Le rêve canadien des Algériens

Le Canada, pays de rêves mais aussi de bien des déceptions pour les Algériens non préparés.
Le Canada, pays de rêves mais aussi de bien des déceptions pour les Algériens non préparés.

Aujourd'hui, la communauté algérienne à l'étranger étend sa niche au-delà de son espace traditionnel, géographiquement dépendant de son histoire récente. Au début du siècle passé, ont commencé les premières vagues de migrations souhaitées ou forcées vers la France, les pays du pourtour méditerranéen et parfois l'Europe du Nord.

Dès le milieu des années 1970, des Algériens avaient trouvé une autre destination à la recherche d'une vie meilleure, à ce moment-là certains étudiants boursiers de l'état, ont fait le choix de s'installer définitivement en Amérique du nord et plus particulièrement aux États unis ; ils seront suivis plus tard par d'autres chanceux de la loterie annuelle, qu'organise le gouvernement des USA pour l'obtention de la Green Card. Mais c'est au Canada que les Algériens ont commencé à former une grande communauté représentée par des diplômés de l'université et des instituts algériens. La province du Québec francophone, a attiré la quasi-totalité de cette communauté, pour des raisons surtout linguistiques, dans le cadre de son programme d'immigration choisie. Les immigrants sont attendus pour peupler l'immense territoire Canadien à faible densité démographique, mais aussi pour palier à la pénurie du personnel, suite au vieillissement de la population active.

Les démarches et procédures de candidature à l'immigration au Canada sont très longues et couteuses. En plus des diplômes, de l'expérience professionnelle, de l'âge, des certificats de compétence linguistique, de langue française et anglaise, le candidat doit s'acquitter de la somme de 757$ Canadien (Chèque Canadien uniquement) pour le traitement de son dossier, attendre environ 60 mois pour recevoir un éventuel rendez-vous d'entretien qui se fait au consulat du Canada à Tunis. Selon le journal montréalais ''Le Devoir'', 52 % des demandes d'immigration au Québec des travailleurs qualifiés ont été rejetées ou refusées entre le début de l'année et le 30 septembre 2014.Si le candidat est sélectionné, un Certificat de Sélection du Québec lui sera accordé. À l'aide de ce CSQ, le candidat peut poursuivre sa procédure d'immigration au niveau fédéral. À l'issue d'un contrôle médical et d'une enquête de sécurité, le statut de résident permanent lui est accordé par ‘'Citoyenneté et Immigration Canada''.

Chaque année, environ 250 000 immigrants viennent au Canada, et la citoyenneté canadienne est accordée à quelques 150 000 résidents. A l'arrivée à l'aéroport, les services d'immigration accordent un visa de deux ans au détenteur d'une lettre d'introduction au Québec. L'immigrant doit rapidement trouver un appartement, s'inscrire à la RamQ (Sécurité sociale québécoise) pour avoir un numéro d'assuré social ,passer ensuite à la régie d'assurance maladie du Québec pour établir sa carte d'assurance maladie, enfin ouvrir un compte bancaire en quelques heures et aller chercher du travail auprès des agences de placement.

Certes, la situation n'est pas facile, il y a le stress lié à l'incertitude, les jours de découragement et de déprime, les moments de nostalgie aussi : on ne quitte pas le pays de toute une vie sans le regretter parfois. Mais aucune immigration n'est facile, le soutien chaleureux et solidaire de nombreux Algériens et Québécois de toutes origines, est très important pour surmonter les moments difficiles. Le premier choc est surtout culturel, le Québec bien qu'il soit une province francophone est très différent de la France, l'anglais est incontournable dans le commerce et les affaires, comme l'utilisation d'anglicismes à tout va est très visible. Les Québécois sont avant tout des nord-américains, qui s'accommodent sans aucune réticence au multiculturalisme qui caractérise le Canada. Les Montréalais sont tolérants envers ceux qui s'écartent de ce que la société définit comme étant la norme, les minorités sont protégées, du moment qu'un citoyen ne nuit pas à l'ordre, il est libre d'exprimer sa créativité, ses envies comme il le conçoit. Le Canada est connu pour la qualité de vie, la sécurité, la formation, et le bien-être de ses habitants. Le travail est valorisé et fait évoluer professionnellement et socialement. Cependant en plus du savoir-faire et des compétences acquises, le savoir être (le côté caractériel de la personne) : donnée trop négligée en Algérie et ailleurs aussi, est une condition indispensable à l'adaptation sociale et culturelle au pays d'accueil et déterminante dans la carrière et la promotion de l'immigrant. Le Québec ou la Canada n'est plus un Eldorado, seulement les compétences sont recherchées. Si ce n'est pas le cas il est nécessaire de suivre une formation, plus des examens professionnels ou administratifs payants, aussi pour mettre à jour ou obtenir des équivalences afin valider ses compétences, et progresser également en anglais. Il arrive que des gens ultra-qualifiés venus d'un peu partout à travers le monde avec beaucoup d'expérience, se voient tout recommencer pour avoir une certification Canadienne. Le temps de travail est de 42 heures en moyenne par semaine ; à temps complet, à temps partiel, sur appel, voire parsemés (jour, soir, nuit,). Fini les grasses matinées et les retards au travail, en gros il faut trimer au moins 180 heures par mois, souvent les travailleurs peuvent cumuler plusieurs emplois pour s'en sortir. Les employeurs apprécient le travail à sa juste valeur sans plus, mais mettent tous les moyens en œuvre pour rendre les conditions du travail parfaites. Pour les personnes qui n'ont pas de point d'attache au Québec, ou de compétences recherchées, ils devront avoir un minimum de 10 000 € par adulte et 5000€ par enfant, pour couvrir la première année sans difficulté.

