Beur FM-Beur TV : Nacer Kettane, un président conquérant

Nacer Kettane.
Nacer Kettane.

Il y a 30 ans, la France s’est mal réveillée. Elle s’est levée au son d’une Marseillaise irisée. Très, trop colorée. La France, au début des années 80, trop longtemps anesthésiée, s’est rendu compte qu’elle était multicolore. La marche des Beurs, partie de Lyon pour déverser son dégueulis à Paris a donné une claque à ceux qui conjuguaient l’immigration et les générations d’après – tous Français – au passé. A tous les temps. Sauf au présent.

Renégats ! Les enfants n’étaient plus enfants. L’immigration n’était plus étrangère. Ne se sentait plus d’ailleurs. Ces familles, des dizaines de milliers, héritières des bidonvilles de Nanterre pensaient être intégrées. Elles se sentaient françaises. Les ratonnades devaient cesser. Elles ont cessé.

Nacer Kettane, homme élégant, cultivé, intelligent, pétri, emprunt de projets et de sens, d’humilité, médecin déterminé à dire et à se dire est parti à l’aventure. En conquérant, il a créé Beur FM puis Beur TV. Il a provoqué une grosse bourrasque tout le monde lui en veut. Tout le monde l’envie.

Le Matindz se propose de lui poser les questions qui fâchent. Il ne se dérobe pas. Entretien

Le Matindz : M. Kettane, Beur FM et son pendant Beur TV sont devenues des institutions d’information et de loisirs, la vox populi dit que vous êtes l’organe central de la musique raï et des devins…

Nacer Kettane : Je pense que ces gens-là se trompent, je pense qu’ils n’écoutent pas la radio, ils véhiculent des rumeurs ou de fausses idées. S’ils écoutaient la radio sérieusement, ils auraient constaté qu’il y a un journal d’informations toutes les heures consacré au Maghreb. Un journal qui fait attention aux discriminations et au racisme. Un journal qui par exemple s’intéresse aux mouvements qui secouent le monde arabe et musulman. Tous les grands débats concernant la communauté sont abordés sur les ondes de cette radio. A l’instar des grosses têtes de Bouvard, nous avons institués une émission qui s’intitule « les zinformés » qui aborde tous les problèmes de société, une autre émission qui s’intéresse aux problèmes de la république qui invite régulièrement des ministres et des grandes personnalités comme Anne Hidalgo, Nathalie Kosciusko Morizet, Jean Christophe Cambadélis, Patrick Devedjian, Kader Aïche et j’en passe… Tout ce monde vient dans cette émission qui s’appelle «Toute la république ». Cette émission matinale, essentielle, est rediffusée à chaque fois à 17h. Par ailleurs, il y a plusieurs chroniques dont une faite par Mourad Achour qui est à mon sens le plus grand connaisseur des cultures arabo-berbéro-musulmanes en France. Monsieur Achour est une encyclopédie.

Si les gens écoutaient la radio, ils se rendraient compte, par exemple, qu’il y a une émission pleine et très ambitieuse animée par Sabrina et Mohand qui vise le public kabyle. Cette émission a lieu tous les samedis au moment où les gens déjeunent. Les gens qui nous accablent sont des gens qui ne nous écoutent pas.

LMDZ : Vous êtes la radio de qui ?

NK : Nous ne sommes pas une radio arabe. Nous ne sommes pas une radio kabyle. Nous ne sommes pas une radio musulmane. Nous sommes une radio historique née du mouvement social. Nous sommes diffusés sur une vingtaine de régions en France. Il y a des régions où il y a plein de Kabyles, des régions où il n’y a pas de Kabyles, il y a des régions où il n’y a ni Kabyles ni Arabes. Nous sommes donc obligés de fédérer tous les publics. Les gens qui écoutent la station font partie aujourd’hui de la quatrième génération. Notre public n’est plus celui des années 1970/80. L’immigration a changé. La radio doit être en phase avec ce public.

