Les capitaux moyens-orientaux nécessaires au capitalisme français

Mourad Tagzout, élu du Front de gauche, en France
Mourad Tagzout, élu du Front de gauche, en France

Nous reproduisons ici l'éclairante intervention de Mourad Tagzout, élu du Front de gauche, au conseil municipal d'Ivry-sur-Seine (commune d'Iles-de-France)

Monsieur le maire, Mesdames, Messieurs, chers collègues,

Nous sommes réunis alors que nous avons subi, durant l’année 2015, une suite d’attentats d’une rare sauvagerie. D’abord ceux des 7, 8, 9 janvier puis celui du 13 novembre et enfin la réplique du 18 novembre.

Nous sommes devant une violence conceptualisée pour jeter l’effroi et la terreur. Elle se justifie chez ses auteurs à partir d’une lecture fascisante de la religion musulmane. Nous faisons face, il ne faut pas avoir peur de le nommer, au terrorisme islamiste.

La République a le devoir d’apporter une réponse déterminée et sans faille à cette menace qui cible ses fondements. Toutes les actions à entreprendre devront viser leur préservation et leur consolidation.

Dans cette épreuve, si les pouvoirs publics doivent effectivement s’attacher à garantir la sécurité de tous les citoyens et de leurs familles, il n’en reste pas moins qu’ils doivent le faire dans le strict respect du droit et, surtout, dans une vigilance permanente, qui pare à tout glissement des nécessaires mesures sécuritaires à entreprendre vers un arbitraire toujours possible même dans le meilleur des Etats.

Les attentats de ces derniers jours viennent en résonance avec ceux qui avaient visé Charlie Hebdo et l’Hypercacher de la porte de Vincennes. Les dix mois qui se sont écoulés sont malheureusement une patente illustration de l’échec de la direction politique de notre pays. Elle n’a pas pris la mesure des enjeux de la situation ouverte par les massacres de janvier 2015.

L’accroissement de la menace terroriste islamiste contre l’Humanité est dû à de multiples causes. C’est bien tout un ensemble de causes qui a conduit ce terrorisme islamiste aux récents carnages. D’ailleurs, il ne faut pas feindre de découvrir l’horreur avec les dernières actions en date, ou avec l’émergence du dit Etat Islamique. Cela fait des décennies que l'islamisme pratique le crime et sème dévastation et désespoir dans de nombreuses contrées.

Ne faut-il pas voir dans l’accueil, en France, de l’opposant Khomeiny une des sources de ce qui nous arrive ? Ne faut-il pas en rapprocher la qualification "d’opposants armés" accordée aux terroristes algériens dans les années 90, les faisant bénéficier de l’asile politique puis de naturalisations laxistes et insouciantes de la source du mal ?

De manière plus générale, ne faut-il pas voir une faute originelle dans le manque de solidarité et de soutien de la France à l’endroit des oppositions et des forces démocratiques et progressistes aux régimes populistes et totalitaires des rives Sud et orientale de la Méditerranée ? Mais, tout cela se prolonge encore aujourd’hui par une appréciation à géométrie variable de l’islamisme et de ses démembrements : combattre l’EI tout en entraînant El Nosra (antenne d’El Qaïda en Syrie) ; dénoncer El Baghdadi tout en restant réservé sur les idéologies meurtrières des Frères musulmans, du néo-calife ottoman Erdogan (qui il y a quelques semaines tenait tranquillement un meeting électoral au Zénith de Strasbourg) et des potentats wahhabites du Golfe.

L’apparente contradiction qui marque la position de la France tient au fond au poids du complexe militaro-industriel dans la détermination de ses choix régaliens.

Il convient de mettre en cause l’industrie française de l’armement, qui a entraîné notre pays à faire des concessions aux représentants d’États islamiques barbares, leur réservant les égards les plus humiliants de la part de nos gouvernants, comme en témoigne encore l’indécente rencontre, ce début de semaine, entre Manuel Valls et le ministre des affaires étrangères du Qatar.

C’est que leurs capitaux sont devenus, depuis la crise financière de 2008, indispensables à la survie d’un capitalisme français archaïque.

