Débat : Résister à la "presse d'industrie"

Débat : Résister à la "presse d'industrie"

Qu'a voulu dire Bachir Rezzoug en affirmant que "la presse ne devait jamais s'asservir à l'argent ?" Le débat s'ouvre. Edwy Plenel, qui fut directeur de la rédaction du Monde avant d'en démissionner en 2004, et qui a crée le site Mediapart, revient sur la question dans cet article (extraits).

Pardon pour cette trop longue absence. Mais, durant ce premier mois de vie de Mediapart, depuis le lancement de la mi-mars, il a fallu continuer à s'occuper de tout ce qui n'est pas… du journalisme, tout en assurant la visibilité médiatique de notre journal. Lancer une entreprise de presse indépendante, c'est compter sur ses propres forces. Pas de grand groupe, pas de mécène intéressé, pas d'industriel richissime derrière notre aventure – et c'est évidemment tant mieux. Du coup, par-delà ce que vous, lecteurs, voyez à tout instant – notre journal numérique –, tout reste à faire et à construire. Nous avons fait le choix, en conscience, de mettre le paquet sur l'éditorial : sur 29 salariés, Mediapart compte 26 journalistes. C'est évidemment un déséquilibre mais il est lié à notre conviction de départ : remettre le journalisme au cœur du défi et construire l'identité de l'entreprise autour des enjeux éditoriaux.

Ce choix n'est évidemment pas sans résonance avec la crise sans précédent de la presse française, que les deux jours de grève du Monde viennent d'illustrer cette semaine. Comme vous le savez, sur ce sujet précis, je serai toujours suspecté de subjectivité, après vingt-cinq ans passés dans ce journal, qui se sont conclus par une radicale rupture avec ses dirigeants d'alors. C'est pourquoi, estimant que j'avais dit l'essentiel en 2006 dans Procès (Stock, réédité en Folio en 2007), essentiel que les événements actuels ne font, selon moi, que confirmer, j'ai choisi de ne pas y revenir. C'eût été parasiter par le legs du passé une histoire du futur. Car, même si trois de ses fondateurs se sont connus dans ce journal (François Bonnet, Laurent Mauduit et moi-même) et que cinq autres membres de notre équipe y ont travaillé (Maguy Day, Erich Inciyan, Fabrice Lhomme, Martine Orange, Vincent Truffy), Mediapart n'est en aucun cas un compte que nous réglerions avec notre ancien journal. C'est une aventure autre, libre et nouvelle, différente et distante.

En revanche, nous avons appris de nos naïvetés d'hier, de nos défaites et de nos échecs. Cet enseignement, je le résumais dans Procès en rappelant une fameuse conférence du fondateur du Monde, en 1956, intitulée "La presse et l'argent". Hubert Beuve-Méry, qui signait Sirius, y désignait l'adversaire habituel de la presse libre d'une formule que notre époque fait revivre: "la presse d'industrie". Ni angélique ni naïf, il savait que les journaux sont des entreprises et que la presse est aussi une industrie – certes, ajoutait-il, "une industrie pas comme les autres, puisque l'essentiel de sa production est immatériel, mais tout de même une industrie". En conséquence de quoi, la première liberté qui conditionne les suivantes, prosaïque quand les autres se veulent nobles, c'est que "l'affaire reste rentable". Loin de dédaigner, à son époque, "la presse industrialisée qu'impose l'évolution économique", Beuve-Méry veillait de près à cette rationalité comptable où se croisent technique et commerce et où se font dépenses et recettes. Mais il ne confondait pas la fin et les moyens, l'intendance et l'idéal, les nécessités concrètes et les impératifs éthiques.

Car la presse d'industrie, c'est tout autre chose que l'application à la presse d'un certain réalisme économique. C'est un mélange des genres, l'irruption d'une rationalité extérieure, l'échange inégal d'un confort contre une dépendance. C'est, résumait Beuve-Méry, la presse où "il suffit que l'information n'aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très précis ou, à l'occasion, qu'elle les serve efficacement". Dans Procès, je rappelais que Beuve parlait d'expérience, ayant connu cette presse-là au Temps, avant-guerre, illustration de ce que ces dérives et ces sujétions peuvent s'abriter sous d'apparents labels de qualité. Et je poursuivais en évoquant son rêve, qui était aussi celui du fondateur et premier président de la Société des rédacteurs du Monde, Jean Schwoebel, d'inventer un statut de société à but non-lucratif pour les entreprises de presse.

