La daridja, langue populaire algérienne, comme une marche

En Algérie par contre, il existe un fossé entre la daridja et l’arabe tel qu’on l’apprend à l’école ou qu’on l’écoute au journal de vingt heures
En Algérie par contre, il existe un fossé entre la daridja et l’arabe tel qu’on l’apprend à l’école ou qu’on l’écoute au journal de vingt heures

La question linguistique à l’école en Algérie ne date pas d’aujourd’hui mais continue tout de même à faire couler beaucoup d’encre. L’annonce de l’introduction de la daridja dans l’enseignement a suscité beaucoup d’indignation. Les islamo-conservateurs ont jugé que c’était un sacrilège, une intention de nuire à cette langue ‘sacrée’.

Le professeur Zellal, dans un article intéressant paru dans El Watan, intitulé «La langue maternelle, déjà acquise, n’est pas à réapprendre à l’école.» affirme scientifiquement, comme le titre l’indique, que la daridja étant déjà acquise n’est pas à réapprendre. L’enfant apprend tout seul la daridja qui lui permet de structurer son espace-temps, et par la suite ses capacités d’abstraction. L’enfant par sa nature recherche la nouveauté qui le remplit de joie. A 6 ans, l’enfant quitte le langage pour accéder aux règles de l’écrit. Le texte porte l’abstraction, suscite la curiosité de l’enfant, fait travailler son imagination, dans le texte quelque chose va se passer, il l’attend… petit à petit, il acquerra le schéma narratif. Il faut donc lui raconter des histoires qui vont développer ses sens cognitifs et il pourra alors créer lui-même de merveilleuses thèses qui subjugueront son entourage. Le réapprentissage de ce qui a déjà été appris constitue donc une régression, un retardement du développement normal de l’enfant. Le professeur Zellal étaye son argument en citant l’exemple français où l’enfant n’apprend pas le patois car il est déjà acquis. En France, d’où est importé le système LMD, on gave les élèves de livres, de poésie, de pièces théâtrales.

La thèse du Professeur Zellal est intéressante sauf qu’en France on n’apprend pas le patois car il n’existe pas. Il existe bien évidemment d’autres langues tel que le breton ou la langue d’Oc qui sont de plus en plus reconnues, valorisées, et établies à l’université en tant que spécialités, tout comme l’Amazigh l’est devenu récemment en Algérie. Le parler français par contre n’est pas très loin du vrai français, c’est à-dire du français écrit. Malgré cela, les trois matières à passer pour accéder au lycée sont les mathématiques, l’histoire, et le français. Logique combinaison. Les maths c’est la base de la science, de la logique. L’histoire pour savoir d’où l’on vient, et le français pour exprimer tout cela.

En Algérie par contre, il existe un fossé entre la daridja et l’arabe tel qu’on l’apprend à l’école ou qu’on l’écoute au journal de vingt heures. Il serait une erreur d’ignorer cela. Ce fossé n’est pas uniquement le résultat de faits historiques - notamment la colonisation - mais aussi le résultat d’une école malade. Comme Soufiane Djilali le souligne dans la même édition d’El Watan juste après l’article de professeur Zellal, les politiques menées jusqu’à présent étaient menées avec un manque de compétence et un surplus idéologique.

J’oserai dire que beaucoup d’algériens ne connaissent pas la nature de la langue qu’ils parlent (je ne parle pas du Amazigh qui est une autre question). Il n y a pas longtemps, un ami m’a surpris on me disant que la daridja était essentiellement du Amazigh, sachant qu’il a étudié la traduction et l’interprétariat tout comme moi. Un autre qui a suivi la même formation fut surpris quand je lui dis que le verbe ‘chouf’ était utilisé dans la plupart des pays arabes. Je voudrais raconter une petite anecdote qui, à mon avis, illustre la situation de la langue en Algérie.

