Vers une recomposition du pouvoir en Algérie : « Plus d’Etat pour mieux contrôler la rente »

Après avoir déclaré tout d’abord que l’Algérie n’était pas touchée par la crise financière mondiale, voila que le gouvernement change brusquement d’opinion et initie dans la précipitation des mesures pour un retour vers « plus d’Etat » au nom de « la souveraineté nationale » et de la protection de l’intérêt national.

Ces mesures, tout comme l’orientation économique actuelle du pays, vont-elles profiter aux couches populaires et industrieuses ou alors aux classes sociales qui détiennent le Pouvoir ? Quelle est la nature de ce pouvoir et de l’Etat aujourd’hui ? Le contexte politico-économique actuel, caractérisé par une profusion de discours sur des notions de « pouvoir », de « système », de « patriotisme économique », de « souveraineté », de « acquis du peuple » semble propice pour tenter de décoder et comprendre les intérêts socioéconomiques des classes sociales détentrices du pouvoir actuellement en Algérie. Il semble aussi offrir une belle occasion révélatrice de la nature des ces forces sociales et de la recomposition de leurs rapports, dans un contexte de crise économique mondiale. Dans le présent article, seront abordés quelques-uns des aspects qui nous paraissent les plus intéressants dans cette recomposition.

La mainmise des classes sociales parasitaires sur l’économie

Les nouvelles mesures prises par le gouvernement, concernant l’investissement étranger prévoyant une participation algérienne à hauteur de 51% pour les investissements et 30% pour les sociétés d’importation, ne sont pas efficaces, selon de nombreux économistes. Ainsi en est-il pour Abdelkader Lamiri : « Lorsqu’un investissement fait rentrer plus de devises qu’il n’en fait sortir (y compris les dividendes) même s’il est à 100% étranger, son impact sur l’économie algérienne serait bénéfique. Pourquoi avoir introduit une disposition inutile et controversée ? L’impact sur la balance des paiements est suffisant ». Tout comme ont été jugées inefficaces et anti-sociales les autres mesures introduites dans la loi de finances complémentaire 2009, concernant les importations et le crédit à la consommation. Censées « assainir » le commerce , en réduisant les importations, le transfert de devises vers l’étranger, en cette période de crise financière, ces solutions ont été rejetées par les économistes, les chefs d’entreprise, (publiques et privées), les associations patronales qui les jugent bureaucratiques et dangereuses pour le fonctionnement de l’économie nationale. Le seul mode de paiement -le crédit documentaire- imposé par cette loi de finances, qui va exiger des entreprises « des trésoreries monumentales » pour financer leurs opérations, va favoriser les fournisseurs étrangers et va mettre en difficultés des entreprises et provoquer la faillite de petites sociétés. Ces mesures ne feront que concentrer un peu plus cette activité entre les mains de la bourgeoisie -compradore ou bureaucratique- parasitaire qui va renforcer sa position de « monopole ».

Ce « retour au secteur d’Etat », aujourd’hui, sous couvert de « patriotisme économique », intervient après une étape infructueuse de libéralisme débridé et d’économie de bazar inauguré sous l’ère de Chadli et consorts, soutenue en particulier par le parti islamiste dissous (FIS) (voir le programme économique du FIS dans son hebdomadaire EL Mounqidh et la notion d’économie islamique, 1990), puis « modernisée » par les économistes du pouvoir actuel. Cette démarche est soutenue par un discours populiste sur « les acquis du peuple », servi tant par le pouvoir, ses dirigeants, ses appareils, que par ses organisations périphériques. En attendant qu’un débat s’engage et s’approfondisse sur la nature socio économique de l’Etat, il nous semble possible d’affirmer que ce dernier est l’instrument de défense des intérêts des classes sociales liées au capitalisme bureaucratique fondé sur la mainmise sur la rente pétrolière. Ces classes tirent leur fortune et leur pouvoir du contrôle absolu du secteur d’Etat (tous domaines confondus), après avoir liquidé toutes les velléités participationnistes (gestion socialiste des entreprises) dès le début des années 1980. Des pans entiers de l’économie sont tombés sous le contrôle de quelques « familles » ... Ces classes avaient, du reste, pris leur essor dès les années 1960 à partir du secteur d’Etat et des nationalisations, y compris celle des terres. La bourgeoisie bureaucratique, née de l’utilisation des fonctions dirigeantes par des groupes sociaux placés aux commandes du secteur d’Etat, et la bourgeoisie compradore tirant sa raison d’être de sa position d’intermédiaire parasitaire entre les firmes multinationales, sont toujours les vraies détentrices du pouvoir actuel.

