A propos de Bouteflika, des généraux et du centre de décision

A propos de Bouteflika, des généraux et du centre de décision

L’article « Le centre de décision a-t-il bougé ? » a suscité de légitimes interrogations de la part des lecteurs, résumées en celle-là, cette apostrophe amère d’un lecteur dépité : « Je ne vous comprends plus, Le Matin ! Vous retombez dans les illusions de 2004 ! » On rétorquera, bien sûr, qu’un débat, cela sert d’abord à cela : à débusquer les illusions. Ou, parfois, à constater les fausses désillusions, ce qui est une entreprise tout aussi louable.

1. Car, réfléchissons-y, en quoi consisterait l’illusion ? A croire que le système algérien pourrait abriter deux forces antagoniques ? Sans doute, mais pourquoi pas ? Un pouvoir est rarement uni. Le pouvoir est même fait pour désunir. On admet bien, pour citer un cas connu, qu’au sein d’une même mouvance, la droite française, il existe deux camps radicalement opposés, les chiraquiens et les sarkozystes en 2007, les chiraquiens et les balladuriens entre 1993 et 1995. Et que ces deux camps se détestaient tellement qu’ils en étaient arrivés à se présenter l’un contre l’autre aux présidentielles de 1995. Et plus près de nous, les épisodes de haine à l’intérieur d’un même pouvoir sont légion : Hassan II contre général Oufkir (qui s’est terminé par la mort d’Oufkir), Bourguiba contre Ben Ali (qui s’est terminé par un putsch) etc.Il y a mille motifs pour les clans du pouvoir algérien d’entrer en conflit : l’accès à la rente, l’ambition d’écarter l’autre, la tentation de faire cavalier seul ou, parfois, le dépassement de « lignes rouges » communément admises. Entre Bouteflika et les généraux, il peut y avoir de tout cela à la fois.

2. Alors ce serait quoi l’illusion, la vraie, celle de 2004 ? Elle ne consiste pas à croire à l’existence de rivalités internes au sein d’un même système (il y en a), mais A LES INTERPRETER A NOTRE AVANTAGE. De croire, par exemple, que les généraux ont les mêmes raisons que nous de s’opposer à Bouteflika (ou à l’inverse, et j’en connais, de croire que Bouteflika veut se débarrasser des militaires au nom de nos idéaux démocratiques). L’illusion c’est de penser qu’un clan nous est plus proche que l’autre par le simple fait que nous sommes liés par un ennemi commun. En résumé, l’illusion c’est de croire, comme en 2004, que les chefs militaires sont chargés de réaliser nos caprices démocratiques par le fait même que leur rival dans le sérail est aussi notre bête noire ! Aussi l’illusion devient-elle étonnement et déception lorsque les deux clans refont la paix (comme en 2004 !) C’est qu’ils ont réglé LEURS désaccords, qui sont différents des nôtres.

3. Aussi est-ce l’occasion de répéter, ici, et pour toutes ces raisons, que Le Matin ne se fait pas l’avocat du diable. Nous faisons définitivement partie de cette catégorie d'Algériens qui, pour avoir vu la hiérarchie militaire se faire complice d’un hold-up électoral en 2004, ont fini par donner raison à Georges Brassens : « Les seuls généraux qu'on doit suivre aux talons, ce sont les généraux des p'tits soldats de plomb. » Avec l’uniforme de Ponce Pilate puis la toge de Raspoutine, les stratèges des Tagarins ne sont pas sortis grandis de cette affligeante complicité d’homicide démocratique. Ils y ont perdu leurs principaux soutiens dans la société algérienne, ces élites aujourd'hui dupées et qui, hier encore, démontaient les thèses du « Qui tue qui ? » en faisant écran entre la mémoire et le mensonge.

4. C’est sous ces postulats qu’il faut lire notre article « le centre de décision a-t-il bougé ? » qui fait l’objet de grandes interrogations de la part des lecteurs. Nous posons une question ( qui est dans le titre) pour décrypter ce qui, à notre sens, avait changé dans les rouages du pouvoir en Algérie ces six derniers mois et qui avait rendu le contexte de la visite de Kouchner totalement différent de celui de la visite de Sarkozy de juillet. Retournons aux archives : l’approche algérienne concernant l’Union méditerranéenne est passée du blanc au noir ; l’alliance GDF-Sonatrach est annulée alors que le clan Bouteflika l’avait encouragée ; la vente du CPA est annulée alors que le clan Bouteflika en avait fait un cheval de bataille; Alger exige de nouveau la repentance de la France alors que le clan Bouteflika l’avait abandonnée (Medelci le 21 novembre 2007)…

Le but de l’article est de désigner un « foyer événementiel » qui inciterait à réfléchir sur l’échec de Kouchner : le centre de décision a peut-être bougé à Alger. Et la France ne peut peut-être plus compter sur le temps où il suffisait de flatter Bouteflika , qui souhaite un soutien franc pour un troisième mandat, pour s’imposer comme le maître du jeu et faire avancer ses pions sur l’échiquier algérien. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette guerre de clans ? Qu’est-ce qui motive la colère des chefs de l’Armée ? Peuvent-ils se rabibocher comme en 2004 ? Nous n’avons pas de réponses achevées et à aucun moment nous ne tranchons ni n’attribuons de mérite aux généraux.

Nous terminons d’ailleurs par cette phrase : « Et c’est ce nouvel échiquier algérien qu’il nous faut désormais observer et analyser. »Nous y reviendrons bien sûr.

Le Matin

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Commentaires (21) | Réagir ?

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SAID

L'histoire a montré que "l'anarchie" du 1ier novembre 1954 a été une Vraie réponse au dénis de justice du colonialisme. Chez nous, si nos dictateurs n'acceptent pas de contre-pouvoir, chaque membre de cette secte va constituer son petit "royaume" (partage du pouvoir, partage de la rente).

A ce rythme de corruption, de hogra, de harga, de fuite des cerveaux etc, on va devenir comme au temps d'al-capone.

Et on y est dejà presque, avec les kidnappings, les demandes de rançons, le racket...

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farouk bougandoura

monsieur saad lounes, est ce que vous savez ce qu'est un quarteron ?

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