Pendant l’été 2012 mon ami Amine et moi étions en France où l’ont poursuivait nos études. Nous fûmes recrutés par un centre d’appel en tant qu’agents de clientèles bilingues—l’anglais étant une nécessité, c’est donc pour notre maîtrise de langue arabe que nous avons été recrutés. L’entreprise disposait d’un personnel qui parlait un total de 46 langues, on pouvait entendre toutes les langues autour, un petit monde, c’était fascinant. On avait pour tâche d’appeler les clients des pays arabes notamment ceux du Golfe ; c’est de là que provenait l’essentiel de la recette. L’équipe de la langue arabe regroupait des Egyptiens, des Libanais, Palestiniens, Algériens, Tunisiens, et Marocains. Ce que j’ai constaté en écoutant toutes ces personnes parler au téléphone près de moi c’est que les égyptiens, tout comme les libanais et les palestiniens, s’adressaient aux clients dans leur propres dialectes. Ceux du Maghreb par contre utilisaient soit la langue arabe littéraire fousha, comme fut le cas pour la plupart des algériens, soit un dialecte d’un autre pays arabe. Les algériens, pour la plupart, parler fousha, hormis une fille qui parlait un peu comme les égyptiens pour se faire comprendre. Il y avait aussi un tunisien qui parlait un dialecte qui m’a semblé proche du libanais. Un autre marocain, plus intelligent, parlait le dialecte de la rente, celui des pays du Golf. Cela sans oublier l’algérien qui parlait presque comme dans le film ‘Al Rissala’. En somme, d’aucuns des maghrébins que j’ai pu connaître où eu l’occasion d’observer n’avait gardé son dialecte dans ses communications. Cela, pour dire vrai, avait suscité une petite indignation dans mon fort intérieur. Pourquoi devons nous parler leur dialecte ? Pourquoi nous, maghrébins et notamment algériens, devaient parler égyptien ou libanais pour se faire comprendre auprès d’un saoudien ? Je me suis donc mis, petit à petit, à glisser de l’arabe littéraire où la fousha vers le dialecte algérien. Mon constat fut le suivant : le dialecte algérien débarrassé des mots français, qui sont effectivement nombreux, ne valait pas moins que les autres dialectes quant à son rapprochement de l’arabe littéraire où des dialectes des autres pays arabes. La seule chose qui changea fut la remarque des clients qui voulait savoir de quel pays du Maghreb j’étais. Il suffit d’éviter les mots français et changer quelques mots. Mon ami Amine par contre n’a pas eu le courage de le faire, il continua à parler fousha, parfois à la grande surprise des clients, même en Arabie Saoudite.

Il me semble que ce dont nous avons besoin d’apprendre à nos élèves concernant la daridja est le suivant :

Toutes les langues évoluent, c’est un processus normal. Changement n’est pas forcément synonyme de dégradation ou de décadence. C’est la tâche de l’enseignant de la langue arabe de créer un pont entre la daridja, la langue qui accède au plus profond de l’imaginaire de l’enfant algérien, et l’arabe littéraire, une langue qui porte un lourd héritage culturel et civilisationnel que les peuples d’Afrique du nord, toutes origines confondues, ont largement participés a façonnés. C’est aussi à l’enseignant qu’incombe la tâche d’apprendre aux élèves dès leur jeune âge à dissocier le français de l’arabe à travers la multiplication des exercices oraux. Ce n’est pas un défaut mais une qualité de pouvoir passer d’une langue à une autre, mais mélanger les mots et les structures dans une seule phrase relève de l’incapacité et non pas du talent. Ce travail ne se fait pas seulement à l’école mais aussi au sein de la famille. Mon père nous interdisait de dire par exemple ‘courtabe’. Il nous disait : «soit vous dites cartable soit ‘mihfada’».

Les enfants doivent comprendre que la langue dans laquelle ils ont appris à concevoir le monde est une langue qui vient essentiellement de la langue arabe. L’étymologie des mots de la daridja le montrera. En vérifiant l’origine de plusieurs mots que nous utilisons quotidiennement je fus surpris combien je parlais arabe. Plus important, la structure profonde de cette langue demeure inchangée, celle de l’arabe, la preuve nous conjuguons souvent les verbes français selon les règles de la conjugaison arabe. Les algériens doivent se défaire de ce complexe vis-à-vis de la langue arabe et des autres dialectes. En parlant arabe, ils ne doivent plus sentir qu’ils sont en train de parler une langue étrangère. Ils doivent aussi comprendre qu’il vaille la peine d’améliorer leur daridja, la soigner, et cela commence à l’école mais aussi au sein de la famille. Montrer à l’élève qu’il parle déjà arabe avant d’adhérer à l’école l’aidera de passer de cette langue (cette pure abstraction qu’il a acquis avec la daridja) à la parole (la concrétisation de cette langue et donc de cette abstraction en un bon arabe, un arabe très riche). A ce titre je citerai Ouyahia qui passe facilement, dans la plupart de ses discours, de l’arabe littéraire à une daridja soignée et vice versa. Les autres ministres devraient s’en inspirer et arrêter de dire des bêtises. Il est vrai qu’il n’existe pas un seul dialecte, mais les Algériens qui parlent la daridja communiquent facilement entre eux. Une raison de plus, montrer l’évolution selon les régions, pourquoi de tels évolutions et de tels différences ? Cela aidera aussi à promouvoir notre riche héritage linguistique et culturel, le partager pour mieux le défendre et le promouvoir. La daridja est le reflet de notre histoire

