Salah Oudjane, cafetier victorieux des bulldozers

Le café de Salah Oudjane au milieux des gravats.
Le café de Salah Oudjane au milieux des gravats.

A 71 ans, Salah Oudjane, mémoire algérienne d'un quartier industriel de Roubaix (Nord de la France), a réussi à sauver de la démolition le café qu'il tient depuis 46 ans et qui s'élève désormais seul, figé dans le temps, au milieu d'un terrain vague.

Banquettes en skaï, chaises en formica, rideaux en velours orange, juke-box... Rien n'a changé "Chez Salah". Mais autour de cet îlot de nostalgie, il ne reste plus qu'un immense champ de gravats. Les bulldozers ont entièrement rasé l'ancienne zone ouvrière de l'Union, qui doit être transformée en éco-quartier.

"A l'époque, il y avait beaucoup d'usines, mais elles ont fermé les unes après les autres. Les clients sont partis", constate Salah Oudjane en nettoyant son percolateur antédiluvien. Depuis une quinzaine d'années, le vieux monsieur refuse systématiquement les propositions de rachat. "Je n'attendais même pas qu'on me dise la somme. Il n'est pas question de partir. C'est ici que j'ai passé ma jeunesse, c'est ma vie", explique-t-il avec un léger sourire sous sa fine moustache grise.

Venu d'Algérie en 1949, à neuf ans, ce Kabyle atterrit à Roubaix (Nord). Dès 12 ans, il intègre les usines du quartier. "Je travaillais dur et je mettais de l'argent de côté." En 1965, son pécule lui permet de racheter le café. Il vit à l'étage, avec son épouse française, aujourd'hui décédée, et leurs deux enfants. Dans les années 1970, ouvriers et cadres du coin se pressent dans le petit bistrot. Pour un café, un demi, souvent même jusqu'au bout de la nuit. "On mettait la boule à facettes et les gens dansaient jusqu'à 3h du matin", se souvient son fils, Fahrid Oudjane, 42 ans.

A l'époque, le Scopitone - sorte de juke-box doté d'un écran - attire les amateurs de ces tout premiers clips-vidéo. Malgré l'ambiance festive, Salah mène son établissement à la baguette. "Il n'avait jamais de problèmes avec la police. Il a ses principes, un peu durs parfois, mais il est juste. C'est grâce à lui que je ne suis pas devenu un voyou", souligne son fils.

Pas de trottoir mais le juke-box fonctionne toujours

Le cafetier algérien "marche droit", au point de refuser de faire travailler son fils derrière le comptoir lorsque celui-ci touchera des allocations chômage. Lorsque les menaces de démolition se précisent, il montre la même obstination, continuant à ouvrir l'établissement tous les matins. "Pendant des années, il pensait qu'ils allaient démolir son café, ça le travaillait. Ca l'empêchait de dormir", glisse son fils.

Le combat de Salah Oudjane a finalement porté ses fruits : la SEM Ville Renouvelée, chargée de l'aménagement de la friche, a promis de ne pas toucher au café du vivant du vieil homme. Même s'il n'y a plus de trottoir, les clients n'ont pas déserté le lieu. Les fidèles de la grande époque traversent le terrain vague pour prendre des nouvelles. "Je veux qu'il continue jusqu'au bout, c'est la mémoire du quartier", explique Jean-Claude Chomez, 63 ans, qui travaillait pour une brasserie voisine.

L'épopée de Salah, largement relayée par la presse, a aussi attiré une nouvelle génération de curieux. "On est fan, on va venir toutes les semaines pour le soutenir", assure Rémy Dauchy, 22 ans, enthousiasmé par la ténacité de son hôte. Même s'il répète n'avoir "besoin de personne pour résister", M. Oudjane reconnaît que ce soutien lui fait chaud au coeur.

Seul changement par rapport au passé : auparavant, les clients devaient débourser un franc pour écouter Joe Dassin ou Sacha Distel sur le juke-box, alors qu'il est aujourd'hui gratuit.

AFP

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Commentaires (2) | Réagir ?

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akli ath laarat

Ca a tout l'air qu'ils ont épargné la bâtisse pour en faire le témoignage d'une époque, un élément du patrimoine, un repaire dans un monde de plus en plus sans monotone. Bon vent a Dda Saleh.

Chez nous, le passé, on lui mène une guerre inégale, sans la moindre chance qu'il se défendre. A terme, Georges Lucas n'aura plus besoin de figurants pour filmer les soldats de sa prochaine Guerre des étoiles (la III ou la V). Les rues algériennes sont déjà peuplées d'élements en unifiomes, aux gestes monotones et chronométrés, mais avec barbes ou nikabs