Le rêve canadien a un prix : beaucoup de déçus pour peu d'élus «immédiat». Sans réseautage, il est difficile de trouver du travail même si le demandeur recèle d'immenses compétences. Il est triste de rencontrer des personnes qui passent leur semaine et week-end à cumuler des petits emplois pour s'en sortir, rester célibataire faute de moyens. Les horaires décalés des couples qui travaillent, tuent peu à peu la relation conjugale, et sont parfois source de divorce. Pour certains, rester dans des 1 1/2 en sous-sol peu spacieux avec de la neige par-dessus la fenêtre, manger peu équilibré faute de moyens et un moral bas, se lever à des heures impossibles pour aller travailler quelques heures, revenir à la maison et repartir ensuite plus tard pour une autre manche. Les gens sont très ponctuels. Les relations avec les collègues sont assez «basiques». Pas de serrage de main, pas de bises avec les filles. Pas de pause-café pour se détendre, ni pour prendre ces fameuses décisions informelles. Le travail se fait d'une traite. Pas de convivialité, les échanges entre collègues sont très superficiels. L'individualisme est un caractère nord-américain, l'esprit d'équipe n'est pas Canadien. C'est rare que le ton monte dans les discussions, de toutes les façons c'est très mal vu. La loi sur les normes de travail protège beaucoup moins le travailleur, la flexibilité donne plus de marge de manœuvre à l'employeur, lorsqu'il s'agit de licencier un employé.

Bien que les Québécois se montrent souvent assez polis, très chaleureux et discutent facilement au premier abord, seulement, les conversations restent superficielles et les rencontres éphémères se traduisent rarement en amitié. Demeurer strictement entre membre d'une même communauté ne fait pas améliorer les choses, autant rester dans son pays. En majorité, tous ceux qui conservent leur mode de vie au lieu de s'habituer rapidement ne réussissent pas leur intégration. Les relations avec les Québécoises n'est pas chose facile, elles ne sont pas des femmes soumises ni faciles, mais très autonomes ; pour réussir une relation de couple autant s'adapter au Québec que le contraire. Au bout de quelques mois, certains crèvent d'être toujours seuls, blasés, ne peuvent plus, envisagent de retourner au pays. Petit à petit se désocialisent et s'enferment dans leurs bulles se remettent en question et la solitude leur pèse terriblement. Avoir ne serait-ce qu'un (e) ami(e) ou voisin(e) avec qui échanger quelques mots et l'inviter à boire un café juste pour jaser. Ce n'est pas tant la famille, le bled qui leur manquent mais la présence de l'autre...une vie sociale, tout simplement.

La qualité du système de santé Québécois est l'un des meilleurs au monde, gratuit en partie, mais l'accès aux soins relève de l'impossible, vaut mieux ne pas tomber malade ou avoir un problème de dents. Entre les délais de 24 heures pour se faire ausculter par un médecin aux urgences et une attente de plusieurs mois pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste, il est judicieux d'aller à la pharmacie pour des premiers soins ou les petits bobos ou retourner aux remèdes de grand-mère. Au Canada les conditions climatiques sont un facteur à ne pas négliger, la vie ne s'arrête pas pour autant en hiver, bien qu'il y fait très froid (-40°C), long, neigeux, se prolonge jusqu'en Mai, l'été est court, chaud et humide, automne en septembre. La ville de Montréal est desservie de façon adéquate par le métro et les bus, il est tout à fait possible de résider à Montréal sans auto, et ce même en hiver.

