Bonne année, monsieur le président !

Bonne année, monsieur le président !

Par Larbi Chelabi

Je ne sais si 2009 sera l’année d’un nouveau départ pour cette Algérie qui ne finit pas de crever ou si elle vous consacrera pour une 3ème fois président de la république pour votre plus grand bonheur et notre plus grande affliction. Vous auriez compris d’entrée de jeu monsieur le président que je ne suis pas un bédouin qui sacralise le droit d’aînesse. L’irrévérence peut dans bien des cas se justifier et dans ce cas-ci elle l’est!

Monsieur le président, si l’on se fie aux soliloques de Belkhadem, l’un de vos boutefeux de service, vous attendrez mars 2009 pour annoncer votre candidature à l’élection présidentielle. Personnellement, je vous crois capable d’une telle insensibilité principalement pour deux raisons. La première, et c’est l’un de vos traits de caractère, c’est que vous percevez la réalité algérienne à travers un prisme déformant qui vous fait accroire que vos mémorables ratages sont en fait de retentissants succès. La deuxième raison, et c’est aussi l’un de vos traits de caractère, c’est que vous avez la ferme conviction que sans la prescience qui anime votre auguste personne, cette Algérie de gueux et de va-nu-pieds finirait dans les abîmes de l’histoire.

Mais alors était-ce trop vous demander de prendre le temps, comme il est de coutume dans les pays qui se respectent, d’expliquer votre bilan et de dire à ce peuple inconsolable pourquoi vous êtes aujourd’hui encore et pour toujours le meilleur candidat pour le diriger? Vous conviendrez avec moi qu’une élection présidentielle est toujours vécue comme un moment crucial dans la vie d’une nation et qu’à ce titre, elle mérite mieux qu’une désinvolte posture dans laquelle vous semblez vous y complaire.

Pourquoi cette dérobade monsieur le président? Se peut-il que votre bilan soit à ce point désastreux qu’il vous est pénible de le défendre en regardant les algériens droit dans le blanc des yeux? Est-ce suffisant de limiter votre campagne électorale à de soporifiques apparitions télévisées, ponctuées de quelques inaugurations de projets maintes fois inaugurés? Vous maîtrisez pourtant assez bien, même trop bien, l’art de la rhétorique pour nous accorder un 3 mois de joute mémorable, expliquant doctement comme vous savez si bien le faire, les réalisations grandioses qui ont marqué vos deux mandatures.

Nous aurions pu nous délecter de votre arabe magistral qui ferait pâlir d’envie Elmoutanabi ou de votre français si châtié qu’il ferait rougir de honte Chateaubriand. C’est d’autant plus dommage que vous n’aviez rien à craindre, ni de vos opposants qui sont des gens très bien élevés pour parler la bouche pleine, ni des médias, ces laquais qui se feront toujours un point d’honneur à magnifier leur naturelle obséquiosité. Il est de notoriété publique que les potentats en mal de respectabilité trouvent toujours le moyen de dresser, à même les consciences, des lignes Morice toute virtuelles. Et le premier plumitif, en mal de notoriété, qui s’y aventurera passera sous les fourches caudines de monsieur Zerhouni et regrettera le jour où il s’est inscrit à l’école nationale du journalisme ou à sciences Po.

Alors, comme, je ne suis pas journaliste et que la seule ligne Morice que je connaisse est une ligne de fortification érigée par l’armée Française en juillet 1957 le long de la frontière algéro-tunisienne, vous me permettrez monsieur le président de taquiner votre bilan, du moins d’en extraire, pour le plaisir des lecteurs du Matin, quelques unes de vos grandioses réalisations.

Sous votre gouverne, les structures de souveraineté comme la police et la justice sont devenues les terreaux par excellence de la corruption et des complots au point qu’on est, ici et maintenant, devant un danger imminent de dislocation de l’État national. Quand des agents doubles noyautent les services de police pour fournir des informations et des armes aux groupes terroristes d’El Qaida Maghreb, ce n’est plus du simple fait divers, c’est la preuve par 9 que les fondements de l’État républicain sont en train de vaciller, exactement comme en 1991! Quand des officiers supérieurs de la sûreté nationale et de la police judiciaire maquillent des documents administratifs pour disculper un directeur de banque (BNA) soupçonné d’avoir détourné 32 milliards de DA, cela ne relève plus du simple faux et usage de faux mais d’un plan diabolique de prévarication à grande échelle qui s’opère au détriment de l’économie nationale et dont les principaux architectes sont ceux là même qui sont supposés en être les défenseurs.

