Les partis politiques remplissent-ils réellement leur rôle en Algérie ?

Le verrouillage systématique opéré par le système Bouteflika rend la pratique politique des plus difficiles.
Le verrouillage systématique opéré par le système Bouteflika rend la pratique politique des plus difficiles.

Il y a de la noblesse dans la politique, et la démocratie est une grande conquête des peuples. Valorisez pareils concepts à une époque où le système démocratique connaît des ratés, s’essouffle, peut paraître saugrenu.

C’est précisément ces ratés que l’on voit aux Etats-Unis avec l’élection de Trump ou bien l’effondrement des partis politiques qui ont dirigé la France depuis 50 ans qui doivent nous interroger. Eux, ces partis "vautrés" dans le confort du pouvoir ‘’éternel’’, ont oublié que la politique et la démocratie sont des processus qui nagent dans les torrents de l’histoire. Donc nécessité de faire face au nouveau et accepter de délaisser les choses devenues caduques. Nous interroger donc, non pour rendre uniquement leur noblesse à ces concepts mais pour ne pas faire le jeu de la peste noire qui a la haine de la démocratie. En Algérie, les partis et la démocratie ont encore du chemin à faire pour remplir leur rôle. Chez nous ils ne sont pas usés comme dans les pays déjà cités, mais victimes de facteurs à la fois historiques (féodalisme et colonisation) et des pesanteurs idéologiques incompatibles avec l’essence même de la démocratie. A titre d’exemple, je citerai un article d’un ancien ministre qui nous sert le même diagnostic de l’économie et de la société depuis belle lurette. Et le drame c’est qu’il pense réveiller la société avec les théories d’un Keynes (1) au lieu d’aller voir du côté des penseurs du politique. Et ils sont nombreux ces penseurs, de Machiavel (Renaissance en Europe) à Lénine (révolution socialiste) en passant par Robespierre (révolution française)…

C’est quoi au juste le rôle des partis politiques ? Dans un régime de démocratie, les partis concourent à la vie démocratique du pays. Ils sont en quelque sorte les porte-paroles des citoyens-électeurs qui exigent que l’on contrôle les institutions étatiques qui gèrent la société. D’autre part, les partis politiques ont une légitime ambition, accéder au pouvoir dans le cadre des règles institutionnelles. Ces deux critères sont-ils appliqués en Algérie ? Si on interroge n’importe quel citoyen lambda, il répondra par la négative.

Il faut cependant compléter la réponse du citoyen lambda. Il faut dire que la nature du régime rend difficile sinon impossible l’application de ces deux droits démocratiques. Certes, depuis l’introduction du multipartisme après les émeutes de 88, les partis ont droit de cité de par la constitution. En dépit de ce très léger progrès démocratique, les partis ne semblent pas ‘’ennuyer’’ le régime et ce dernier n’est donc pas prêt de partager réellement le pouvoir. Quand il tend la main à des petits ''partis'' ou des personnalités, connaissant leur opportunisme politique, le pouvoir s’en sert et peut s’en débarrasser au gré de la conjoncture du moment. Le pouvoir prendra au sérieux une réelle opposition quand la plupart des partis acquerront véritablement le statut d’acteur politique connu et reconnu par la société elle-même. Les critères pour un tel statut ne sont un mystère pour personne. Ce statut implique simplement que le parti tisse des liens politiques avec les couches sociales susceptibles de partager sa vision politique sur les problèmes qui se posent au pays et à la société.

Un parti politique implique un programme qui réponde aux revendications/besoins économiques, sociaux, sociétaux et culturels de la dite base sociale. Un programme politique n’est pas un catalogue où l’on trouve à boire et à manger mais un ensemble cohérent et rigoureux qui épouse les réalités de l’époque et prépare l’avenir.

En plus du programme politique, la relation avec la société et la pratique démocratique à l’intérieur du parti sont des facteurs qui attirent le regard du citoyen et le rendent crédible quant à son ambition à accéder au pouvoir. En revanche d’autres facteurs le décrédibilisent comme le clanisme ou bien l’agitation démesurée des egos pour bousculer le copain pour ensuite occuper son koursi. Les clans ou tendances, les egos existent partout ailleurs. Cependant dans ces ailleurs, il est des mécanismes pour barrer la route aux médiocres manœuvriers et aux enflures démesurées des egos. Et c’est précisément ces manœuvres et ces egos infantilisant qui constituent en Algérie les mécanismes de mises aux pas des concurrents et autres rivalités.

