Le "Royaume arabe" d'Abdelkader

L'émir Abdelkader.
L'émir Abdelkader.

Dans un article récent, un écrivain algérien a écrit ceci : "… la chute du Dey (en 1830) signifiait l'indépendance de l'Algérie qui a duré dix-sept années, durant lesquelles l'émir Abdelkader, le sultan autoproclamé des Algériens, a brillamment administré le pays tout en résistant bravement à l'envahisseur français". (Boualem Sansal, Le Figaro du 5/11/2014).

Il nous semblait nécessaire d'apporter quelques précisions afin de mettre fin à certains mythes, même si aujourd'hui aucun Algérien ne conteste l'engagement de premier plan d'Abdelkader dans la lutte contre le colonialisme français de 1832 jusqu'à sa reddition en 1847. Cependant, le combat d'Abdelkader s'est situé totalement dans le djihad pour la "Grande nation de l'Islam (et Arabe)" contre l'envahisseur chrétien. L'Algérie, ses frontières, son peuple, sa culture, son histoire multimillénaire étaient totalement absents de son discours comme de son combat.

Les origines d'Abdelkader

Abdelkader Ibn Mahieddine, de la tribu des Hachem près de Mascara. Il est issu d'une famille chérifienne originaire de Medine (Arabie Séoudite), descendant du prophète. Abdelkader est né en 1808 à la Guetna près de Mascara. En 1830, son père Mahieddine était mokaddem de la zaouia Kadria.

Ce que lui dit Mahieddine, son père  : "Nos aïeux demeuraient à Médine la Noble, et le premier d'entre eux qui émigra fut Idriss le Grand qui devint sultan du Maghreb et construisit Fez. Sa postérité s'étant accrue, ses descendants se séparèrent et c'est seulement depuis ton grand-père Sid El Mostafa que notre famille vint s'établir à El Ghriss".

La légende du "Sultan des Arabes"!

C'est à Baghdad que Mahieddine, père d'Abdelkader, après un pélerinage à la Mecque, aurait fait un songe "qui lui annonce un grand destin pour Abdelkader : le fils de Zohra sera "le sultan du Gharb" (de l'Ouest).

Désigné "Sultan des Arabes" le 25 novembre 1832

Dans la mobilisation populaire contre l'invasion française, Abdelkader est désigné "Sultan des Arabes" par trois tribus de Mascara : les Hachem, les Beni Amer et les Gharaba.

Déclaration de son père Mahieddine le jour même  : "Voici votre sultan, le fils de Zohra, annoncé par la prophétie, obéissez-lui comme vous m'avez obéi !". Ce que dit plus tard Abdelkader : "...les populations de Mascara… m'ont élu émir et m'ont juré fidélité et obéissance pour le meilleur et pour le pire en offrant leurs biens, leurs enfants et leurs vies pour faire triompher le message de Dieu".

Abdelkader se positionne comme vassal de son cousin Moulay Abderrahmane, sultan de Fez. Abdelkader se désigne lui-même par le titre d'émir, car "le sultan c'est Moulay Abderrahmane".

Etendard d'Abdelkader :

"La victoire vient de Dieu et elle est proche. Celui qui fait régner la religion, Abdelkader fils de Mahieddine".

Lettre d'Abdelkader à Napoléon III (lettre du 15 avrl 1839)

"Vous n'avez pas débarqué sur les rivages de l'Afrique pour exterminer ses habitants, ni pour les refouler.Vous n'êtes pas venus pour en faire une nation d'esclaves, mais bien plutôt pour implanter au milieu d'eux cet esprit de liberté qui est le levier puissant de votre nation, et dont a elle doté tant d'autres pays. [… ] Au nom de Dieu, qui nous a créés tous les deux, je vous prie donc, je vous supplie de comprendre un peu mieux ce jeune Arabe que le Très-Haut a placé, malgré lui, à la tête d'un peuple ignorant et simple, et qu'on vous présente à tort comme un chef ambitieux.Tenez-le au courant de vos intentions. Avant tout, communiquez avec lui directement, et sa conduite vous prouvera qu'on l'a mal jugé".