Certes, dans la période 1965-1978, où le pouvoir était majoritairement entre les mains de classes sociales petites bourgeoises -rurale et urbaine-, et où la bourgeoisie capitaliste moderne était réduite à une poignée d’entrepreneurs et patrons industrieux, le pays avait rapidement posé les fondements économiques et sociaux de l’émergence. Toutes les incohérences, les insuffisances, l’autoritarisme, l’étouffement des libertés démocratiques, étaient dus aux contradictions au sein du pouvoir où les tendances petites bourgeoises de progrès côtoyaient des groupes d’intérêts liés à des couches féodales et à des noyaux de la bourgeoisie bureaucratique de plus en plus solide. Ces derniers ont, dès les années 1980, amarré le pays aux multinationales par l’intermédiaire de couches compradores, entamant gravement les défenses immunitaires de la nation et préparant ainsi la transformation du pouvoir en une dictature théocratique fondée sur l’économie de « bazar ». Il reste assurément à étudier objectivement l’impact socio-économique des années 1988-99 et l’origine des fortunes colossales, nouvelles ou anciennes, grossies sous le manteau de l’intégrisme et du « patriotisme » généreusement récompensé. Dès 1999, le pouvoir a commencé par accélérer, dans un premier temps, la cadence vers un capitalisme de type « oriental bazari » du même modèle que celui prévalant dans les monarchies du Golfe où les familles régnantes s’accaparent de la totalité de la rente pétrolière et assument sur le plan mondial le rôle de tiroir-caisse pour les grandes puissances. L’adoption de ce type de capitalisme a apparemment été facilitée par les réseaux de relations ténues entretenues avec les monarchies du Golfe. Mais voilà. que, soudain, par la voix de toutes les formations politiques périphériques qui lui sont affiliées, du MSP islamiste, dit modéré, jusqu’au PT trotskyste en passant par le RND et le FLN, le pouvoir appelle au « retour de l’économie d’Etat » .

Le « retour vers plus d’état » pour renforcer la mainmise sur la rente pétrolière et le discours populiste

En fait, ce retour vers plus d’Etat est dicté par deux facteurs : 1- la nécessité pour le pouvoir de renforcer sa mainmise sur la rente pétrolière et sur tout le secteur d’Etat dans un contexte de crise mondiale et d’incertitudes certaines qui pèsent sur l’Algérie et naturellement sur les intérêts des couches parasitaires du pouvoir. 2- la nécessité d’amoindrir les conséquences, y compris sociales, de la crise économique mondiale et ses dangers politiques qui menacent les fondements de classe du pouvoir. Pour cela, le pouvoir doit annihiler les mouvements sociaux qui s’annoncent dans un contexte de crise économique et qui se font jour déjà (dockers, enseignants, médecins, étudiants, petits commerçants, fonctionnaires.). Il lui faut neutraliser les mouvements organisés ou spontanés de travailleurs, de millions de jeunes, de femmes, déjà durement touchés dans leur niveau de vie et qui subissent déjà des conditions de vie de plus en plus graves. Il lui faut aussi annihiler les dynamiques novatrices naissantes d’une jeune classe instruite et industrieuse attachée à une économie non rentière, où le savoir, le travail et l’investissement productif libéreront le pays de la dépendance du pétrole. Pour cela, le pouvoir s’appuie sur un discours populiste, sur le « patriotisme économique ».

Lorsque le chef du gouvernement actuel déclare haut et fort : « Nous voulons combattre l’économie de bazar et réduire les importations (...) l’économie de marché n’est pas synonyme d’abandon des entreprises publiques » : ce ne sont là que des slogans creux. Pourquoi ? Tout d’abord, parce que les responsables qui ont mis en place les conditions de la genèse et de la prospérité de l’économie de « bazar » et organisé l’hémorragie des richesses et des compétences nationales, ouvert le pays à la rapine et la dilapidation, sont toujours aux commandes du pouvoir et défendent les intérêts de la bourgeoisie compradore. Ceux qui ont procédé à la mise à mort des entreprises publiques et de millions d’emplois, en dilapidant le potentiel économique formidable, en ébranlant les défenses immunitaires du pays, sont toujours aux commandes et défendent bec et ongles les intérêts d’une bourgeoisie bureaucratique insatiable. En outre, il est possible de dire que les contradictions et même les tensions qui apparaissent et qui s’approfondiront très probablement entre les groupes sociaux parasitaires justifient ces discours économiques « patriotiques », et il est fort probable que d’importantes recompositions politiques auront lieu à la faveur des luttes d’intérêts pour le contrôle de la rente.

