Boualem Sansal : "Le mauvais islam continue à avancer"

Boualem Sansal
Boualem Sansal

L’auteur du Village de l’Allemand recevra ce 16 octobre, à la Foire de Francfort, le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands. Il publie Rue Darwin, son livre le plus personnel. Il revient ici sur son étrange passé, sur les révolutions arabes, et sur les raisons pour lesquelles l’Algérie n’a pas fait la sienne.

La rue Darwin était située à deux pas de celle où vécut Albert Camus, dans un quartier pauvre d'Alger. Boualem Sansal y a passé une partie de son enfance. Il lui restait à découvrir ce qu’il avait fait avant, pour comprendre ce qu’il est devenu après. C’est le sujet principal de ce beau "récit-roman" où, en fouillant dans les zones sombres de sa mémoire, l’auteur du Serment des barbares se rappelle confusément avoir grandi, loin d’Alger, dans un étonnant phalanstère régi par Djéda, sorte d’impératrice locale qui tirait une partie de sa fortune d’un gigantesque lupanar. S’agit-il d’un de ces aspects positifs de la colonisation dont on nous a tant rabattu les oreilles ? Boualem Sansal, qui n’aime pas les réponses toutes faites, laisse son lecteur libre de se poser la question.

Une chose est sûre : Rue Darwin n’est pas seulement son livre le plus personnel et le plus secret; c’est aussi, comme toujours chez lui, une enquête haute en couleurs sur l’histoire de son pays, depuis la guerre d’indépendance jusqu’à nos jours. Un récit tortueux, parfois déroutant, mais dont on comprend à la fin qu’il était structuré, en profondeur, par cette très belle idée : la vérité est là, sous nos yeux, même quand on ne la voit pas.

BibliObs - Dans quelle mesure ce "récit-roman" est-il autobiographique?

Boualem Sansal : Tous les personnages ont réellement existé. Des images me restaient, de mon enfance dans un village. Mais il n’y avait personne pour répondre à mes questions. Mon père est mort dans un accident de voiture quand j’avais un an. Ma mère était très évasive. Et mes frères et moi n’avons jamais vraiment vécu ensemble. L’un est témoin de Jéhovah à Marseille, je ne l’ai pas vu depuis quarante ans. Le dernier a vécu à Oran, puis est devenu islamiste pendant un temps. Maintenant il s’est éloigné de ça, les ponts se sont rétablis, mais nous avons peu de choses à nous dire. Quand ma mère est morte j’ai senti le besoin de faire un travail de spéléologue, sur une vie que j’ai vécue sans la vivre.

Comment l’un de vos frères est-il devenu témoin de Jéhovah ?

Après l’indépendance, les témoins de Jéhovah ont fait un rush sur l’Algérie. Comme toujours dans les pays qui sont déstabilisés par une crise, les sectes se jettent dessus comme un vautour sur une charogne. Ils ont frappé à notre porte, ma mère les a fait rentrer, on a été convertis en 24 heures. C’est comme ça que dans ma famille, on est devenu témoins de Jéhovah pendant quelques mois – j’ai même parfois l’impression que toute l’Algérie l’a été à cette période-là. J’ai suivi ça pendant un mois, un autre frère pendant deux ou trois mois, et un autre, qui avait alors une quinzaine d’années, l’est resté.

Quand Boumediene a fait son coup d’Etat [le 19 juin 1965], l’une de ses premières décisions a concerné les témoins de Jéhovah, qui ont dû quitter le pays en 48 heures. Mon frère est parti avec eux. Il a été porté disparu pendant plusieurs semaines. Ma mère l’a cherché partout, dans les hôpitaux, les commissariats. Et puis un jour, coup de téléphone d’une dame qui se nommait Blanche. Elle appelait de Marseille, pour dire de ne pas nous inquiéter. Ma mère s’est précipitée à Marseille, mais elle n’a pas pu ramener mon frère. Il menaçait de se suicider. Nous ne l’avons jamais revu. Il n’acceptait de voir que sa mère, et une fois tous les quatre ou cinq ans. Un jour, après la publication du Serment des barbares, il a appelé ma mère pour demander mon numéro de téléphone. C’est finalement moi qui l’ai appelé, cinq ou dix minutes; je lui ai proposé de venir le voir, il n’a pas voulu parce que je n’étais pas croyant. Tout est comme ça dans ma famille.