Sous votre gouverne, les concepts aussi simples que projet de société, vision, prévision, prospective, proaction, plan de redressement sont classés au rayon des reliques de la pensée économique qu’elle soit de gauche ou de droite. Et pourtant il y avait matière, en cette période faste où l’argent coule à flots, à édifier un modèle de gouvernance qui soit suffisamment solide pour s’adapter aux situations nécessairement changeantes de l’économie, de la sociologie et de la géopolitique. Qu’allez-vous faire maintenant qu’on nous annonce des lendemains difficiles ?

Selon votre ministre de l’énergie Temmar, l’Algérie engrangera pour l’ensemble de l’année 2008 des revenus totalisant 76 milliards de dollars (les prix du gaz étant indexés sur ceux du pétrole, la référence se fait donc sur le prix du baril de brut). En 2008, le prix moyen du brut a été de 105$ le baril. Selon les analystes en prospective de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA), le prix moyen du baril se situera autour de 51$ en 2009. L’Algérie verra donc ses revenus chuter de 51,5% pour atteindre un maximum de 37 milliards de dollars. Regardons ce qu’on peut faire avec 37 milliards de dollars en 2009.

Nos importations ont atteint 36.2 milliards de dollars en 2008. En assumant qu’elles se maintiendront au même niveau en 2009, cela veut dire que les revenus pétroliers vont servir exclusivement à couvrir la facture des biens et services importés, du moins pour les 2 prochaines années. Et pour financer les besoins en investissements de Sonatrach estimés à 45 milliards de dollars sur 5 ans (2008 et 2013), il faudra puiser dans les réserves de change. Ces dernières sont actuellement évaluées à 130 milliards de dollars desquels il faudra déduire les 43 milliards de dollars qui sont pour ainsi dire immobilisés car placés dans les bons de trésor américains. Il reste donc 87 milliards de dollars en réserves mobilisables desquels il faudra faire une ponction de 18 milliards de dollars pour couvrir les besoins d’investissements de la Sonatrach pour les 2 prochaines années (2009-2010). En net, il restera tout au plus 59 milliards de dollars si tout se passe bien (pas d’augmentation de la facture des importations par effet d’inflation ou par suite d’une mauvaise saison agricole).
Cela veut dire que vous ne pouvez plus engager un autre programme de 50 milliards de dollars pour financer la croissance pour les 5 prochaines années. Voilà où nous en sommes maintenant. Un vrai cul de sac et de cela vous n’en parlez point monsieur le président. Ou si peu ! vous dites en effet que nous allons faire face à des années de vaches maigres mais vous ne dites pas quelles sont vos priorités économiques pour les 5 prochaines années.

Vous ne dites pas par exemple qu’il faudra relancer certains secteurs d’activités névralgiques pour produire localement ce qu’il est possible de produire afin de réduire notre dépendance alimentaire. Encore faut-il ne pas décourager les initiatives privées les plus louables pour faire plaisir aux généraux qui ont phagocyté l’économie nationale en faisant de l’import-import leur chasse gardée avec droit de vie et de mort sur le citoyen ordinaire en général et sur l’investisseur local en particulier. Prenons l’exemple du médicament. Votre discours officiel encourage la production locale en misant le plus possible sur le générique de façon à réduire la facture de ce poste budgétaire qui ne cesse de croître d’année en année. Celle ci passera en effet de 1,4 milliards de dollars en 2007 à près de 1,75 milliards de dollars en 2008 (les chiffres disponibles parlent de 1,3 milliards de dollars pour les 9 premiers mois de l’année 2008). En une seule année, les importations de médicaments ont augmenté de 25% alors qu’entre temps la population aura cru de 1.24% (taux d’accroissement naturel publié par l’ONS pour l’année 2007).

