Le psychiatre et militant Frantz Fanon, "né colonisé, mort libre"

Un colloque a lieu à Alger sur Frantz Fanon
Un colloque a lieu à Alger sur Frantz Fanon

Un colloque de deux jours sur l’œuvre et la pensée du défenseur des peuples colonisés, Frantz Fanon, a débuté mardi à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de sa mort et pour jeter la lumière sur sa contribution à la lutte algérienne contre l’occupation française ainsi que son apport à la psychiatrie.

Il est rare que l'Algérie honnore les hommes et les femmes (européens ou d'ailleurs) qui l'ont soutenue pendant la guerre d'indépendance. Il y avait même une espèce de chappe de plomb sur toutes ces militants qui ont porté haut le combat algérien un peu partout. Les militants internationalistes d'extrême gauche comme Pablo, les chrétiens humanistes comme André Mandouze, ou des militants anticolonialistes comme Fanon sont rarement évoqué dans la vulgate historique algérien.

Alors quand un colloque sur le militant Frantz Fanon a lieu à Alger, on peut parler d'un événement.

Placé sous le thème de "Frantz Fanon, aujourd’hui", ce colloque a été un moment de reconnaissance envers cet homme martiniquais qui a épousé la cause algérienne et en a fait sienne, tout comme la question des peuples de l’Afrique noire, victimes de la colonisation économique, politique, culturelle et sociale, condamnés à l’indigénat et à l’esclavage.

Pierre Chaulet (militant de la cause nationale et ami de Fanon), Olivier Fanon (fils de Frantz Fanon) et Lamine Bechichi qui a connu Fanon à la rédaction du quotidien El-Moudjahid, ont tous souligné la nécessité d’approfondir la réflexion sur l’œuvre de Fanon qui représente, selon eux, un "patrimoine intellectuel universel".

Pour eux, il est nécessaire aux universitaires et chercheurs de se référer aux écrits de cet homme, à la fois militant politique, thérapeute engagé et intellectuel solidaire avec les peuples opprimés, dans leurs thèses et analyses relatives à la colonisation, un phénomène qui d’une manière ou d’une autre, demeure d’actualité, ont-t-il fait comprendre.

"Le message de Frantz Fanon reste d’actualité dans un monde qui profondément changé", a indiqué M. Chaulet pour qui, l’auteur du livre Les damnés de la terre, n’était "ni prophète, ni théoricien politique mais un intellectuel qui s’est engagé résolument dans la révolution algérienne, non comme un ami de l’Algérie, mais à part entière".

Sur ce point, Olivier Fanon, dira que le message révolutionnaire et engagé qu’à voulu transmettre son père, à travers son œuvre, est toujours d’actualité et devrait avoir un écho incommensurable dans les luttes que vit le monde d’aujourd’hui même si beaucoup de pays se sont libérés du joug colonial.

Rappelant qu’il n’était pas spécialiste de Frantz Fanon mais uniquement le fils qui n’a plus revu son père dès l’âge de six ans, Olivier a toutefois rappelé le dévouement de l’auteur des Damnés de la terre pour l’indépendance de tous les peuples colonisés, quelque soient leur race, leur religion ou la couleur de leur peau.

Il a ajouté que Fanon, l’homme "né colonisé, mort libre", dérangeaient par ses écrits, idées et opinions et a suscité de "virulentes" critiques en France, notamment. La prise en charge thérapeutique des algériens souffrant de troubles psychiques internés à l’hôpital de Blida (ex-Joinville) et qu’il avait révolutionnée parce qu’elle représentait à ses yeux un "univers carcéral", dérangeait aussi, a encore rappelé Olivier Fanon, soulignant l’esprit rebelle de Frantz-Fanon, "un homme qui ne souffrait aucune compromission, aucun compromis, d’aucune concession ni aucune soumission".