C’est pour cela aussi que ce livre a été très difficile à écrire. Il ne fallait blesser personne, et en même temps rendre compte de mes difficultés. Djéda, par exemple, je ne savais plus très bien qui elle était pour moi quand je me suis mis à écrire: une grand-mère ? Elle avait élevé mon père. Mais mon père était-il le fils de sa sœur ? Ou celui de sa cousine ? Les Algériens disent tous "mon frère" pour présenter un ami. Alors, si on prend ça au premier degré, on est vite perdu... Tout était comme ça, en trompe-l’œil. Quand j’ai écrit ce livre, il fallait que le lecteur comprenne pourquoi tout n’est pas raconté clairement. J’ai une idée présumée de ce qui s’est passé dans mon enfance. Mais il est impossible de savoir exactement la vérité.

Le phalanstère dirigé par Djéda, où se trouvait l’immense bordel que vous décrivez, a cependant bien existé...

Djéda était à la tête d’une tribu, elle possédait tout un quartier d’une ville, les commerces, etc. Elle était vénérée. C’était un chef de tribu, mais aussi un chef religieux. Un peu comme dans la féodalité. A la suite de la première guerre mondiale, elle a monté un bordel. Ca n’est pas des choses qu’on raconte, évidemment, je ne l’ai su que longtemps après. Tout en étant un chef de tribu admirée, respectée, elle avait une activité à part : elle a monté plusieurs bordels à travers l’Algérie, le Maroc, et avait aussi des cinémas, des cabarets, des relations avec le milieu politique.

Pendant la guerre de libération, elle finançait des révolutionnaires. Puis après l’indépendance, elle a fait émigrer une partie de sa tribu à Vichy, à Paris, et ailleurs. A Alger, avec le nouveau pouvoir, une occasion s’est alors présentée de consolider ce qui lui restait de son empire. Ben Bella a lancé une opération de collecte d’or pour consolider le trésor, parce que l’Algérie souveraine refusait catégoriquement que sa nouvelle monnaie, le dinar, soit garantie par le franc. Cette collecte a revêtu deux aspects : l’un était très romantique, avec des petites vieilles qui donnaient une boucle d’oreille au maire de leur village, pour les martyrs de la révolution ; de l’autre côté il y avait les notables qui venaient avec un paquet de bijoux, parce qu’ils avaient quelque chose à se faire pardonner.

Djéda est devenue une sorte d’héroïne nationale en donnant trois ou quatre quintaux d’or. Comme elle était immensément riche, elle a comploté pour remettre cet argent à Ben Bella lui-même. Pour le régime, il était important de mettre ça en scène : donc ça s’est fait à la télévision, ça a été filmé... D’autant qu’à ce moment-là, Nasser était de passage à Alger. Ben Bella l’a invité, il était présent quand Djéda lui a remis son or. Et du coup le gouvernement a fermé l’œil sur ses bordels, qui d’ailleurs avaient été fermés car il était hors de question qu’une Algérie arabe et musulmane garde ce genre de séquelles du colonialisme.

Vous rappelez-vous avoir vu cette cérémonie à la télévision ?

J’ai un souvenir très net de sa photo dans les journaux, pas de son passage à la télévision parce qu’à l’époque on était trop pauvre pour l’avoir. Et je n’ai jamais osé parler de tout ça à ma mère. Je savais qu’elle éprouvait beaucoup de gêne devant ce sujet. Elle se dérobait. Mes frères et moi trouvions que c’était bizarre, nous imaginions qu’elle n’était peut-être pas notre vraie mère.