On peut penser que les algériens sont de plus en plus malades et comment ne le seraient-ils pas ! Mais on peut aussi penser que les importateurs qui ont troqué la visière et les épaulettes contre le costume flanelle font subir au trésor public leur mémorable cupidité sous l’œil bienveillant des pouvoirs publics que vous représentez au plus haut point. Car comment pouvez-vous encourager verbalement la production locale du générique quand en même temps vous taxez la molécule originale importée à 5% et les produits semi-finis qui entrent dans la composition du médicament générique (eux sont aussi importés) à 35%. Personne ne peut imaginer qu’avec ce déséquilibre de la fiscalité en faveur des molécules originales importées on puisse voir un jour le moindre embryon d’une industrie pharmaceutique locale. Ce qu’il aurait fallu faire c’est exactement l’inverse monsieur le président : taxer les molécules originales importées à 35% et les produits semi-finis à 5%. C’est ce qui s’appelle joindre l’acte à la parole.

Il faudra donc s’attendre à plus de chômage pour les 5 prochaines années, à plus d’émeutes et à plus de haragas monsieur le président. Ce n’était déjà guère reluisant entre 2004 et aujourd’hui où malgré les 50 milliards de dollars investis dans les grands travaux d’infrastructures, le chômage est passé de 13% en 2004 à 11.8% en 2008, soit une baisse d’a peine 1.2% (chiffres publiés par l’ONS). Mais pourquoi a-t-on obtenu si peu de résultats sur l’emploi malgré l’injection d’énormes capitaux? Pourtant tous les économistes vous diront que les grands travaux d’infrastructures sont généralement gourmands en main d’œuvre et que théoriquement avec 50 milliards de dollars dépensés durant les 5 dernières années on aurait pu atteindre le plein emploi. Bien sûr, pour y arriver il n’était nullement besoin d’importer des chinois par dizaines de milliers pour construire nos routes et bâtir nos immeubles en laissant sur le carreau des cohortes de jeunes désœuvrés. Je partage avec vous l’idée que nos concitoyens ne sont pas forcément des stakhanovistes, qu’ils n’ont parfois pas le goût de l’effort et du travail bien fait, qu’ils ne sont pas souvent bien formés. Tout cela est vrai ! Ils ont été nourris à la mamelle de l’État providence que vous incarnez depuis 1962 et ils ont été formés dans vos écoles et vos universités qu’on a du mal à prendre pour des institutions éducatives. Mais quand même, avec 50 milliards de dollars on se serait permis le luxe de faire les choses en deux fois moins grand, deux fois moins vite et deux fois moins beau mais on aurait quand même pu développer des expertises nationales et éviter à ces jeunes d’aller mourir en haute mer parce que la survie dans les fanges que vous leur proposez leur donne toute la mesure de leur inutilité sociale.

Nous voilà donc à l’aube d’une nouvelle année monsieur le président. C’est une période généralement festive où même les âmes les plus sceptiques découvrent les vertus du positivisme. Je n’en ferai donc pas exception même si la tentation de ravaler mon enthousiasme est plus forte que jamais. Mes pensées vont d’abord au peuple algérien à qui je souhaite une bonne et heureuse année 2009. Elles seront aussi pour vous monsieur le président. Même si je ne suis pas d’accord avec vous, même si je ne suis pas un bédouin qui fait du droit d’aînesse l’alpha et l’oméga de son éducation, je sais que chaque être humain a le droit de vivre en santé. Je vous souhaite donc une meilleure santé pour 2009. Elle sera d’autant meilleure et la nôtre également si vous abandonniez votre idée d’un troisième mandat. Mais de cela, je n’en suis pas si sûr!

Je vous prie d’agréer monsieur le président l’expression de mon impertinence renouvelée.

L.C.

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Commentaires (64) | Réagir ?

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Kaci Toudert

Je viens ce soir de répondre au général Benyellès : "Les Algériens en ont assez de Bouteflika et de ses mascarades électorales"...

J'aimerais biens que Monsieur Chelbi qui ne connais pas la guerre des clans apporte aussi son soutiens et sa lecture... moi je connais.. Jacque Attalis et il aurait apporté sa contribution, , , alors monsieur... Avez - vous un commentaire à faire sur cette declarations !! a Moins que celle ci vous empeche de descendre a Alger... je comprendais

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Kaci Toudert

Bravo j'aime votre article... Bon on vas de l'avenement... vous vous presentez aux prochaines elections ? moi je vote pour vous Monsieur.. vous etes capables de faire mieux que lui ?... JE VOUS suis... LETS GO.... mais ne me decevez pas Monsieur Larbi Chelabi... votre nom est deja dans les fichiers du DRS.. tout quoi.. addresse et a Alors.. ne touchez pas a larbi Ben Elkhir.. le chicour d'algerie... haha gare a toi

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