A l'école les élèves portent des uniformes, les classes avec peu d'enfants, les casiers dans les halls, les professeurs dévoués et à l'écoute. L'apprentissage est basé sur le développement personnel, les enfants sont encadrés, choyés, tous les adultes de leur entourage connaissent leurs prénoms. Certaines écoles sélectionnent leurs candidats sur dossier puis examens. Beaucoup d'activités périscolaires sont proposées aux enfants à partir de 15h30 avec des éducateurs cools et attentionnés. Tout n'est pas noir, il y a quand même tellement de choses dans la vie qu'il ne faut pas passer à côté, à l'image de Mme Souad B, qui s'est expatriée en 2006 au Québec, avec son conjoint 48 h après leurs noces « Le voyage de noces d'une vie ». Mais aussi le voyage du changement et des grands défis. Sortie de l'UST d'Oran, avec un Ingéniorat en électrotechnique, savait qu'elle devrait recommencer à zéro ou presque sa vie professionnelle qu'elle a commencée en Algérie (dans l'enseignement et les télécommunications).

Mais le chemin parcouru depuis en valait la peine. Après une petite expérience professionnelle comme adjointe administrative à Montréal, elle se voit surqualifiée ; et a changé les choses pour ne pas rester dans la précarité et se lamenter sur son sort. Elle est allée chercher son certificat d'ingéniorat à l'école polytechnique de Montréal en passant les trois examens de l'ordre des ingénieurs du Québec et s'est intégrée ensuite, à la régionale des ingénieurs de Montréal et est devenue présidente. Sa première expérience professionnelle, elle l'a trouvée dans une firme internationale d'appareils électroménagers ; comme ingénieure juniore en qualité, puis gérante de département de la qualité. Aujourd'hui elle est gestionnaire d'introduction des nouveaux produits dans une autre grande firme multinationale et gestionnaire de projet, à l'ordre des ingénieurs du Québec, et envisage prochainement de faire un Doctorat. Ce qui lui fait le plus mal, c'est qu'elle aurait aimé que son propre pays bénéficie de sa volonté. Elle n'a pas eu cette occasion, elle le fait ailleurs mais reste Algérienne et fière de l'être Sa réussite professionnelle est une satisfaction personnelle, son statut social lui facilite sa vie familiale équilibrée ; elle espère la réussite à ses deux filles nées au Québec, son conjoint vétérinaire en Algérie est aujourd'hui professeur dans un lycée après des études de mathématiques à Montréal. Belle réussite d'intégration, que malheureusement beaucoup d'autres n'ont pas eue.

On ne quitte pas son pays de gaité de cœur et aller s'aventurer vers d'autres horizons inconnus, lointains et dépaysant sans ressentiments. Toute migration est d'abord une échappatoire à la mal vie, aux dangers appréhendés et au manque de liberté qui étreint les hommes chez eux. Quand la chance sourit et les choses s'améliorent, l'individu exprime sa fierté d'appartenance et souhaite partager ses succès avec les siens et le pays qui n'a pas su le retenir.

Ahmed Farrah

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Commentaires (8) | Réagir ?

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Samir Achoubi

Je rejoins à quelques éléments près le commentaire de Amazigh Tizi. Le Canada n'a rien à voir avec un pays Européen et encore moins avec l'Algérie, ses mœurs, ses coutumes, ses habitudes de travail, ses forces et ses contraintes sociales et culturelles.

Certes c'est un pays dont les gouvernants veulent peupler de grands pans du territoire et ne se demandent même pas si l'intégration est possible, facile ou difficile. Ça ne les dérangent pas qu'il y ait quelques milliers qui échouent dans leurs tentatives de réussir.

En fait, ils considèrent que toute personne reçue comme résidente permanente et plus tard comme citoyenne a certes les mêmes droits qu'une personne Canadienne et que par conséquent la réciproque est vraie, c'est à dire que toute personne admise pour devenir Citoyenne Canadienne peut aussi échouer dans ses projets. Mais elle a le devoir de se relever pour tenter encore et encore d'atteindre le succès.

Alors celles et ceux qui n'ont pas l'esprit entrepreneur, la capacité d'endurance appropriée, la facilité de l'adaptation aux valeurs, aux principes et aux règles qui régissent la société et bien elles n'ont pas à venir dans ce pays d'accueil.