On retrouve dans Rue Darwin votre volonté d’aller contre "les légendes qui gouvernent les peuples". Votre nostalgie de l’enfance se nourrit-elle aussi d’une sorte de nostalgie de l’époque coloniale ?

Je ne suis pas manichéen. Il y a du bon et du mauvais dans tout. Tous les pays du monde ont été colonisés. La France est ce qu’elle est parce qu’il y a eu les Romains, les Anglais.... C’est aussi une histoire d’apports et de renouvellements. Ca enrichit la langue, la culture. En même temps ça détruit beaucoup de choses, bien sûr! Dans la culture algérienne, beaucoup de choses viennent de la culture arabo-musulmane, je considère que certaines sont positives et d’autres négatives. Le fait que le français soit parlé en Algérie, et que cela permette à beaucoup d’Algériens de s’ouvrir sur le monde, de lire en français, je trouve ça positif. Le fait que la France ait détruit beaucoup de ce qu’elle a trouvé sur place, je trouve ça négatif.

Mais globalement, mon expérience m’a fait comprendre qu’on gouverne les peuples en leur racontant une histoire. Quand j’étais gamin, on récitait "Nos ancêtres les Gaulois", on chantait la Marseillaise. Dans le milieu où j’étais, on était contents d’être Français, avec tout ce qu’on peut raconter sur le pays des droits de l’homme, etc. Puis l’indépendance arrive, Ben Bella prononce son premier discours à Oran: "Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes." Il l’a répété trois fois. A partir de là une nouvelle fiction s’est mise en place, on a construit une supercherie. Les Algériens se sont vus comme venants d’Arabie, en occultant le fait qu’ils sont là depuis 10.000 ans, ont traversé de multiples civilisations, ont été Français et, pour beaucoup, contents de l’être. Le peuple a commencé à s’émanciper de tout ce discours officiel après les émeutes kabyles, quand il s’est mis à revendiquer sa berbérité... Aujourd’hui, tout le monde est assez désorienté.

A l’arrivée, votre livre donne de l’Algérie l’image d’un pays bloqué, paralysé.

A l’indépendance, il n’y a pas eu la libération, la liberté, et encore moins les libertés, mais un système coincé à la cubaine, à la Brejnev, avec un islam qui commençait à régresser... Les premières respirations ont été les mouvements berbères. Ca a mené à octobre 1988, avec des révolutions qui ont dégénéré.

On a vu alors que les dictatures sont extrêmement puissantes parce qu’une dictature, ça n’est pas un homme, mais un système très enraciné, et qu’il est très difficile de désherber: même en utilisant les désherbants les plus puissants, trois mois après tout repousse. Le système a chancelé, il a autorisé le multipartisme et la liberté de la presse, mais il a découvert que ça le renforçait: sous prétexte de démocratie, il a donné la parole aux islamistes, ce qui était une façon de neutraliser le plus par le moins.

On en est arrivé à la guerre civile, qui finalement a renforcé le pouvoir : vingt ans après 1988, on en est là, dans une situation pire qu’avant. On était dans une dictature vieillissante, qui se délitait progressivement. Désormais on verrouille pour des motifs de sécurité, avec des militaires partout, des policiers partout, les "moukabarats" partout. Les "moukabarat", ce sont les espions au sens arabe du terme: ils sont dans la famille, chez vos voisins... Le mot vient d’un verbe qui veut dire "rapporter".

Les révolutions arabes ont suivi la rédaction de Rue Darwin. Comment les avez-vous vécues ?

