Le ghetto qui s'est trompé de slogan

Sidi Salem s’est révolté le jour où l’on pavoisait d’avoir tenu en échec l’Angleterre et qu’on supputait que l’équipe nationale devait opter pour l’offensive contre les Etats-Unis et inscrire des buts puisque le règlement du Mondial prévoit le recours au goal-average général en cas d’égalité de points.

C’est qu’au bidonville, on ne recevait pas l’APS et personne n’y sut alors que « l'espoir renaissait à l'est du pays après le nul des verts face à l'Angleterre », comme nous l’annonçait l’agence de presse officielle, celle-là dont le président Bouteflika est le rédacteur en chef.

« A Constantine, Batna, Jijel, Annaba, Sétif, Bordj Bou Arreridj ou Skikda, la nuit sera verte » Verte ? Dans le ghetto de Sidi Salem, dans la commune d’El Bouni, près d’Annaba, on ne lit pas l’APS, et des centaines de personnes en colère ont envahi la voie publique, dressé des barrages sur l’autoroute, fermé le tronçon menant à l’aéroport Rabah Bitat et, tout cela, non pas aux cris de « One, twoo, three, viva l’Algérie » mais sous un slogan bizarre : « Assez du bidonville ! Nous voulons être recasés ! »

En période de Coupe du monde, il ne faut pas se tromper d’anxiété. La nation, absorbée par le prochain duel Bougherra-Donovan, ne doit pas se fourvoyer à penser aux basses épreuves d’ici-bas. A-t-on idée de crier « Nous voulons être recasés ! », au lendemain du match nul face à l’Angleterre, quand le grand mot d’ordre national est « Maâk ya elkhadra » et que la question-clé tourne autour de la titularisation de Boudebouz et du repositionnement de Matmour face aux USA ? Mais c’était des gens qui ne lisent pas l’APS, qui ne savent donc pas que « l'espoir renaît à l'est du pays après le nul des verts face à l'Angleterre ». En période de Coupe du monde, il ne faut se tromper d’anxiété, mais pas de slogan, non plus, ni de manifestation : la rue n’est tolérée que pour crier sa joie de fan, pas sa colère d’exclu. La méprise peut, d’ailleurs, coûter cher. A ceux qui investissent la rue en période de Coupe du monde en vociférant autre chose que « One, twoo, three, viva l’Algérie », l’Etat réserve un châtiment à base de trique et de gourdin. Plus de 20 émeutiers de Sidi Salem arrêtés et traduits devant le juge d’instruction près le tribunal d’ El Hadjar. Quinze policiers blessés par des jets de pierres et des cocktails Molotov.

Il n’est pourtant pas très loin, le baraquement Sidi Salem, à 6 km seulement du chef-lieu de la wilaya, 3000 familles qui vivent, la majorité depuis plus d’une cinquantaine d’années, dans la misère, sous les grosses villas des parvenus qui surplombent Annaba, Sidi Salem, un amas de taudis gangrené par le stupre, où règne la drogue et la prostitution, si proche et si loin de la grande ville. Si proche que la vertu y avait capitulé depuis longtemps devant l’insoutenable voisinage du luxe et de la débauche. Si proche que la maudite proximité du plaisir et de la luxure avait fini par avoir raison de la fragile morale prolétaire. Les faubourgs de Annaba sont à deux pas, avec leurs restaurants chics et leurs cabarets et tous les soirs, les jeunes du bidonville s’ébahissaient devant le spectacle du gratin annabi s’empiffrant et s’encanaillant dans ces repaires du faste et de la trivialité ; tous les soirs, jusqu’à ce que la chasteté du pauvre pliât devant le luxe insolent qui la narguait. Les filles se mirent alors à vivre avec la tentation de faire commerce de leur corps et les garçons avec celle de chaparder leur part de rêve. Oui, Sidi Salem, un jour de Coupe du monde, si proche et si loin, loin de tout, de la vie, de Annaba, de la mer… La mer est ailleurs, là-bas, derrière la ville et le ciel y est toujours gris. Sidi Salem, procession de façades sales qui serpentent vers l’enfer. Un immense reptile en tôle oublié des hommes, décoré de linge qui sèche à longueur d’année, de paraboles qui aident à rêver d’une autre vie et de tags rouges : « Nabila, je t’aime ! »
« L’espoir revient à l’est, la nuit sera verte », a écrit l’APS.
Mais à Sidi Salem, on ne reçoit pas l’APS. Alors, la nuit n’y sera pas verte, cette nuit encore, le ghetto troquera sa pudibonderie contre l’encanaillement. Les dévots laisseront la place aux vauriens, les miséreux aux crapules, les gueux aux proxénètes, les parias aux dealers. La cité redeviendra tripot clandestin, lupanar souterrain, royaume obscur de l’inavouable, territoire secret des plaisirs glauques et des vices mortifères. Filles de joie, poivrots et toxicomanes feront tourner un joint inépuisable ou un verre de mauvais vin, à hurler d’une jouissance arrachée au mauvais sort et d’une rage échappée de leurs poitrines résignées… A hurler, rire et pleurer, couteau à la main, à hurler, chanter et s’épancher, à laisser tournoyer autour d’eux le monde ingrat, tournoyer…, tournoyer, au rythme de la ronde des paumés, celle du joint et du verre de vin qui pirouettent entre les lèvres…, tournoyer, tournoyer jusqu’à ce que cette voix sourde vienne mettre fin à la nuit : « Allahou Akbar, il n’y a de divinité que Dieu ! »
Les aurores puritaines !
La vertu reprendra alors ses droits dans la cité alanguie.
Sous les grosses villas des parvenus, le ghetto renouera, impuissant, avec sa déchéance et rouvrira, aux sarcasmes du monde, le spectacle de sa piteuse nudité.
Sur les cendres de la nuit mal éteinte, dans l’odeur tenace du vin et de la drogue, la mosquée s’ouvrira aux hommes pour un instant de mirage et de piété. Ils quitteront leurs taudis pour un univers de stuc, de grossières imitations de zelliges et de mosaïques factices ; sous la majesté de la maqsura kitsch et des charpentes en faux cèdre, ils se prosterneront près de l’oreille de Dieu et le supplieront de n’être plus de ce monde quand arrivera ce jour maudit où leurs enfants les libéreront.

M.B.

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Commentaires (32) | Réagir ?

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douce france

@hamdi mosbah, tout sauf ta langue chétive et inutile qui n'est pratiquée que par les ignares analphabètes et très complexés par rapport à l'immense langue française.

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hamdi mosbah

Réponse à TAMAZIGHT: Saches mon cher que l'arabe est plus riche que le français en lettres et en mots et si tu déteste cette langue c'est purement par rancune car tu es kabyle et ta langue de pie ne dépasse guère la porte de ta maison ou peut-etre celle de ta wilaya. et n'interesse meme plus les kabyle eux meme et regarde meme TATA KHALIDA TOUMI en parle couramment. Alors il te reste des deux choses l'une ou tu l'apprend comme tous les algériens y compris les kabyles ou tu étudie en privé le français pour écrire sur l'arabe qui restera sur ton faible coeur. By by.

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