A propos de Chafik Mesbah, de Bouteflika et de l’Armée PREMIERE PARTIE : LE TEMPS DE L’AGGIORNAMENTO

A propos de Chafik Mesbah, de Bouteflika et de l’Armée  PREMIERE PARTIE : LE TEMPS DE L’AGGIORNAMENTO

Il y a une part d’injustice (ou de précipitation) dans l’accueil glacé qu’a reçu notre ami Chafik Mesbah (1) sur ce site.
D’abord parce que l’auteur cultive une rare opiniâtreté dans l’expression d’idées taboues, et ce n’est pas peu en cette époque. Ensuite parce qu’il porte un certain courage dans le diagnostic politique : « C’est tout le système qui est devenu obsolescent. »
Enfin parce qu’il nous livre un avis passablement « autorisé », même s’il s’en défend : une partie du DRS et de la hiérarchie militaire craint « une insurrection populaire couplée à une offensive terroriste », qui pourrait emporter le pays. Elle voit la solution dans le remplacement sans délai du « cercle présidentiel » par une « direction politique éclairée capable de canaliser la violence. »

Et c’est là qu’il faut déplorer que Mesbah en arrive à démolir lui-même son propre argumentaire.

Car qui forme le « système »? L’Armée, le DRS, Bouteflika ? Aucun des trois, nous dit l’auteur.

Dans sa hâte à vouloir disculper la hiérarchie militaire de l’incroyable échec national, il rompt brutalement avec la rigueur de l’analyse pour succomber dans une déroutante liturgie psychanalytique à propos de l’Armée devenue subitement et exclusivement une communauté d’esprits intègres et patriotes mais « ingénus » et « aveugles » car sottement robotisés, faits pour « obéir », victimes de leur excessif attachement à leur mission et de leur ignorance de la chose politique.

Du coup, c’est toute la définition du « système », dont Chafik Mesbah reconnaît qu’il est tombé en désuétude, qui se trouve gravement endommagée car amputée de sa principale matrice génitrice, l’Armée, et réduite au seul « cercle présidentiel » ( ?), même pas de Bouteflika. Ce dernier n’est, selon Mesbah , qu’un « otage du clan présidentiel. » Il est « épargné » en qualité de joker choisi par les généraux en 1999. « Je ne pensais pas, cependant, que Abdelaziz Bouteflika postulerait pour la magistrature suprême sans avoir pris la précaution de se doter d'un projet national et sans avoir pris le soin de constituer une équipe de gouvernance. Je m'en suis seulement rendu compte qu’après qu'il eut accédé à la présidence de la République, en 1999. »

Sans doute pourrait-on pardonner à un auteur si avisé cette défaillance de lucidité, lui pardonner de n’avoir pas toujours eu la perspicacité des grands visionnaires. Après tout, tout le monde n’a pas le don de Victor Hugo d’anticiper les bouleversements et de clamer avant ses pairs : «Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte. Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte.»

Et, nous chuchote Mesbah, qui avait vu, en 1999, Napoléon percer sous Bonaparte ?

L’ennui c’est que la question n’est plus à la mode.

En se hasardant dans un raisonnement de type sophiste, assez inattendu chez un intellectuel de cette trempe, Chafik Mesbah s’expose au préjudice de poser des questions réglées depuis longtemps par l’opinion.

Car plus personne n’ignore plus que Bouteflika avait un projet, un seul, celui des généraux, celui pour lequel il a été appelé aux commandes : sauver le régime en finalisant, entre autres, un pacte de type mafieux avec les islamistes armés.

Et comble de l’infortune, il n’existe même plus de « public démocrate » pour les théories de Mesbah.

En se risquant dans la reconduction – certes habile – de thèses condamnées par le temps, l’auteur va, en effet, à contre-courant d’un aggiornamento salutaire que tous les démocrates qui ont défendu la thèse de « l’Armée républicaine » sont en train de traverser, mais dans le trouble, le désarroi et l’amertume. Il nous faut produire des analyses d’éclairage, émancipées des vieilles fables, dépoussiérées et réactualisées, afin de replacer cet aggiornamento dans une perspective dynamique et enrichissante et de le prémunir des thèses manichéennes et indigentes du « qui tue qui ? »

C’est ainsi que nous continuerons ceux qui nous ont précédés et que nous obéirons au devoir premier de l’intellectuel, si tant est qu’on l’est : batailler contre son époque.

Et c’est ainsi que nous explorerons efficacement le placard du passé : le rôle de l’armée et de la SM dans la répression des démocrates et l’avènement de l’islamisme; la vraie nature du putsch de 1992 ; les raisons du choix de Bouteflika ; le rôle actif de l’Armée dans la réconciliation nationale.

Mohamed Benchicou

(1) Le Soir 23 et 24 juillet

A suivre : DEUXIEME PARTIE : L’ARMEE POUVAIT-ELLE DONNER UN ATATÜRK ?

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Commentaires (8) | Réagir ?

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liberte622011

Un barbouze reste toujours un barbouze. Où était ce M.  Chafik Mesbah durant toutes ces années de répression, de mépris et de violence contre les populations désarmées ? Où étiez-vous M.  Mesbah en 1980, 82, 85 et en 2001 quand les jeunes kabyles se faisaient torturer et assassiner par les gendarmes coloniaux ? Où étiez-vous durant les exterminations massives de populations à Bentalha et ailleurs ?

Je peux vous promettre ceci, M.  Mesbah, il n'y aura pas de pardon pour les gendarmes, les corrompus et les militaires. Pas de pardon pour ceux qui nous ont saignés déjà bien avant l'indépendance. Nous les chasserons un par un et les ferons juger par les tribunaux. Aucun pays du monde ne les accueillera. Nous y veillerons. J'espère que le Matin DZ va passer ce commentaire pour ne pas ajouter une frustration de plus à la masse qui nous étouffe.

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bedrane

j'intreviens dans ce debat à deux niveaux.

1- d'abord l'approche et l'image que se fait Med Benchicou sur Chafik Mesbah qui est une appreciation d'un intellectuel sur un autre intelectuel, sans passion, ni agressivité, ni violence, plutôt indulgent car à même de cerner la part des choses, Bravo Mr Benchicou, de percevoir un peu d'eclairci dans cette sombre jungle qui est l'Algerie.

2- Chafik Mesbah, comme tout intellectuel, a un peu de naiveté et de bonne foi dans sa démarche, qu'on ne pourrait comprendre si on ne retient que le cô^té militaire de sa carrière. Il n'en demeure pas moins qu'il est issu d'une famille noble, d'intellectuel, qui pensait qu'il pouvait changer le système de l'interieur. Une fois qu'il s'etait rendu compte de l'impossibilité de l'oeuvre, il a jété le tablier.

Donc soyons positif et arretons de prendre des raccourcis et de tirer sur tout ce qui bouge.

Ces sites ne devraient pas être ouverts aux personnes violentes, obsoletes et haineuses.

Quitte à deplaire, je tenais à apporter cette breve precision

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