On a chassé des dictateurs, mais au fond, chasser un dictateur, c’est assez facile. Le système reste là, avec la religion, les traditions... C’est très profondément ancré, et pas seulement dans une nomenklatura, mais dans toute la société. Elle traverse toute la société, à l’intérieur même des familles. La question se pose donc pour l’étape suivante. Nos pays sont-ils capables d’aller au-delà ? De chasser ce qui fait la dictature ? De sortir de la féodalité, de l’organisation traditionnelle de la société arabo-musulmane, du culte du chef, de l’omnipotence de la religion qui dicte tout ? Les Coptes vont-ils être gouvernés par l’iIslam ? Ce n’est pas possible ! On ne peut pas leur demander allégeance à l’islam. On va arriver devant la grande forteresse, la vraie: maintenant, est-ce que la femme est l’égale de l’homme ?

Tant que les élites musulmanes ne feront pas un travail de modernisation de l’islam, pour le déconnecter de la politique, n’importe qui pourra puiser n’importe quoi dans le Coran. C’est le travail de la société civile. L’Europe s’est affranchie de l’Eglise et de la féodalité grâce à sa société civile, et notamment grâce à sa bourgeoisie. Nous n’avons pas l’équivalent de cette classe dans nos pays. Celle que nous avons vit à l’étranger. Elle vit de manière presque parasitaire: oui, une société civile qui ne produit pas du sens, qui ne vit que sur le sens qu’elle trouve ailleurs, est parasitaire!

Et comment percevez-vous l’attitude de la France, qui a choisi d’aller chasser Kadhafi par la force ?

Je crois que c’est très positif. C’est en tout cas très bien perçu par les Algériens. Toutes les analyses sont possibles: c’est pour le pétrole, etc. Mais logiquement tout le monde adhère au principe de base, venir en aide à l’agressé. Et même s’ils pensent par ailleurs les pires choses de Nicolas Sarkozy, les Algériens sont assez satisfaits que ce soit venu des Français, plutôt que des Américains. Surtout que, contrairement à ce qui s’est passé en Irak, ça semble se passer bien. En voulant tout filmer, les Américains s’étaient tendu un piège. Là, on ne voit rien. Pas de dommages collatéraux. C’est très bien fait, la communication est bien faite. Les seules images qu’on a montrées, c’est la maison de Kadhafi qui a été bombardée, les installations officielles, les casernes, les forteresses ; mais pas les installations civiles.

L’étape suivante peut être problématique à cause des divisions internes au CNT qui ne vont pas manquer de surgir avec beaucoup de violence, très vite. On l’a vu en 1962, en Algérie, quand les maquisards sont descendus des maquis et que les opportunistes se sont montrés dans les villes. Les gens misérables qui sont à quinze dans une chambre, ou qui ont passé des journées entières dans le maquis, estiment avoir le droit de s’accaparer une belle maison abandonnée. Ils s’installent, le propriétaire revient, et ça se règle au pistolet.

Pour la Libye, c’est étonnant, je suis assez optimiste: peut-être parce qu’il y a eu cette intervention étrangère, et que d’une manière ou d’une autre elle va continuer. Je me dis qu’un certain suivi pourra mettre de l’huile dans les rouages, parce qu’il est sûr que les forces centripètes vont jouer. Maintenant, il peut aussi y avoir la tentation de jouer les uns contre les autres. Il va falloir lancer des appels à la raison, mais qui ne soient pas trop moralisants. C’est un jeu très difficile. En Tunisie et en Egypte, ça ne peut pas jouer: l’Occident n’y sera jamais crédible. on ne peut pas oublier l’aide fournie à Ben Ali et Moubarak pendant des décennies. Les peuples vont devoir se débrouiller par eux-mêmes, et c’est évidemment difficile quand les religieux sont les plus puissants et les mieux organisés.

Gardez-vous l’espoir que se produise en Algérie ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte ?