Le nécessaire contrôle du mouvement social montant

En même temps qu’il renforce sa mainmise sur la source des fortunes parasitaires, le pouvoir a besoin de canaliser le mécontentement social qui monte et qui s’organise en dehors du cadre syndical ou associatif corrompu qu’il contrôle. Il doit contenir ce mouvement social et le limiter aux seules revendications salariales et corporatistes. Tant que l’argent du pétrole est là, il peut mettre de la pommade et distribuer des miettes sous forme d’augmentations, de distributions d’aides, à tout bout de champ, d’amnistie bancaire ... Mais le danger que le pouvoir doit à tout prix écarter, c’est bien la jonction entre les vastes mouvements sociaux et les forces démocratiques organisées, réduites à l’état de sectes isolées les unes des autres. Pour ce faire, il dispose d’organisations périphériques dont le trait commun est le populisme et la surenchère, même si elles revêtent aussi bien l’aspect « islamiste » que « nationaliste » ou encore « ultra révolutionnaire ». Outre les formations et fractions islamistes, agréées ou tolérées avec bienveillance, les partis inamovibles, dits nationalistes et patriotiques, et la myriade de sectes, d’associations, de groupuscules gravitant autour du pouvoir, l’une de ces organisations périphériques est le Parti des travailleurs (un des groupes affiliés à l’une des deux principales tendances de la IVe Internationale Trotskyste -celle dirigée par le Belge Pierre Broussel, alias Pierre Lambert-, décédé en 2008), qui défend des positions apparemment louables mais dangereusement trompeuses. Pourquoi ? Si pour des millions d’Algériens, les positions de ce groupe paraissent justes et conformes aux intérêts des couches sociales industrieuses et populaires et à ceux du pays, il n’en demeure pas moins que les revendications de cette formation demeurent des slogans creux, parce que le contexte dans lequel ils sont lancés est caractérisé par la prédominance du pouvoir sans partage de classes parasitaires et leur hégémonie sur la rente pétrolière. Les classes parasitaires tirent leurs fortunes et leur puissance politique de :

- l’importation sans limite de tous les biens de consommation (lait, médicament, blé... ) ;

- du blocage de toute velléité de création d’une industrie nationale, de toute initiative de capitalistes industrieux nationaux, de toute tentative de développement des exportations hors hydrocarbures. Les slogans trotskystes : « Pas de bradage du secteur d’Etat », « Les entreprises d’Etat sont des acquis du peuple », sont donc des slogans creux et trompeurs. Faire croire que les classes parasitaires lâcheront la mamelle pour une distribution équitable des richesses relève plus tôt de la cécité politique. Des slogans pareils peuvent assurément plaire au « peuple », mais hélas ce ne sont pas les économies du Vénézuéla et de la Bolivie qui sont à citer en exemples. Ce n’est plus l’autarcie socialiste fondée sur le nivellement par le bas et les comités d’autogestion qui pourront répondre à une mondialisation effrénée, à un rythme impitoyable de modernisation des méthodes de gestion, à la nécessaire installation d’une économie fondée sur la « connaissance »... Le cas de la Chine et des nations émergeantes serait infiniment plus éducatif. La stratégie entriste du PT, également utilisée par les islamistes, vient de la pratique de l’entrisme et du noyautage mise au point par les chefs de l’organisation trotskyste mondiale : la IVe Internationale, y compris le Belge Lambert et la tendance lambertiste pour contrer les forces démocratiques. Il faut rappeler, sans remonter à la lutte de libération nationale et au noyautage du MNA de Messali Hadj par les trotskystes de Lambert contre le FLN historique, les dégâts économiques causés par des aventuriers comme le Grec Pablo Raptis (de la même mouvance) et la poignée de trotskystes qu’il dirigeait au lendemain de l’indépendance, notamment dans l’expérimentation catastrophique de la notion d’ « autogestion ouvrière » dans l’industrie et l’agriculture en Algérie, les nationalisations systématiques d’industriels nationaux qui se sont étendues jusqu’à des salons de coiffure, des cafés et bains maures ! Le romantisme et l’analphabétisme économiques ont été érigés en théorie et en méthode de gestion brouillonnes et profondément injustes par le populisme et l’agitation de Ahmed en Bella et ses conseillers trotskystes. Les slogans vides des groupes trotskystes aventuriers étrangers qui avaient infesté l’Etat et les institutions de 1962 à 1965 (y compris la première assemblée nationale) ont été néfastes pour l’Algérie. Les partis trotskystes lambertistes ne sont pas des organisations banales : ils appartiennent organiquement à un réseau mondial d’entrisme et adoptent des formes d’organisation multiples. Les intellectuels et les étudiants, les syndicalistes, les femmes sont leurs cibles privilégiées. Ils visent à occuper le terrain laissé vacant par les forces démocratiques incapables de s’ancrer solidement dans les couches populaires et de mener de façon unitaire les luttes des travailleurs, des femmes, des jeunes, des petits paysans et de toutes les couches industrieuses, Ils canalisent leurs énergies par des slogans mensongers pour pérenniser la domination des classes parasitaires et compradores : Voilà le credo des organisations périphériques du pouvoir.

Par Houria Aït Kaci
(in El-Watan)

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Commentaires (21) | Réagir ?

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Bey Mustapha BEBBOUCHE

Il n'y a que les femmes qui savent bien décrire Louiza Hanoune: Bravo les femmes!

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karima

moi ghanima elle ne me surprend pas. pour rentrer dans la mélasse desz gouvernants il faut d'abord etre dépourvu de principes et n'accorder aucune importance à la notion de liberté. Cette liberté qui vous permet de ne pas manger avec les loups et de ne plus pleurer avec le berger. Et puis elle se prend au sérieux hein, quand elle feint de s'énerver contre la bourgeoisie et ouyahia. Elle ne touche jamais fakhamatouha dans ses descentes verbales. Elle et ouyahia sont de la meme veine... Ils s'accrochent au pouvoir et jonglent... beau spectacle.

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