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Amazigh Tizi

Habitant au Quebec depuis plus de 25 ans, je dois apporter quelques precisions PERSONNELLES au vu de mon experience ici au Canada. Tout d'abord quand on veut émigrer dans un pays, il y a un principe de base à ne jamais oublier : On ne va JAMAIS trouver les mêmes repères, les memes habitudes culturelles, vestimentimentaires, climatiques, culinaires voire sportives.... que chez soi dans son pays d'origine. Une fois que MENTALEMENT on se met dans la tête qu'il faut vivre comme les gens du pays qui vous accueille, vous avez déjà réglé plus de la moitié des problèmes psychologique et culturels liés à l'émigration.. Vouloir vivre à Montreal, Toronto ou Vancouver comme à Bab El Oued, Mascara, Chelghoum El Aid ou El Oued, c est l'ECHEC assuré d'avance. Porter le Tchador et vouloir travailer dans l'Administration c'est presque surrealiste......

Ensuite, sur le plan professionnel, moi j'ai eu de la chance d'avoir des diplomes europeens qui sont reconnus ici (quoique certains en pensent).... Pour ceux délivrés en Algérie, ils sont informés d'avance, bien avant l'entretien que les diplomes algériens ne sont pas RECONNUS pour excercer des professions reglementées mais sont admis pour faire des études supplementaires ou complementaires sans problemes.... Donc ceux qui ont le courage de retourner à l'université ou au CEGEP valider leurs connaissances, ils n ont eu par la suite aucune difficulté à s'insérer dans le marché du travail..... Juste à aller faire un tour du côté des universités, des collèges ou des ecoles du Quebec, pour se rendre compte du nombre impressionnant d'Algériens qui y enseignent... Certains professeurs algeriens de Polytechnique Montreal ou HEC Montreal ont une reputation qui a dépassé les frontières du Canada....

Pour les Echecs..... Beaucoup d'Algériens (pas juste algériens il faut le reconnaitre), même fortement diplômés en Algérie, sont cependant incapables de s'insérer professionnellement ici au Quebec pour plusieurs raisons, indépendantes de la reconnaissance de leurs diplomes.... Ils n'arrivent pas à s'adapter aux régles et normes de travail nord americaines - ils n'arrivent pas à être performants et concurrentiels, au regard de leur vecu professionnel dans leur pays d'origine.... Des directeurs informatiques en Algérie se retrouvent chauffeurs de taxi pour la simple raison qu'ici ils sont incapables d'écrire le moindre programme, de diriger le moindre projet informatique.... ils passaient leur temps en Algérie à signer de la paperasse...... D'autres certainement plus doués, ont su actualiser leurs connaissances en informatiques et se jeter dans l'arene professionnelle avec beaucoup de serieux et de perseverance.... Certains informaticiens algériens sont d'ailleurs parmi les meilleurs ici au Quebec.

En conclusion et compte tenu de ce que j'ai observé des immigrations anciennes ici au Quebec, venues d'Italie, du Portugal, de Grece, du Liban, de Syrie.......... on s'aperçoit que les parents immigrants sont toujours les plus SACRIFIES, à cause des problemes de langues, d'adaptation professionnelles, climatiques, culturelles et autres... Mais, leurs enfants et petits enfants sont RAPIDEMENT insérés dans la société quebecoise et canadienne SANS DISCRIMINITION NOTOIRE.... contrairement à la France par exemple.

Les Algériens qui l'ont d'ailleurs compris (et qui representent a mon avis une très grande majorité) vivent tres bien leur nouvelle vie ici au Québec ou au Canada. Et vous allez entendre tres bientôt des performances des enfants algériens de la 2e génération - quand on voit le nombre d'étudiants d'origine algérienne inscrits dans les grandes universités du Canada.

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urfane

je cite notre ami amzigh : "Et vous allez entendre très bientôt des performances des enfants algériens de la 2e génération - quand on voit le nombre d'étudiants d'origine algérienne inscrits dans les grandes universités du Canada" Pour les papas mamans, certes ils retourneront rechercher leurs cordons ombilicaux mais pour les descendants c'est une autre histoire. Alors mieux vaut les conforter dans leurs citoyenneté canadienne car, a trop vouloir les arrimer à vos propres feedback "dixit hend" patriotiques, vous risquerez d'en faire des apatrides identitaires à l'exemple de pas entiers de ceux qu'on péjorativement "les beurs" en France...

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zwen

Tu es beaucoup plus objectif que Ahmed Farrah, vraiment bravo. tu as tres bien expliqué, pour le gens qui veulent faire le saut. Donc si j'ai bien compris les echecs des Algériens au Canada, en France, en Angleterre, en suisse, aux Etats Unies et surtout en Algérie, est due essentiellement au comportement des Algériens eux même et non pas aux autres peuples.

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