Ca s’est passé en 1988, il y a eu échec, les gens sont échaudés. Ces vingt dernières années, le pays s’est beaucoup divisé, le pouvoir a joué là-dessus : les Kabyles contre les Arabes, les Berbères contre les Kabyles, les francophones contre les arabophones... Dans les autres pays, la présence d’un dictateur faisait l’unité. Ce n’est pas le cas en Algérie. Il y a 4 ou 5000 émeutes par an. Mais chacune est réprimée de façon très brutale. Le pouvoir fonctionne sur le modèle syrien: il faut taper tout de suite, très fort, pour éviter la contagion, pour éviter que ça sache. Du coup aucune émeute ne ressemble à l’autre, et aucune n’arrive à fédérer un mouvement, même si une autre a lieu dans le même quartier, à deux pâtés de maisons.

On a essayé de marcher, à Alger, en février-mars derniers. Le premier jour on était 2000, il y avait 35000 policiers en face. Le deuxième samedi on était 1000, ils étaient toujours 35000, super armés, super agressifs. Le troisième week-end on était 500, c’était fini. Et puis nous avions presque tous plus de 50 ans: des notables, des intellectuels, des avocats qui ont la soixantaine, les chefs de deux ou trois partis... C’est une grosse différence avec ce qui s’est passé dans les autres pays, où les révolutions ont été menées par des jeunes, et où les vieux ont suivi beaucoup plus tard, pour accompagner leurs enfants. Chez nous, ils sont plus proches des jeunes des banlieues françaises, très en colère contre la société, contre tout ce qui représente la réussite.

Par ailleurs, le mouvement a été lancé par des partis comme celui de Said Saadi, le Rassemblement pour la Démocratie et la Culture, qui est un parti laïc: donc du coup c’est mal passé dans une société qui compte beaucoup de musulmans. Et puis, de façon générale, il y a une très grande suspicion à l’égard des partis: on pense qu’ils sont tous manœuvrés par d’honorables correspondants, qu’ils sont manipulés par les services et, au bout du compte, servent les intérêts du pouvoir.

Le Village de l’Allemand faisait le procès de l’islamisme. Dans Rue Darwin, on trouve des pages très dures sur l’islam. Quelle différence, et pourquoi ce glissement ?

L’islamisme a une matrice. C’est le monde musulman, pour le dire vite. C’est son lieu de production intellectuelle, matérielle, etc. Or on voit désormais à quoi s’abreuve l’islamisme, dans quelles sourates ils puisent, et comment il s’organise. On arrive à peu près à lutter contre lui et à le contenir sur le plan militaire. Le problème c’est qu’il se redéploie par ailleurs, en profondeur, à travers les écoles, les mosquées, le système financier... Il est donc temps de dénoncer le mauvais islam, celui qui n’a pas été créé par un prophète envoyé de Dieu, mais par les dictatures, les systèmes, les théologiens, les bondieuseries... C’est aux élites musulmanes de le faire, en priorité. Mais il reste beaucoup de tabous, on a peur. Il faut commencer.

Est-ce pour cela que votre personnage dit avoir "la phobie des imams" ? Voilà qui ne va pas augmenter votre popularité en Algérie...

Mais enfin a-t-on le droit de s’afficher comme laïc ? Comme anticlérical ? Sans être particulièrement islamophobe, ou raciste, je n’aime pas le curé, les gens en soutane, les imams. Personne ne m’a appris à parler avec un dieu; je veux parler avec des hommes, qui déblatèrent, que je peux critiquer voire envoyer paître... L’islamisme, c’est assez simple: il est désormais rejeté par à peu près tout le monde, y compris par les musulmans. Mais l’islam, le mauvais islam, lui, continue à avancer.

