expliquant sa tendance protectionniste, constitué de PMI/PME, la structuration organisationnelle des entreprise y compris publiques étant - 49,90 % personnel - 32,14 % SNC-13,32 % SARL - 4,64 % SPA dont Sonatrach et Sonelgaz). Dialogue de sourd : la Commission européenne et les experts de l’OMC rétorquent qu’en dehors des hydrocarbures, l’Algérie n’a rien à exporter et que c’est l’absence de réformes structurelles qui empêche l’émergence de segments hors hydrocarbures. L’Algérie demande un transfert technologique et paradoxalement l’ouverture des marchés à des produits qu’elle ne produit pas avec une tendance au retour au tout Etat. En effet, depuis 2009, l’Algérie a vu une réorientation de sa politique socioéconomique qui va à contrecourant des principes régissant l’OMC, notamment des scandales de corruption à répétition, la généralisation du Crédoc et un nouveau code des marchés publics donnant la préférence nationale à 25% aux opérateurs locaux, l’encadrement de l’investissement étranger avec les 49/51%, l’intensification de la dépense publique via la demande sociale pour la paix sociale et non le couple savoir/entreprises.

Déclassement en rafale de l'Algérie

L’instabilité juridique et le manque de visibilité dans la politique socioéconomique, la dominance de la sphère informelle et un système financier totalement déconnecté du système financier international accroissent le pessimisme quant à une volonté politique d’ouverture et de véritables réformes économiques et politiques ; ce qui explique les déclassement successifs entre 2007/2011 de nombreuses organisations internationales, même celles supposées être de tendance tiersmondiste, comme les rapports sur le climat es affaires (Banque mondiale, CEE) le rapport du PNUD sur l’indice du développement humain et le rapport de Transparenty International sur la corruption, les institutions algériennes classées parmi le plus corrompu du Maghreb et du monde arabe en 2011.

Concernant son seul segment actuellement source d’exportation, existe un paradoxe : la volonté de certains responsables d’accélérer la cadence des exportations d’hydrocarbures pour thésauriser à l’étranger 94% de ses réserves de change (155 milliards de dollars dont 45% aux USA et 45% en Europe) à des rendements faibles voire nuls. Dans ce cadre, l’Algérie se doit d’être attentive à la nouvelle stratégie énergétique qui semble se dessiner au niveau mondial. Elle n'a pas attiré d’investisseurs potentiels ni réalisé de substantielles découvertes depuis de longues années, elle devrait donc devenir importatrice de pétrole dans moins de 15 ans, les réserves se calculant en fonction de l’évolution du prix international, du cout, et de la concurrence des énergies substituables. Mais aussi de gaz, tenant compte de la forte consommation intérieure avec un prix extrêmement bas, source de gaspillage, dans 25 ans, à moins d’un miracle, avec une population qui approchera 50 millions d’habitants.

Le régime manque de vision prospective

Elle doit donc tenir compte de l’ensemble des paramètres et variables qui traceront la future carte énergétique du monde, dont le gaz non conventionnel, les énergies renouvelables et le devenir du nucléaire qui bouleversent l’échiquier mondial depuis la catastrophe nucléaire au Japon. Cette nouvelle carte géostratégique aura un impact certain surtout que le prix futur du cours des hydrocarbures sera fondamentalement déterminé par la future politique énergétique des USA, de l’Europe et accessoirement de la Chine. Si l’entrée de l’Algérie dans le cadre de l’OMC ne peut avoir que peu d’impact sur le marché du pétrole, déjà inséré dans une logique mondiale ou régionale (gaz), il en va autrement de tous les produits pétroliers qui vont être soumis à la concurrence internationale. Ainsi la dualité des prix – mesure par laquelle un gouvernement maintient des prix internes à des niveaux plus bas que ceux qui auraient été déterminés par les forces du marché et les restrictions à l’exportation – ne peut plus être de mise dans un contexte de libéralisation des échanges commerciaux. Un des éléments d’achoppement des négociations, outre l’importance de la sphère informelle, est la dualité du prix du gaz pour des unités destinées à l’exportation, qui fausserait la concurrence internationale, l’argument du ministère de l’Energie arguant que ce prix couvre le prix de revient n’ayant pas convaincu à ce jour notamment les USA et l’Europe. En cas d’adhésion, les produits pétroliers, principalement les carburants, ne pourront plus bénéficier de prix brut à l’amont inférieur aux prix internationaux. L’accord insiste sur l’ouverture à la concurrence du marché des services énergétiques qui concernent toutes les activités, de l’exploration jusqu’à la mise à la disposition du produit au consommateur en passant par la production et le transport. L’environnement considéré comme un bien collectif est un domaine privilégié de coopération, l’objectif étant la préservation des équilibres écologiques, exigeant de mettre en place des normes de qualité de plus en plus strictes, l’Algérie devant s’engager à mettre progressivement en œuvre les différentes recommandations des chartes sur l’énergie et l’environnement. Evoquer uniquement la situation monoexportatrice ne tient pas la route les principaux pays de l’OPEP étant déjà membre de l’OMC.