Ce sont donc la nature et la faiblesse des partis qui expliquent leurs handicaps à se hisser au statut exigé pour prétendre diriger un Etat. Pour toutes les raisons cités, les partis politiques semblent sortir de leur torpeur uniquement à la veille des élections. Ce qui fait dire à l’opinion publique que ce n’est pas par un idéal au service de la société que des prétendants à un poste d’élu se précipitent pour poser leur candidature. Ce point de vue de la vox populi n’est pas dénué de quelque vérité car cette opinion publique ne leur reconnaît pas une quelconque ‘’victoire’’ dans la défense des revendications des citoyens. Ce qui frappe l’observateur dans la non visibilité des partis aux yeux de l’opinion, c’est leur incapacité à se lier et mobiliser la société. L’inexistence réelle de ce lien se paie en termes d’adhérents de militants. Il explique aussi leur absence dans l’animation des activités dans le domaine syndical, social, culturel et de nos jours dans la préservation de la nature livrée à la spéculation. En plus de la faiblesse de leur ‘’armée’’ de militants, les partis souffrent du flou des contours de leur base sociale. Et ce flou se reflète dans leur programme politique attrape tout qui ne se distingue pas vraiment des programmes du parti au pouvoir et des autres partis rivaux.

Alors que la guerre d’Algérie est derrière nous, presque tous les partis ne semblent pas tenir compte dans leurs programmes des bouleversements économiques, sociaux et démographiques engendrés par l’indépendance. En revanche, beaucoup d’entre eux se focalisent sur deux paramètres, le religieux et l’identitaire/régionaliste comme si ces deux facteurs étaient une propriété exclusive de ces partis. Cette instrumentalisation de la religion et des particularités de telle ou telle région crée une frontière idéologique (2) à l’intérieur de la société qui a d’autres priorités pour achever le projet national du premier novembre 1954. Cette date symbolise le droit souverain de se constituer en tant que nation selon des critères modernes engendrés et nourris par sept ans de guerre de libération. Ces critères inscrits dans le programme de la Soummam, justice sociale et citoyenneté entre autres, sont des outils politiques pertinents hier comme aujourd’hui. Ces dits outils sont les mieux placés pour cerner les problèmes qui naissent dans une société féodale et aggravés par une longue colonisation. Les cerner d'abord pour les apaiser dans un premier temps, ensuite les résoudre dans un cadre harmonieux d’un programme démocratique.

Ainsi les partis politiques qui se respectent et respectent les citoyens, sont en quelque sorte une caravane qui se lance au départ dans un environnement hostile pour se frayer un chemin qui déboucherait sur une oasis rêvée. Oui le rêve d’une vie citoyenne, digne et riche politiquement et culturellement, est l’essence même de la politique. L’ambition de réaliser pareil rêve est d’autant plus noble qu’elle est le fruit d’une aventure collective et non une entreprise ‘’commerciale’’ au service d’ambitions personnelles qui font le lit de l’immobilisme en politique, un lit qui favorise la peste noire. Énoncer pareille opinion pouvait paraître naïf il n’y a pas si longtemps. Mais depuis l’élection de Trump et l’arrivée au second tour de Marine Le Pen en France, c’est devenu de la lucidité. Du reste les commentaires de beaucoup de gens qui espèrent le succès de Macron confirme la crainte que la ‘’fatigue’’ de la démocratie en Occident n’augure rien de bien palpitant pour les lendemains. Après la peur du Grand soir (la révolution), voilà la forteresse de l’Occident qui craint de céder aux coups de boutoir de la peste noire.

Les réalités de l’Algérie ne sont évidemment pas les mêmes que celles de l’Occident. Mais tirer des leçons de l’histoire des autres pays peut éviter au nôtre une fatigue précoce qui explique aujourd’hui la torpeur et le peu de consistance de la vie politique.

Ali Akika, cinéaste

Notes

(1) Keynes économiste anglais (1883/1946) connu pour ses théories de sortie de crise économique en faisant appel aux investissements publics des infrastructures pour créer de l’emploi et favoriser la demande.

(2) Le mot frontière est un mot borgne et l’Homme a deux yeux pour regarder le monde (Paul Eluard, (poète français 1895/1952).

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Commentaires (10) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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DSP beddiare

Merci et bonne journée

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