Y a-t-il vraiment une opposition en Algérie !

L'opposition peut-elle construire un projet pour arrêter la folie du pouvoir ?
L'opposition peut-elle construire un projet pour arrêter la folie du pouvoir ?

L'Algérie a-t-elle vraiment une opposition digne de ce nom, c'est-à-dire, fiable, crédible, autonome et sérieuse ?

Cette question qui taraude depuis longtemps l'esprit de nos compatriotes en dit long sur la profondeur du marigot dans lequel se débat notre pays. Et puis, de cette molle opposition qui aurait pu être affublée de l'infamante étiquette de suicidaire, de mourante, de grabataire et ayant servi de malheureuse piétaille à des manœuvres de déstabilisation diligentées d'en haut des appareils étatiques en subsiste-t-il quelque chose aujourd'hui? Sans doute, les partis, les organisations et les personnalités nationales ayant pris part à la conférence pour la transition et les libertés tenue le 10 juin dernier à Zéralda s'inscrivent en faux contre l'idée de leur lente et permanente agonie en traçant une ligne de démarcation, voire une rupture avec «un passé oppositionnel» jalonné d'un si long cortège d'échecs. L'opposition a, semble-t-il, repris du poil de la bête et promet désormais aux algériens de bien belles prouesses dans l'avenir. Il est vrai qu'étant usée jusqu'à la corde et victime propitiatoire d'un certain nombre d'inconséquences, d'incohérences, de déchirements, de compromissions, d'illusions ou tout simplement de naïvetés qui auraient constitué de bien réelles faiblesses pour son camp, cette opposition-là ne s'est pourtant jamais remise de ses débâcles d'aussi spectaculaire manière vu qu'elle tourne souvent autour du pot, s’entre-déchire en écho à un simple cri de sirène et s'abstient de serrer ses rangs. En quelque sorte, son expérience est celle de la défaite, du repli et dirais-je même à certains égards de «trahisons» et du déshonneur!

L'aveu d'un tel prosaïsme a, en effet, de quoi choquer les militants sincères, les hommes courageux et les voix libres qui ont pourtant cru en instituer une interlocutrice crédible et responsable face à un régime aussi autiste qu'abscons. Or, force est d'affirmer que la puissance du pouvoir, proportionnelle de la déliquescence des institutions qui le sous-tendent n'a pour répondant en parallèle que l'émiettement, la soumission et la débandade de la société civile ainsi que ses relais et, cerise sur le gâteau, la dispersion des voix de cette même opposition. La volonté d'étroitement contrôler cette dernière, la diviser pour mieux la régenter et régner sans qu'il soit besoin de descendre du haut du piédestal du pouvoir sur l'arène des idées pour débattre des projets de société, de prospective économique et des programmes gouvernementaux a, facteur de rente aidant, primé aux yeux de la nomenclature sur le dialogue comme biais de résolution des conflits! En vérité, à bien considérer le cheminement historique du mouvement national, on se rend bien à l'évidence que le couple (F.L.N-A.L.N) a comme phagocyté sans avoir pu réellement intégrer en son sein les divers autres courants politico-idéologiques (les assimilationnistes de Ferhat Abbas et les Oulémas de Ben Badis par exemple). Quoique salvateur, l'idéal révolutionnaire qui était du reste loin d’être au départ le fruit d'un large consensus au sein du (P.P.A-M.T.L.D) ne s'est imposé par la suite à tous ceux qui n'y ont pas forcément adhéré qu'en raison de la tournure avantageuse de la guerre en faveur du F.L.N sur le plan diplomatique. En revanche, la radicalité et l'effet héroïque de l'option du passage à l'acte le 1 novembre 1954 se sont hélas transformés en «automatisme autoritaire» primordial dans la gestion du parti-Etat (F.L.N) au lendemain de l'indépendance! A cet effet, dans la première assemblée algérienne les voix discordantes ont systématiquement été mises à l'écart et le mot «opposition» lui-même n'a pas, sous le fallacieux prétexte de la préservation de l'unité de la nation et de résistance à l'impérialisme, eu droit de cité. En outre, l'unicité de la pensée est devenue un modus operandi dans le nouvel Etat décolonisé et l'opposition est interdite non seulement à ceux qui se retrouvent à l'extérieur des instances du parti-Etat (le parti communiste algérien par exemple) mais aussi et surtout à ceux qui ont rejeté celui-ci de l'intérieur et furent à l'origine de la création d'autres formations politiques à l'instar du P.R.S par Boudiaf et du F.F.S par Ait Ahmed.