LMDZ : Beur FM se targue d’être la première radio communautaire dans un pays qui refuse le communautarisme. N’y aurait-il pas un paradoxe là dedans ?

N.K. : ça, c’est un problème de terminologie. Moi lorsque je pars aux États-Unis ou au Canada, j’écoute les gens, je leur parle de communauté, ils ne trouvent rien de péjoratif là dedans. Pour eux ce mot signifie un groupe qui s’intègre dans la communauté nationale. En France, ce terme est instrumentalisé par différents groupes, et chacun accuse l’autre de communautarisme. C’est une espèce d’assignation à résidence, de stigmatisation qui fait que les gens se battent à coups d’épithète qui ne sont pas toujours très claires. Sur ce, les journalistes, français en particulier, ne faisant pas d’efforts tressent des tapis à des politiques qui, souvent, prononcent des sentences approximatives, douteuses. J’ai envie de citer les noms de tous mes journalistes, de tous mes animateurs. Ça serait trop long. J’ai juste envie de dire que Beur FM est une radio de contenu, pas de contenant. Contrairement à l’idée qu’on s’en fait.

LMDZ : C’est peut-être un cliché, mais, M. Kettane, vous avez la réputation d’être la radio des voyants. Comment pouvez-vous accorder autant de temps à des émissions aussi superficielles.

N.K.: Il y a trente ans, je le reconnais, la voyance dominait l’antenne. C’était notre seule recette publicitaire. Aujourd’hui nous avons fait du chemin. La voyance peut massacrer les gens. L’irrationnel domine. Le spirituel aussi. Nous sommes autofinancés. Les pouvoirs publics ne nous subventionnent pas. Aucun pays étranger ne nous téléguide. Vous savez pertinemment qu’il y a un certain nombre de radios qui s’intéressent à l’Afrique ou au monde arabe qui sont abreuvées par les pouvoirs publics ou par des pays étrangers. Ce n’est pas notre cas. L’État français lui-même a son petit groupe de radio qu’il finance. Nous, nous avons choisi l’indépendance et la voyance est un des chemins financiers qui nous permettent cette liberté. Je n’en ai pas honte.

LMDZ : Vous avez navigué de cagibis en studios, appartements pour atteindre de vrais locaux dignes d’une grande radio. Comment fait-on pour partir de Radio Beur, une équipe artisanale, pour aboutir à Beur FM – Beur TV un vrai groupe économique ?

NK : A l’ origine j’ai monté des petites radios locales à travers tout le territoire français, je ne savais pas que ça allait devenir un réseau. J’ai structuré ce monde sur le plan commercial parce que je ne voulais plus être humilié en allant dans certains services demander des subventions. Le FAS, par exemple. Pour avoir 3000 ou 4000 euros, il fallait jouer des pieds et des mains, des poings parfois. Non ! Que vous dire des dossiers… J’ai décidé à un moment donné de tourner le dos à toute cette façon de faire et je me suis dis qu’il ne fallait compter que sur nous mêmes.

LMDZ : Tout de même M. Kettane, vous avez démarré avec des reins pas solides du tout. Sans un sou. Y avait-il quelqu’un derrière ?

N.K.: Nous avons commencé dans de petits locaux avec du petit matériel. Je me rappelle avoir été acheté à Carrefour des magnétophones, des chaines Hi-fi, des albums. Au bout de 5-6 mois, le matériel explosait parce qu’il n’était pas professionnel. Progressivement nous avons monté une régie publicitaire. Aujourd’hui, nous avons intégré de grosses boîtes de publicité, ça nous permet de souffler. Nous avons nos propres commerciaux. Nous sommes en mesure de les payer. Nous sommes devenus enfin une vraie radio. Nous nous sommes construits tout doucement en une dizaine d’années.

LMDZ : M. Kettane, comment peut-on passer d’une radio de combat née dans la foulée de la marche des beurs de 1983 à une radio commerciale ?