Cela justifie de fermer les yeux sur le financement et l’encouragement de Daesh, par l’Arabie saoudite, "l’allié" qui achète "nos" avions. En cela, en tout cela, notre pays partage une posture caractéristique de l’impérialisme occidental. C’est pour servir ses intérêts en détournant les soulèvements populaires qui visaient à renverser les dictateurs en Irak, en Libye et en Syrie que l'impérialisme a instrumentalisé et encouragé l’extrême droite islamiste.

Disons-le avec force, la France se grandirait si elle faisait le choix de ne pas s’aligner sur la politique guerrière des Etats-Unis et de leurs alliés. Car il est de son rôle et à sa portée de promouvoir des solutions sous l’égide d’une ONU refondée sur d'autres bases que le rapport de forces né à la fin de la Seconde guerre mondiale.

Elle se porterait à la hauteur de ses obligations en matière de droits de l’Homme, si elle soutenait enfin de façon réelle les démocrates de la Rive Sud, en premier lieu le combat héroïque des forces progressistes kurdes contre l’EI.

Mais tout ce que je viens de dire est encore insuffisant.

La lutte contre le terrorisme islamiste devient une composante indispensable qu’il faut inscrire et intégrer dans toutes les batailles pour l’émancipation.

La République et la démocratie françaises sont attaquées, et plus particulièrement les gauches. Le terrorisme islamiste, non réductible à l’Islam, constitue un projet politique tourné contre l’émancipation des hommes et des femmes et donc contre la gauche de transformation culturelle, sociale, environnementale et politique. La liste des femmes et des hommes tués par le djihadisme est longue. Parmi eux, de très nombreux militants de la gauche, de la laïcité et du féminisme. Par exemple, en Tunisie, où le terrorisme islamiste a assassiné notre camarade Chokri Belaïd et le progressiste Mohamed Brahmi. Le grand écrivain Nagib Mehfouz, en Egypte ; les militants et intellectuels Nabila Djahnine, Djilali Liabes, Matoub Lounès, Rabah Guenzat, …. Et tant d’autres en Algérie.

Malgré ses efforts pour camoufler ses crimes en actions ciblées visant la libre pensée (Charlie Hebdo), la police (8 janvier 2015) ou les juifs (l’Hypercacher du 9 janvier 2015), la nature profonde totalitaire, obscurantiste, fasciste de l’islamisme resurgit nue et hideuse dans les dernières attaques ciblant n’importe qui sur le sol de la France ; exactement comme cela s’est déjà fait en Somalie, au Niger, en Tunisie, en Algérie, et dernièrement en Turquie et au Liban.

L’idée avait été énoncée par Ben Laden il y a déjà plus de 15 ans : ils veulent créer en France une guerre civile sur des bases religieuses.

Les obscurantistes par leur stratégie pensent pouvoir provoquer la stigmatisation des Français de confession musulmane. Ils cherchent à créer une cassure au sein de la société française, à y provoquer une guerre civile.

S’ils y parviennent, c’est la destruction de la gauche politique et sociale dans ce pays et donc du débat démocratique et républicain pour l’émancipation humaine.

Devant ces faits, comment ne pas voir la faillite d’un certain discours gauchiste et communautariste, «islamo-gauchiste», qui en vient à s’opposer au seul modèle politique alternatif au modèle politique néolibéral, qu’est la République sociale avec ses principes constitutifs de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité, ce système qui pose le principe de laïcité au fondement du système d’organisation sociale et politique !

La France a une longue tradition d’intégration de populations immigrées qui remonte au 13ème siècle. Mais c’est surtout la France républicaine qui, avec ce formidable creuset qu’a été son école, a fait le plus dans ce domaine. Je dis que l’école a été le creuset de l’intégration, parce qu’aujourd’hui elle a cessé de l’être. Le néo-libéralisme ne veut pas d’une école qui éduque à la citoyenneté. Il ne veut pas d’une école qui éveille et cultive l’esprit critique. C’est pour cela que les gouvernements successifs la privent de moyens et la déchargent de ses missions civiques pour en faire l’atelier de fabrication de robots humanoïdes, sans conscience ni culture. C’est d’ailleurs, la même logique qui préside à l’abandon des quartiers. A tel point qu’au moment de la crise des banlieues, il a été fait appel, sous une forme ou une autre, aux caïds de l’islamisme en tant que médiateurs et intercesseurs.