Cet état de fait a engendré avec l'exclusion du G.P.R.A et la tutelle exercée par les militaires sur la vie politique du pays une bureaucratie affidée, partiale et indéfectiblement aux ordres. Si l'ex-secrétaire général du F.L.N feu Abdelhamid Mehri avait décrété au milieu des années 90 la mort du parti unique et exigé que son cadavre fût remisé le plus tôt possible au musée de l'histoire comme étant l'héritage patrimonial de toute la collectivité nationale, le plus gros lot des caciques de ce plus vieux parti algérien, au demeurant attachés aux privilèges et aux prébendes du puissant maillage politico-économique tissé par les barons du système au milieu des années 80 auraient quand bien même défendu tout aussi vigoureusement l'option contraire, à savoir son maintien contre vents et marées, autrement dit, «son recyclage dans le multipartisme naissant» en dépit du discrédit populaire de toute la nomenclature des suites de la répression sans merci des manifestations démocratiques d'Octobre 1988!

Par ailleurs, il faut bien préciser que la conférence de Sant'Egidio à Rome en janvier 1995 n'a du double point de vue politique et médiatique que peu en commun avec celle tenue par l'opposition actuelle : primo, la palette des opposants à Zéralda est hétérogène, des islamistes zélés aux laïques convaincus, des réconciliateurs et leurs frères ennemis éradicateurs d'hier aux ex-hauts responsables dans le régime (Hamrouch, Benbitour et Benflis), la composante de ce large panel est pour le moins que l'on puisse dire riche et complexe, ce qui est de nature à provoquer de futures dissensions, des clivages idéologiques et même des querelles de leadership. Or, bien que divers, les opposants de Rome du reste réconciliateurs dans leur grande majorité étaient alignés sur une positon commune de principe (le rejet de l’arrêt du processus électoral, la priorité à la réconciliation nationale et la réhabilitation du F.I.S dissous par les autorités militaires). Secundo, si la dynamique du groupe a fonctionné à plein régime à Rome (opposants hors circuit officiel et n'ayant pas exercé de fonction étatique ou gouvernementale quelconque, du moins depuis le milieu des années 60 pour Ahmed Ben Bella et Ali Yahia Abdenour en particulier), ce qui constitue aussi bien une charge authentique de revanche positive qu'une solidarité active contre un système qui les a de facto exclu du pouvoir, la réunion de Zéralda en est à bien des égards très loin du fait que la solidarité des participants s'inscrit plus dans «l'ordre circonstanciel» qu'elle n'en dérive d'une réelle entente sur les principes.

En toile de fond, se pose aussi la question cruciale sur la quintessence de l'opposant, c'est-à-dire, qui est-il? Comment peut-on le définir? Quelqu'un qui a passé le quart de sa vie dans l'exercice du pouvoir d'un régime toujours sur les rails peut-il du jour au lendemain prétendre être opposant? A mon sens, il faut convenir sur une vraie assise oppositionnelle aussi bien dans le sens que dans la substance! De plus, si les premières forces politiques (les trois fronts F.I.S-F.L.N-F.F.S) étaient largement sorties vainqueures au soir du premier tour des élections législatives de décembre 1991, l'ensemble des partis présents à l’hôtel de Mazafran sont, il faut bien se l'avouer, une minorité «électorale», du moins dans la carte politique en vigueur si entachée de fraude fût-elle par rapport à la majorité présidentielle à laquelle ils veulent faire barrage, ou plutôt tenir tête. Ajoutons à ces facteurs handicapants, l’écho international qui n'est point le même. En janvier 1995, le régime sombre dans un grave problème de légitimité populaire et est fortement égratigné par les puissances occidentales pour sa gestion calamiteuse du dossier du «tout-sécuritaire», aujourd’hui, le régime d'Alger bénéficie au contraire d'un large soutien occidental pour deux raisons essentielles. D'une part, eu égard à la patente forfaiture des révolutions arabes (Libye, Syrie et Égypte notamment) et au retour fulgurant du syndrome intégriste (le péril vert de l'islamisme politique décrié depuis les attentats du 11 septembre) et pour des considération d’ordre purement migratoire (contrôle des flux d'immigrés clandestins), les chancelleries occidentales pencheraient bien plutôt vers l'ordre que le chaos, ce qui est connu dans le jargon diplomatique sous le nom de stratégie de «la normalisation autoritaire» dont l'Algérie est un pivot central en Afrique du Nord. L'ordre est lié bien évidemment à la dictature et le chaos serait forcément dans le cas algérien une transition au forceps, très complexe et à risques. D'autre part, à cette époque-là la légitimité du régime fut, quoique l'on en dise, bafouée et il aurait été très malséant à la communauté internationale d'ignorer le cri des plaignants! En réalité, la conférence de Rome aurait pu donner une sévère claque au régime fragile et de surcroît au bord de l'effondrement si ce n'était l'exploitation du perfide mobile d'alibi (réunion en dehors du territoire national peu apprécié par des masses qui vivaient dans la peur et l'isolement) et de cette fameuse main de l'étranger que l'on a agitée tel un effet repoussoir en haut lieu ! N'empêche que la défection du F.L.N du champ des manœuvres d'un pouvoir aux abois et son alignement sur les positions de ses détracteurs fut une victoire tant historique que symbolique à tous ceux qui s'y étaient opposés depuis juillet 1962 ! La destitution par un coup d'Etat scientifique de A/Mehri en 1996, la création ex-nihilo du R.N.D (bébé-éprouvette) en février 1997 et le scandale de la fraude avérée dans les législatives de la même année ont été des réponses peu convaincantes à une opinion internationale de plus en plus suspicieuse, contexte des carnages collectifs, de tueries et de guerre civile oblige !