L’adhésion ou pas à l’OMC dépendra grandement des rapports de forces internes (donc politiques) et surtout d’une réelle volonté clarification de la trajectoire future d’une libéralisation maîtrisée de l’économie algérienne pour une efficacité économique couplée avec une profonde justice sociale ; ce qui évitera cette concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière et donc une lutte efficace contre la corruption qui prend une proportion dangereuse. Ceci n’est pas une question de lois déjà nombreuses mais de pratiques sociales renvoyant à l’urgence d’une gouvernance rénovée. L’ensemble de ces contraintes, imposées tant par les accords d’association que de l’OMC pourront-elles arrimer l’économie algérienne à l’économie mondiale et jouer le rôle d’un important facteur d’entraînement du développement économique et du progrès social ?

C’est que la nouvelle politique économique algérienne devra mieux articuler le jeu du marché et l’action de l’Etat fondamental en tant que régulateur dans son rôle d’encadrement macroéconomique et macrosocial, au sein d'un espace équilibré et solidaire, le défi étant l’arrivée massive sur le marché du travail de millions de jeunes dans les deux prochaines décennies. La question qui se pose alors est celle de la possibilité de modifier le régime de croissance pour atteindre un double objectif, aujourd’hui apparemment contradictoire : d’une part, créer les emplois nécessaires, d’autre part, améliorer la compétitivité internationale tout en distribuant davantage de revenus, notamment par le canal de la productivité des facteurs. C’est que la structure productive actuelle rend la croissance volatile et soumise aux chocs externes, la ressource financière, l’importance des réserves de change n’étant pas synonyme de développement. La position extérieure de l’Algérie reste dominée par la faiblesse inhérente à sa spécialisation dans les hydrocarbures, (faiblesse la production et les exportations hors hydrocarbures moins de 2% du total donc marginales et à l’intérieur de ces 2% les demi-produits ferreux et semi-ferreux représentant plus de 60%), n’ayant pas de prise sur ses propres comptes extérieurs, qui ne dépendent que des cours du pétrole/gaz et du taux de change du dollar, le PIB par habitant évoluant de manière chaotique.

L'utopie économique algérienne

Disposant d’une richesse naturelle éphémère, celle-ci étant amenée à s’épuiser, l’Algérie doit à la fois préserver cette ressource pour les générations futures et progressivement trouver des sources de revenus différents. Il s’ensuit que les niveaux de croissance nécessaires pour entraîner une amélioration significative de la situation, estimés à 8/9% par an jusqu’en 2015/2020, semblent difficiles à atteindre à court terme. Pourtant, la concrétisation des réformes, étant dans cette interminable transition depuis 1986, (neutralisation des rapports de force autour de la distribution de la rente qui permet une cohésion sociale fictive), par une meilleure gouvernance et visibilité dans la démarche, menée avec détermination et pragmatisme, devrait permettre à l’Algérie, du fait de ses potentialités et de sa situation géographique, de jouer le rôle de pays pivot au niveau de la région passant d’ailleurs par l’intégration maghrébine au sein de l’Afrique du Nord et l’orientation de son appareil économique vers son espace social naturel qui est l’Afrique. Sans cette réorientation, il ne faut pas vendre des utopies comme ces anciennes déclarations de responsables gouvernementaux repris avec fracas par la télévision officielle ENTV, que l’Algérie serait membre de l’OMC en 2009, puis une autre déclaration en 2010. Or, force est de constater que l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce de l’Algérie qui est observateur depuis le 3 juin 1987 n’est ni pour 2012 ni pour 2013.

Professeur Abderrahmane Mebtoul, expert international en management stratégique

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