Bref, pas besoin d'épiloguer, si je suis parti, comme beaucoup d'autres, c'est pour la raison affirmée page 139 de Procès : "La presse d'industrie est de retour, et Le Monde, hélas, n'y fait plus exception". Mais beaucoup de ceux qui sont restés et qui, aujourd'hui, se battent pour l'emploi d'une entreprise et pour l'image d'un titre, en ont aussi bien conscience. Simplement, j'ai jugé que la bataille décisive avait été perdue en 2005, lors du vote sur la recapitalisation, qui a permis à Lagardère d'entrer en force dans la place, vote qui ne s'est accompagné d'aucune disposition pour sanctuariser le journal, ni d'aucune sanction tirant les leçons d'une gestion aventureuse, encore moins d'une remise en cause de la fuite en avant dans la construction d'un groupe de presse, groupe que Le Monde a plutôt pillé sans vergogne que développé avec ambition. Par peur de l'avenir et, déjà, chantage au dépôt de bilan, deux tiers de la rédaction ont préféré croire les illusoires promesses d'alors dont, aujourd'hui, il ne reste plus rien. Nous n'avons été qu'un gros tiers à dire "non".

Est-il besoin d'ajouter que cette histoire est immensément triste, humainement lamentable et professionnellement désastreuse? Dans l'immédiat, l'essentiel, c'est que des journalistes se battent et résistent. Et, depuis Mediapart, c'est évidemment à eux que nous pensons.

E.P.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Brahim Bennadi

je suis trés heureux qu'Edwy Plenet et Bachir Rezzoug, mais surtout le premier, ait touché nos soit disant journalistes-Editeurs la où ca peut leur faire trés mal.

Je dis Bien le Français et non Bachir Rezzoug, parceque l'opinion du premier est effectivement pris en compte, étant donné que nos Algériens se soucient plus de se faire voir a l'exterieur qu'a l'interieur, puisque pour eux peu importe ce que pense son compatriote de son comportement.

J'ai maintes fois dénoncé avec des mots a peine voilés, la fulgurante ascension de Hmida Layachi qui pour se faire vendre au plus offrant s'est débrouillé pour s'exposer a travers ses apparitions culottées de la campagne électorale de 1999, Ce qui lui a permis de lancer ses quotidiens avec l'aide du clan Boureflika (tout un étage offert a la maison de la presse, C'est un miracle que seul peut réaliser un puissant du systéme).

Surtout, il ne faut plus s'astreindre a l'omerta Nationale qui nous conseille de ne pas citer de Noms !! C'est tres dangereux pour la lutte démocratique !

Quant a El Watan et El Khabar, on constate que depuis qu'ils ont gouté au confort de la réddition, ils se sont consacré uniquement a la Publicité, en violation des lois (publient toujours plus d'1/3 du volume, en plus du supplément gratuit pour contenir le surplus de Pub) au ramassage de sommes colossales, pour l'achat de rotatives et autres investissements, tels que la création de boites de pub et autres.

Ce qui est condamnable C'est que malgré la fortune ammassée par ces editeurs, ils continuent de sequestrer des étages entiers de la maison de la presse, alors ils pourraient au mloins songer a construire leurs siéges, et laisser la place aux jeunes qui aspirent a tenter l'experience de l'édition.

Ceci est d'autant plus grave qu'ils se la jouent Démocrates et aspirent a des couvertures médiatiques et des distinctions internationales.

L'esprit du systéme pourri, le refus de l'alternance au pouvoir est ainsi manifeste chez cette categorie de soit disant journaux independants a leurs appartenances a des groupes d'interets politiques a été maintes fois citée par des ex-Hommes du systéme pourri une fois ejectés de leur tour d'ivoire !

A bon entendeur Salut !

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ingenieur

les problemes de nos deux pays se ressembles bcoup, on a les memes racines et les memes onjectifs et si un jour un des deux pays (maroc, algerie) arrive a vaincre son pouvoir despotiqque installé par la france ca aura un effet domino sur l'autre. en attendant il faut aider toutes les forces de progres et les initiatives citoyennes et le liberté de la presse.

notre devoir est de contruire un maghreb uni pasde se dechirer, notre place est d'etre son coeur et son centre, notre place n'est ni avec les gens du machrek, ni dans l'upm du petit nabot francais, di moins jusqu'a l'edification de cette union maghrebine qui nous donnera une force de negociation avec ce monstre politique et economique qui est l'europe.

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