Abdelkader est choisi par le Général Desmichels fin 1833 pour être l'instrument de la pacification

"Plus que jamais j'étais persuadé qu'il fallait, pour arriver au résultat que je me proposais, nous appuyer sur un homme du pays, supérieur aux autres par son influence et par sa réputation… Abdelkader était le seul sur lequel je pusse jeter les yeux pour accomplir mon plan de pacification ; son esprit élevé, son énergie, sa grande influence, qu'il exerçait sur les Arabes par sa naissance, par le respect dont il était entouré en sa qualité de marabout, et par la vénération attachée au nom de son père, tout en lui répondait à mes desseins". (in Desmichels, "sous le commandement du Général Desmichels", 1835).

Ce que dit Abdelkader à propos de la guerre sainte (El djihad)

"La guerre sainte, le djihad, est une obligation divine. Nul, moi moins qu'un autre, n'a le droit de transgresser la Loi. Le saint Coran nous prescrit de tuer ou nous faire tuer dans le chemin du Seigneur" : Dieu a acheté aux croyants leurs personnes et leurs biens pour leur donner le paradis. Ils combattent dans le chemin de Dieu : ils tuent ou sont tués. C'est une promesse faite en toute vérité dans la Tora, l'Evangile ou le Coran."

Abdelkader le "dominateur" du peuple algérien

Sa lettre du 25 janvier 1835 au gouverneur d'Alger, Drouet d'Erlon : "Les Arabes de ces pays ne peuvent pas s'habituer à votre forme de gouvernement et en sont fort éloignés. Ces gens-là sont élevés à notre manière de gouverner et ils désirent se retrouver sous notre domination, car ils sont habitués à recevoir et exécuter nos ordres… vous verrez là les services que je vous aurais rendus. Les habitants des montagnes viendront à vos marchés et dans vos pays par mon entremise ; vous serez sans aucun doute très content de moi".

Razzias et déportation systématique des tribus qui ne lui obéissent plus :

Quelques exemples :

Abdelkader avait intimé l'ordre à la tribu Zemla de quitter son territoire pour l'éloigner d'Oran.

Plainte exprimée par l'un des membres de cette tribu : "Comment pourrons-nous vivre avec nos familles si on nous enlève nos champs et nos récoltes ? Nous ne voulons pas nous transplanter dans la plaine de Mleta, que l'émir nous assigne, et demain El-Mezary (cousin et l'un des lieutenants d'Abdelkader) arrivera chez nous avec des cavaliers pour exécuter cet ordre". (G. Esquer, Correspondance de Drouet d'Erlon).

Dans la région du Cheliff : les Bordjias sont décimés et chassés de leurs terres.

Les Djendel refusent de quitter leur territoire sous la pression de Sidi Embarek, à la tête de son énergique bataillon de 2000 khiala, qui veut les inciter à émigrer dans le sud-ouest. Ils demandent la protection de l'armée française.

Abdelkader le représentant de l'Islam :

Son discours du 2 juillet 1838 devant le siège d'Aïn Madhi, avant sa prise puis sa destruction : "Tout musulman qui se révolte contre mon autorité à moi, qui n'ai accepté le titre de sultan que pour arriver à chasser les envahisseurs de la terre des croyants, vient, par le fait seul de sa rebellion, en aide à nos ennemis et doit, par conséquent, être considéré comme un ennemi de l'islam."

Sa lettre du 29 octobre 1839 aux habitants de Djidjelli : "Sachez que nous ne sommes plus en paix avec l'impie et que nous le chasserons de chez nous, s'il plait à Dieu. Nous irons bientôt chez vous, prêts pour la guerre sainte. Dieu ne nous a élevés que pour faire triompher Sa religion et combattre Ses ennemis qui adorent plusieurs dieux. Les musulmans doivent être une épine dans les yeux des chrétiens."