Nous devons aujourd’hui mener une grande bataille au sein de l’opinion avec tous les citoyens attachés aux principes républicains, une bataille pour déjouer la pernicieuse manœuvre qui consiste à embarquer les musulmans dans les menées antirépublicaines et, dans le même temps, nous devons combattre avec la même détermination les manifestations racistes et xénophobes quel que soit le groupe social qui en est victime. Il n’est pas besoin pour la gauche d’inventer ou d’adopter un concept particulier pour dire son rejet de toute atteinte aux droits des musulmans. Surtout lorsque ce vocable se révèle chaque jour un peu plus être le pare-feu de l’islamisme, exactement comme l’antisémitisme est le pare-feu du sionisme.

Vous l’avez compris, chers collègues, je parle de ce mot en vogue, «islamophobie», forgé par les succursales des Frères musulmans pour intimider les progressistes, sinon les fourvoyer. L’humanisme de gauche ne saucissonne pas l’antiracisme.

Déjouer les plans de guerre civile concoctés dans les officines théocratiques, défendre la République et ses idéaux politiques et sociaux universels passe aujourd’hui par une bataille sans concessions contre l’idéologie mortifère islamiste. C’est pourquoi, j’appelle les forces de gauche à sortir des pièges de l’électoralisme qui les mènent à se compromettre avec les communautaristes. C’est pourquoi je les exhorte à rompre avec l’islamo-gauchisme.

La gauche doit exister dans le combat antiterroriste

La gauche ne peut se dissoudre dans une "union nationale" sans contenu, ni s’en exclure par un positionnement islamo-empathique. Elle doit féconder le combat antiterroriste par un contenu progressiste.

Nous devons prendre des initiatives de réflexions et d’actions. Dire clairement qu’il va nous falloir lutter en même temps pour la justice sociale, contre les inégalités sociales mais aussi contre le communautarisme et contre l’intégrisme. Voilà pourquoi nous devons redoubler d’attention pour agir, comme nous le faisons à Ivry, dans des politiques d’éducation, de culture, d’égalité sociale. Car nous ne pouvons pas croire que la lutte contre le terrorisme islamiste soit possible dans le contexte de quartiers populaires où les habitants s’aperçoivent que les pauvres s’appauvrissent sans cesse, que les riches s’enrichissent sans cesse, que l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, mais plutôt de reproduction sociale des inégalités, que la solidarité (à chacun selon ses besoins, chacun devant y contribuer selon ses moyens) est de plus en plus bafouée dans notre système de protection sociale, que les services publics régressent et vont continuer de régresser puisque le gouvernement solférinien a décidé des coupes gigantesques dans la dotation globale de fonctionnement, tuant par là un peu plus les services publics pour tous !

Non à l’attentisme, non à l’esquive : si on continue comme cela, ce sera comme à la fin de la IVe République, mais en plus grave : un coup de massue électoral en 2017 et/ou un coup d’Etat institutionnel mettant au pouvoir la machine Le Pen alliée à une partie de la droite traditionnelle, pour le pire assuré.

La résistance aux politiques socio-libérales continue, n’en déplaise à Hollande-Valls-Macron, qui accélèrent le cours des réformes destructrices contre nos acquis sociaux. Mais, cette résistance ne saurait servir d’excuse pour éviter d’aborder de front les questions spécifiques que nous pose le terrorisme islamiste. Des outils d’éducation populaire sont là pour nous aider dans cette tâche. Il faut les utiliser.

A la mesure de nos forces, nous nous investirons dans ce combat global.

Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale) !

Mourad Tagzout

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Commentaires (3) | Réagir ?

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khelaf hellal

Le "turbo-capitalisme " ne serait pas ce qu'il est actuellement sans son comburant "l'intégrisme islamiste " qui fait que les surprofits engrangés dans l'exploitation de la force de travail et la spoliation des richesses de l'homme sont licites et même considérés comme des dons de Dieu pour flouer son monde de paumés et de laissés pour compte qu'il abandonnent à leur sort. La religion sert les interêts de la classe bourgeoise par le fait qu'elle déligitime la lutte des classes et fait accepter aux masses laborieuses la fatalité de conditions de déclassées socialement et de créatures opprimées en cherchant la compensation dans la croyance à un Dieu et son infinie bonté.

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Kacem Madani

Très, très beau discours ! Seul petit, lequel est en fait GRAND, bemol : "Le terrorisme islamiste, non réductible à l’Islam" ! ? Moi, pas comprendre !

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