C’est en maîtrisant notre propre langue que l’on parvient à maîtriser les langues étrangère. Et c’est en maîtrisant les langues étrangères que l’ont parvient à enrichir la langue arabe qui n’est, et il faut le dire, plus la langue de la science, de la littérature, et de la modernité. Les islamo-conservateurs qui sont contre l’initiative de la ministre font du tort à cette langue sans s’en rendre compte. Ils ont une maladie contagieuse qui s’appelle la perfection. Ils ne partent pas d’un constat mais d’une vision. Ils ne partent pas de la réalité pour essayer de l’améliorer raisonnablement; ils partent d’un idéal, d’une image archétypale pour l’appliquer à la réalité. Dans un débat, c’est la raison qui prévaut et non pas la passion. L’école a tellement de travail, il faut apprendre à nos enfants de débattre correctement et raisonnablement.

Farouk Lamine

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Hend Uqaci Ivarwaqène

Skisi mwa de prendre le train en marche, et de mettre les pieds dans le plat. Il me semble qu’il y a confusion. Il ne s’agit pas d’apprendre la daridja car on tombe dedans à la naissance et qu’elle est plus proche de la langue du coran ou qu’elle est la langue maternelle de Dieu himself.

Il s’agit d’apprendre aux mioches les matières de base (sciences) dans la langue derdja. Comme il a dit Kichi la langue anglaise n’était pas une langue scientifique à la base et la langue française non plus.

Sadipa juste ce qu’on apprend avec quoi ! L’essentiel c’est d’apprendre quelque chose comme il a dit Rousseau dans l’Emile.

Tout dépend de ce qu’on apprend à ces mioches et non de la langue elle-même qui n’est qu’un vecteur. Alors qu’il s’agisse de derdja, de la langue de belle-mère, de vipère, ou skitivou, ce n’est pas la langue qui est en cause.

C’est juste que jissipa comment qu’on va faire pour traduire tous les textes existant en derdja alors qu’on ne l’a pas fait pour la langue arabe el fos’ha.

Mwa j'ai appris la mécanique en derdja: Chambaryir, elvizible, dimontepnou, jwindkilasse, vispaltini, , lkarbiratour, li dourite, erroulma.....

En toulika derdja oula fosha on n'est pas sorti de l'auberge!

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Kichi Duoduma

Salut a Dda Verwaq !...

L’algérien est à peu près complétement dépendant de l’ancien colonisateur pour satisfaire la quasi-totalité de ses besoins. Devoir lui emprunter jusqu’à des mots pour mener sa vie quotidienne lui donne des complexes énormes, conscients ou inconscients. Les mots ne sont après tout que du vent, et même ça on est obligé de l’importer ya bou-rebb ? Même “ya bou-reb” nous vient du français : c’est l’emprunt du mot “bon” et traduction mot à mot de “Bon Dieu”, c’est à dire “Bon Rebb”. Même pas foutus d’enfiler quelques sons ensemble pour en faire nos propres mots alors ou quoi ?... En réalité, il est à peu près aussi difficile et complexe de créer un mot que de construire un gratte-ciel, mais ça c’est une autre histoire. Avoir besoin d’emprunter les mots de l’ancien colonisateur rappelle inconsciemment à l’algérien sa place de dominé, et c’est pour ça qu’il renâcle. Et c’est pourquoi les imbéciles barbus haïssent tellement le français mais n’ont rien contre l’anglais pourtant lui aussi langue des kouffar.

Enfin, c’est ma petite idée là-dessus. Je me trompe peut-être, quien save ? Wissen ? Ich weis nicht. Manaâref.

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deradji nair

Monsieur Farouk en deux mots je vous fait savoir que l'arabe que vous appellez "Ederja" est plus prés de la langue du Coran donc du vrai arabe et ni les Saoudiens avec lesquels j'ai eu des grands contact, ni le libanais, ni les phalestiniens et encore moins les égyptiens ne prononcent l'arabe du Coran.

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