Les hommes d'Abdelkader :

Le choix des responsables dans les régions (khalifa) était du ressort exclusif d'Abdelkader. Les critères de fidélité et des liens familiaux étaient prédominants :

Mostafa Ben Thami, cousin et beau-frère d'Abdelkader

Ben Salem Ahmed, beau-père d'Abdelkader, khalifa de Kabylie* (s'est rendu au Général Bugeaud le 28/02/1847 à Aumale (Sour El Ghozlan).

El Mezary, neveu d'Abdelkader (passé dans le camp français)

Bou Hamidi, camarade d'études d'Abdelkader (des Oulhassa des Trara, proche du Maroc)

Miloud Ben Arrach, ancien agha du bey Hassan d'Oran

Ben Allal Mohammed, dit sidi Embarek, son meilleur homme de guerre. Khalif de Tenes (Ouarsenis), l'un des rares sans lien de parenté avec Abdelkader.

Le renoncement à l'Algérie

Déclaration écrite d'Abdelkader remise à Napoléon III lors de l'entretien du 30 octobre 1852, suite à sa libération : «Vous avez eu confiance en moi […] je n'oublierai jamais la faveur dont j'ai été l'objet, qu'enfin je ne retournerai jamais dans les contrées d'Algérie.»

Aumer U Lamara

* Lettre de Ben Salem, alors khalifa de Kabylie, à Abdelkader en 1844 : "… Les Français se préparent à marcher contre moi, et je ne puis répondre de mes Kabyles (du Djurdjura) ; j'incline presque à croire qu'ils sont secrètement de la religion du conquérant...".

Références :

- Abd El Kader, Smaïl Aouli, Ramdane Redjala, Philippe Zoummeroff, Fayard 1994.

- Histoire de l'Algérie contemporaine, Ch. A. Julien, PUF 1979.

- Abdelkader, Mythes français et réalités algériennes, Mohamed-Chérif Sahli, ENAP 1988.

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Commentaires (19) | Réagir ?

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klouzazna klouzazna

Par respect aux milliers d'enfants de tribus qui avaient donné leurs vie en résistant à l'invasion de FAFA sous les commandes de l'emir Abdelkader, renier cette lutte est une ingratitude... mais renier aussi la capitulation de ce commandeur en chef est un monsenge historique... Et rien n'est plus insupportable et inadmissible pour des résistants (qui ont vu leurs camarades tombés à leurs cotés pour défendre une cause juste) que voir leur chef capitulait en cours du chemin... pour sauver sa peau et sa famille !!!

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chilmoune

L'Algérie vit un probléme d'identité que les pseudo du sommet veulent ignorer en nous imposant une autre identité araboislamique que ne colle pas avec nos us et coutumes. D'ailleurs je ne comprend pas pourquoi dans les films, documentaires, divers emissions éducatifs, journal à la TF0 et ses filles (ECHOUROUKE-ENNAHAR-CANAL ALGERIE-TV4) ils utilsent toujours un arabe académique. On dirait qu'ils s'adressent à un autre peuple non algérien. Ils veulent etre plus arabe que les arabes. Et pourtant quand deux citoyens algeriens se rencontrent il discutent tjrs en derdja sans complexe, que ce soit deux ministres ou deux profs universitaires ou deux députés ou deux presidents ou deux voyous ou deux prof d'arabe ou deux prof de francais ? Mais quand ils sont devant les médias ils changent de langue en utilisant l'arabe academique ? pourquoi ? ce n'est pas normal ? quelque part il y'a l'épee de damocles qui fait peur........ Mais là où il y'a le grand HIC c'est quand le pays (plutot le pouvoir) est en danger les médias se mettent à transmettre des messages télevisés en DERDJA pour plus d'impacte et delà on comprend que ce pays est toujours colonisés par marocains et saoudes du golfes.

Pour sauver ce pays de cette invasion culturelle rétrograde, la moindre des choses c'est de donner des nom typiquement algérien à nos enfants ?

Tous les pays arabes s'entertuent, il n'y a que l'algérie qui résiste mais jusqu'à quand ? thanmirth.

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