J’habite dans une ville d’universitaires, Boumerdès : il n’y a que de la société civile là-dedans, que des cracks formés aux Etats-Unis et en France. Avant la guerre civile, en 1988, il y avait une mosquée riquiqui qui pouvait contenir quinze personnes ; nous en avons maintenant quinze, qui peuvent contenir 2000 personnes chacune. Tous les vendredis, devant chaque mosquée, je me dis "ce n’est pas possible, j’ai mal au cœur, j’ai mal à la tête": il y a 300, 400, 500 voitures. En général, on ne sort pas dans les rues pendant que tout le monde est à la prière. Moi je sors. Et qu’est-ce que je vois à la sortie des mosquées ? Je les connais tous: 80% des gens y vont par réflexe social, parce que tel ministre fréquente telle mosquée et qu’il faut donc s’y montrer, pour le saluer de loin. Et puis aller à la mosquée, je veux bien, mais cela doit-il vraiment ressembler à un carnaval ? Est-il vraiment nécessaire de se mettre en djellabah pour être un musulman ? Ca veut dire que la société civile ne s’est pas autonomisée.

Tu n’es pas obligée de cacher tes formes si tu es une femme. Et si tu es un homme, tu n’es pas obligé de te faire la petite barbe pour éviter les ennuis. Les ennuis font partie de la vie, mon ami ! Si vraiment tu ne veux pas d’ennuis, alors va mourir! Il faut affronter les ennuis ! Donc de même que beaucoup s’arrogent le droit d’afficher leur islamité, je m’arroge le droit d’être laïc et d’afficher ma mécréance. Je ne veux pas agresser, mais je ne veux pas qu’on m’agresse: fonctionnons sur le droit. C’est l’étape suivante.

Propos recueillis par Grégoire Leménager

Rue Darwin par Boualem Sansal,

éditions Gallimard, 256 p., 17,50 euros.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Najib Naguib

Au frère Boualem,

J'aimerais bien faire un petit commentaire à propos de SI Boualem et Boumerdès, pourqoui quand on va à la mosquée, on est pas olbigé de porter une djellaba, ou une barbe, pour vous dire, il faut aller faire ta prière et comprendre ta religion, la religion appartient à n'importe quel musulman, mais c'est la faute aux intellectuels algériens, ils ont fui les mosquées, ils ont laissé le champ libre aux voyous qui ont été renvoyés des écoles primaires pour parler au nom de la société, moi aussi j'ai ressenti ça à Boumerdès, mais je crois que le problème vient du parti unique, c'est ce parti qui a tout massacré ; la religion a commencé par être instrumentalisée par ce parti à ce jour, ce qui a été fait n'a été que repris, on a cru tous que la solution est dans l'islam, mais que veux-tu ? Il n'y à pas une autre alternative, un autre parti politique, tout a été fermé, ça été fait exprès pour montrer l'islam comme un ogre à l'Occident, ensuite pour le bien tabasser. Il est du devoir des intellectuels algériens de trouver des solutions aux problèmes politiques et économiques de l'Algérie. En Algérie, c'est si tu portes la barbe et une djellaba, on te voit comme un homme respectueux, même si tu ne vaux rien, c'est plein d'hypocrites, mais je le répète les instruits pour ne pas dire intello ont été marginalisés par le pouvoir, un policier vaut mieux qu'un docteur d'Etat, de même, il faut pas se désespérer frère Boualem, la mosquée et l'islam appartiennent à tous les musulmans et Algériens, celui qui a envie de ne pas pratiquer l'islam, il le voit comme il veut, le Coran dit au prophète Thatki inama antan mouthkir lassta alihim mousaitir, ila men taoual wa kafara fa youadibouhou al adhaba al akbar. J'ai pas à traduire ce verset, mais le prophète n'était qu'un avertisseur et non un dictateur, Mousaitir

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Daamghar .

Vous lire c'est déjà nous rappeler que les démocrates, les laïcs existent encore. Comme cela nous rappelle le triste sort de cette frange de la société qui s'amenuise de plus en plus parce que ces démocrates ouvrent les bras à cet "autre"qui les tue au nom de cette sacro-sainte démocratie.

Mais, cher Boualem, il n' y a pas de mauvais ou de bon islam. Il y a un seul islam qu'il faut combattre.

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