Fanon, le parcours

Né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France (Martinique), Frantz Fanon a été un des plus grands militants de la cause nationale algérienne. Il a rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN) en 1954 où il a milité aux côtés de Abane Ramdane et Ben Youcef Benkhedda. Il remet au gouverneur Robert Lacoste sa démission de médecin-chef de l'hôpital de Blida-Joinville en novembre 1956 puis est expulsé d'Algérie en janvier 1957 par l’administration coloniale, en 1957. Cadre du FLN, Frantz Fanon a rejoint Tunis où il intégrera l’équipe du Moudjahid, avant d’être nommé, en 1960, ambassadeur itinérant du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) au Ghana.

Frantz Fanon est décédé le 6 décembre 1961, à l’âge de 36 ans, à l’hôpital de Bethesda dans le Maryland (USA), suite à une leucémie, à quelques mois de l’indépendance de l’Algérie. Il a été inhumé, selon ses souhaits, en terre algérienne où il repose au cimetière des "chouhada" de Ain Kerma (wilaya de Tarf), près de la frontière algéro-tunisienne.

Frantz Fanon a publié Peau noire, masque blanc (1952), L’an V de la révolution algérienne (1959), Les damnés de la terre (1961 paru après sa mort), des œuvres qui continuent à inspirer de nombreux écrivains à travers le monde. Ses livres ont été traduits dans plusieurs langues.

Yacine K./APS

Extrait de la préface de Jean-Paul Sartre au Damné de la terre

"Vous savez bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que nous avons pris l’or et les métaux puis le pétrole des "continents neufs" et que nous les avons ramenés dans les vieilles métropoles. Non sans d’excellents résultats: des palais, des cathédrales, des capitales industrielles; et puis quand la crise menaçait, les marchés coloniaux étaient là pour l’amortir ou la détourner. L’Europe, gavée de richesses, accorde de jure l’humanité à tous ses habitants: un homme, chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de l’exploitation coloniale. Ce continent gras et blême finit par donner dans ce que Fanon nomme justement le «narcissisme». Cocteau s’agaçait de Paris "cette ville qui parle tout le temps d’elle-même". Et l’Europe, que fait-elle d’autre? Et ce monstre sureuropéen, l’Amérique du Nord? Quel bavardage: liberté, égalité, fraternité, amour, honneur, patrie, que sais-je? Cela ne nous empêchait pas de tenir en même temps des discours racistes, sale nègre, sale juif, sale raton. De bons esprits, libéraux et tendres — des néo-colonialistes, en somme — se prétendaient choqués par cette inconséquence; erreur ou mauvaise foi: rien de plus conséquent, chez nous, qu’un humanisme raciste puisque l’Européen n’a pu se faire homme qu’en fabriquant des esclaves et des monstres. Tant qu’il y eut un indigénat, cette imposture ne fut pas démasquée: on trouvait dans le genre humain une abstraite postulation d’universalité qui servirait à couvrir des pratiques plus réalistes: il y avait, de l’autre côté des mers, une race de sous-hommes qui, grâce à nous, dans mille ans peut-être, accéderait à notre état. Bref on confondait le genre avec l’élite.

Aujourd’hui, l’indigène révèle sa vérité; du coup, notre club si fermé révèle sa faiblesse: ce n’était ni plus ni moins qu’une minorité. Il y a pis: puisque les autres se font hommes contre nous, il apparaît que nous sommes les ennemis du genre humain; l’élite révèle sa vraie nature: un gang. Nos chères valeurs perdent leurs ailes; à les regarder de près, on n’en trouvera pas une qui ne soit tachée de sang. S’il nous faut un exemple, rappelez-vous ces grands mots: que c’est généreux, la France. Généreux, nous ? Et Sétif ? Et ces huit années de guerre féroce qui ont coûté la vie à plus d’un million d’Algériens ? Et la gégène. Mais comprenez bien qu’on ne nous reproche pas d’avoir trahi je ne sais quelle mission: pour la bonne raison que nous n’en avions aucune. C’est la générosité même qui est en cause; ce beau mot chantant n’a qu’un sens: statut octroyé. Pour les hommes d’en face, neufs et délivrés, personne n’a le pouvoir ni le privilège de rien donner à personne."

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Commentaires (4) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

merci

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