La Kabylie et le régime : une histoire de défiance et d'indifférence !

Le boycott actif des législatives est un signe de rupture entre cette région (entre autres) et le pouvoir.
Le boycott actif des législatives est un signe de rupture entre cette région (entre autres) et le pouvoir.

Des écoles primaires et des C.E.M réquisitionnés pendant une semaine au détriment des élèves à la veille des examens, un scrutin programmé un jeudi, jour ouvrable pour draguer un maximum d’électeurs, 503 000 encadreurs et une armée de fonctionnaires pour faire partie des commissions de surveillance de ces élections, plus de 300 observateurs étrangers pris en charge avec les égards dus à des princes : tout cela a coûté au bas mot la bagatelle de 400 à 500 millions d’euros, soit l’équivalent de 5000 logements ou d’une dizaine d’hôpitaux équipés.

C’est le prix à payer pour remettre en selle un système qui a sévi depuis l’indépendance. L’abstention est certes forte, toutefois elle ne constitue en rien un motif d’inquiétude pour les roitelets qui ont pris le pays en otage. Leur insouciance n’a d’égale que leur inconscience. La répression et la division au sein de la population reste leur sésame de toujours.

Une question se pose à ce propos : les Algériens sont-ils bêtes au point de choisir des décideurs qui les enfoncent dans le dénuement, l’inculture et la violence chaque jour un peu plus ? Il est évident que non.

Pendant que le reste de l’Algérie festoie la victoire des partis-Etat (FLN et RND), la Kabylie ravale sa colère. La déception est à la hauteur des résultats obtenus à l’issue de cette course perdue d’avance. Avec 21 sièges, le FFS et le RCD ont recueilli moins de 5 % des suffrages et sont présents seulement dans 6 wilayas (Alger, Annaba, Boumerdas, Tizi-Ouzou, Bouira, Bgayet) soit une présence géographique de 12,5 %, un taux qui contredit leur entêtement à croire qu’ils ont une audience nationale. Les citoyens de Kabylie, las de promesses jamais tenues, ont opté pour l’abstention à plus de 80 %. Ces deux partis ont perdu pied au niveau national mais plus grave encore, ils sont désertés, voire ignorés par la population kabyle. Aït-Menguellet avait dit : "Win tebghiḍ yugi-k - Laṣel-ik izgel-ik - Mmel-iyi-d wi k-ilan ?" "Celui que tu veux te refuse – De tes racines, tu passes à côté - Dis-moi qui tu es ?"

La crise de 1949 avec son lot d’exécutions de militants berbéristes, le maquis de 1963 et ses 554 martyrs, la condamnation à des peines de prisons effarantes de Mohamed Haroun et ses compagnons, le printemps berbère de 1980 avec son lot d’arrestations, octobre 1988 et le mitraillage de Lounès Matoub, les assassinats à grande échelle d’intellectuels kabyles durant la décennie dite "noire", le printemps noir avec ses 128 martyrs sont autant d’escales historiques pour le citoyen kabyle qui voit l’espoir de trouver sa place dans l’Algérie pays qu’il a contribué à libérer par le sang et les souffrances.

Aujourd’hui, notre école n’a d’école que le nom. Les étudiants sortant des universités présentent un profil lamentable. Autrefois, un jeune qui quittait le village pour aller étudier dans une grande ville, revenait chez lui avec une instruction et un savoir-vivre qui forçaient l’admiration. Aujourd’hui, l’étudiante rentre chez ses parents avec un djelbab et son camarade garçon avec un accoutrement à l’afghane !

L’industrie et l’agriculture sont complètement abandonnées au nom de l’économie de rente ! Le tourisme a disparu du vocabulaire de nos dirigeants car il requiert un certain nombre de conditions comme la sécurité, la tolérance mais surtout des infrastructures hôtelières. On a appris à nos enfants que tel comportement est "haram", telle boisson est interdite en Islam, etc.

La liberté de conscience n’est qu’un mot dans la constitution qui n’a aucune traduction dans la réalité. Lire la bible, ne pas observer le ramadhan sont autant de délits qui mènent en prison. La télévision est la chasse gardée du système en place depuis 1962, la rue est convoquée uniquement pour soutenir des causes supranationales. L’Algérien est interdit de marcher hors de Kabylie !

La Kabylie sera réconciliée avec l’Algérie si, dès la rentrée scolaire prochaine, on enseigne Tamazi$t à tous ses enfants, sans interruption depuis l’école primaire jusqu’à la sortie du lycée. Chaque année des dizaines de diplômés de Tamazi$t rejoignent le peloton des chômeurs au lieu de les recruter à cette fin.

La Kabylie se sentira entièrement algérienne si, dans quelques semaines seulement, l’Académie de la langue amazighe est installée et dotée de moyens appropriés pour être opérationnelle car trop de temps a été déjà perdu depuis sa pseudo officialisation.

La Kabylie aimera son école le jour où toutes les matières seront dispensées dans la langue de Si Mohand ou M’hand.

La Kabylie croira que le rêve de Ben M'hidi et de Abane se réalise enfin, si l’enseignement de la langue amazighe n’est plus facultatif mais obligatoire pour tous les enfants d’Algérie.

La Kabylie sera heureuse si, tout de suite, dans les tribunaux se trouvant dans ses villes, les justiciables ont droit de s’exprimer en kabyle, que le procureur et le juge s’adressent à eux en kabyle… Là aussi, des milliers de jeunes diplômés de cette région auront un emploi grâce à la réparation de cette injustice…

La Kabylie, qui jure par "Jmae liman" autrement dit par toutes les croyances, sera heureuse si la laïcité est consacrée sur cette terre d’Algérie qui a enfanté Saint-Augustin, Dihya et Ben Badis…

La Kabylie sera moins fâchée le jour où la télévision et les radios algériennes qui émettent en kabyle ne seront plus transformées en instruments d’endoctrinent idéologique.

La Kabylie ne comprendra jamais qu’on fasse la promotion du film arabe dans sa dimension supranationale au détriment du film amazigh. Le premier prix du Festival du film arabe organisé par l’Algérie est de l’ordre de 4 milliards de centimes tandis que celui attribué au film amazigh ne dépasse pas les 60 millions de centimes.

La Kabylie continuera à croire au rêve algérien si les intellectuels et anonymes des autres régions de ce grand pays lui manifestent un semblant de solidarité pendant que ses enfants croupissent par dizaines dans les geôles du pouvoir ou tombent sous les balles de la tyrannie "nationale".

La Kabylie sera algérienne à 100 % quand elle aura la même latitude de consommer de l’alcool et celle de choisir une école pour ses enfants.

La Kabylie se reconnaît seulement dans une Algérie démocratique et fraternelle. Elle refuse d’être maintenue éternellement la tête dans l’eau même s’il lui est difficile de réaliser son rêve de liberté car il n’y a pas que le pouvoir algérien qui se dresse sur son chemin, elle doit aussi exorciser ses propres démons.

Khellaf Oudjedi

Ancien parolier du groupe Akfadou.

Enseignant à la retraite.

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Commentaires (18) | Réagir ?

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DSP beddiare

Merci Beaucoup

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adil ahmed

merci bien pour les informations

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