Néanmoins, la récupération du reliquat de l'islamisme politique et les bisbilles sciemment entretenues dans le camp démocratique ont été fatals. L'adoption du président Bouteflika des conclusions du camp des réconciliateurs sous une autre configuration dès 1999 a été un coup de grâce à l'opposition. Tout au plus, le présidentialisme exacerbé prêché par ce dernier et la mise à l'écart de la chambre législative à coups de décrets et d'ordonnances a noyauté le système dans le personnalisme, le culte du chef et le régionalisme! La blessure est profonde et les quelques têtes résolument opposantes se sont brûlées les ailes dans un foyer de rêves avortés! Plus grave encore, l'idée de l'union ou du rassemblement des forces démocratiques n'a jamais effleuré l'esprit de cette boitilleuse opposition. Là où les éradicateurs fustigent leurs frères ennemis réconciliateurs, les islamistes se joignent aux desiderata du régime (M.S.P qui fut membre de l'alliance présidentielle, un allié de taille depuis pratiquement 1994 et relais du F.I.S déligitimé) et là où ceux-ci prennent le contre-pied des postures du pouvoir, les autres y adhérent (songeons aux démocrates qui ont soutenu les élites gouvernantes dans la confiscation du pouvoir législatif aux islamistes en 1992). On dirait que l'opposant algérien est schizophrène et le responsable politique mégalomane dans la mesure où le premier se complaît dans sa division et le second se croit suffisamment fort dans la faiblesse de celui ou de ce qui est à la base censé le rendre fort, c'est là toute la nuance, elle est de taille, indubitablement. Déboulonner le «vice» des jeux d’intérêts, des divergences fictives et de sordides chamailleries n'a jamais trouvé son accomplissement positif dans une démarche collective, hélas!

Au final, il est loisible à chacun de se livrer à ses propres supputations quant à cette dernière démonstration de force de l'opposition mais une chose est pour le moins sûre : après presque une vingtaine d'années de léthargie, cette opposition-là vient affirmer sa présence et dire sa consternation de ce qui se passe dans le pays, c'est le signe d'un bon commencement pourvu qu'il soit suivi d'actes courageux, d’initiatives d'ouverture démocratique concrètes et d'efficacité, loin de l'activisme de la nomenclature en vue de la confection d'une nouvelle constitution-placebo! Car, ce n'est pas de l’intérêt de l'Algérie, pas davantage de l'opposition ni des masses de rester les bras croisés et d’attendre que l'étincelle du changement sorte du ventre d'un système pourri à la racine. Le statu quo est morbide, le peuple est las et les jeunes sont désespérés. C'est pourquoi, cet éveil est comme «l'enchantement d'une renaissance», la remise sur rails d'un train en déraillement et la consécration d'un effort d'union. Et puis, a-t-on jamais vu et verra-t-on jamais même dans les plus vieilles démocraties un changement subi, factuel et radical? Ma réponse est bien évidemment non dans la mesure où le changement est fonction du temps, de volonté et surtout du travail. Les mentalités ne font leur mue qu'après que les consciences se réveillent, les idées s’éclaircissent et les forces du progrès se coalisent. Une seule main n'applaudit jamais dirait notre proverbe ancestral ! 

Kamal Guerroua, universitaire

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Commentaires (9) | Réagir ?

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albert smail

L'opposition echoue toujours face à la dictature !

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Khalida targui

la seule opposition qu'il y a elle est bara à l'etranger ici c'est l'opposition du pouvoir pour faire cool devant les autres, Ali Belhadj qui fait des mamours avec Said Saaadi ? yalatif ! allah yastour pour l'avenir du bled en attendant on s'amuse avec le blabla

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