NK : Dans votre question, il y a une interrogation sur la forme et les moyens. Beur FM es toujours restée une radio de combat. Contre l’injustice, contre les discriminations, contre les inégalités, contre le racisme, contre le néo-colonialisme, contre l’islamophobie, contre toute forme de stigmatisation, nous sommes une radio d’échange. Nous sommes une passerelle. Entre la France et le sud de la Méditerranée notamment l’Algérie.

LMDZ : Y a-t-il une raison pour que Beur FM conserve son nom dans la mesure où des communautés venues d’autres contrées du monde sont venues s’installer en France et vivent les mêmes problèmes que les Maghrébins ?

NK : Ce n’est pas le nom qui détermine l’auditoire. En 1981 nous étions une bande de copains, nous nous sommes retrouvés dans un petit appartement à Aubervilliers et nous cherchions un nom pour désigner cette radio. Un des amis qui se trouvaient là nous a suggéré de ne pas chercher trop loin : nous sommes des beurs, on nous appelle ainsi, notre radio s’appellera Radio Beur. Tout est parti de là. Auto-proclamation !

Cette dénomination a été plus tard triturée galvaudée manipulée dans tous les sens mais ces pérégrinations linguistiques ne concernent que les journalistes et les universitaires de tous bords. Nous nous avions ce nom, ce nom est devenu une marque. Cependant nous n’avons jamais prétendu nous enfermer dans cette appellation. Il n’y a pas que les beurs qui nous écoutent. Je ne sais même pas ce qu’est un beur aujourd’hui.

Cette radio a fini par rentrer dans les ménages, dans les cuisines, dans les voitures, c’est une radio qui a accompagné plusieurs générations dans leur quotidien.

Entretien réalisé par Meziane Ourad

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Massinissa Umerri

Bravo !

Ca s'appele Franchiser/valoriser le petit franc a l'epoque de la majorite' faite de petits singuliers, et il l'a fait et bien. J'ai l'impression que certains commentaires, pas sur ce site seulement, reproche a ce monsieur, de ne pas "dinariser" ses auditeurs.

Essayez donc un projet quelconque, faites-le decoller seulement, et revenez nous en parler. Je me souviens des debuts de cette radio, car a l'epoque j'etais etudiant a Montpellier et travailais la nuit pour la concurance NRJ, pour 3 sous !

Bref, je dirais que seul un competiteur de cette nature peut regler les aventures et temptations de promiscuite' de berberetv avec les regimes poubelle.

Voici un example similaire. Ainsi, j'ai ecoute' comme des dizaines de millions d'Americains le discours d'Obama la semaine derniere. C'est une tradition ici en Zamerik, que le president reponde aux humeurs et autres nouvelles et evenements, c. a. d. rende compte. Il le fait chaque semaine en fait, en direct de son bureau a la maison blanche. Une fois par an, c'est l'etat de l'union.

Le lendemain du discours d'Obama donc, une vieille dame noire, haut cadre dans l'administration locale, a dans une discussion sur les divers sujets, mais surtout son (Obama) narcissisme et le cynisme contenu, plus dans sa maniere que dans le contenu, a ete resume' par cette dame par ceci:

Nous nous sommes battus pour la justice et on recolte du black !

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ahmed djaber

Beur FM, qui était à 100% kabyle à l'origine, quand elle s'appelait Radio Beur, il ya quelques années, a complètement change de vocation et même de nom qui est devenu Radio Nouvelle Génération ou quelque chose de ce genre. Trop commerciale, ça a été un echec total, puis elle est redevenue ce qu'elle était, je dirais meme qu'elle devrait s'appeler RAI FM ou KIM FM. Tout ceci, pour vous dire que ce groupe dont la télévision est entrain de s'éteindre à petit feu, est surtout motivé par l'argent et pas par les idées ou autres slogans. Il faut ajouter que l'audimat est composé essentiellement de maghrebins qui n'arrivent pas à s'intègrer (il n'y a qu'à écouter les intervenants). Pour ce qui est de la voyance, l'une de ces voyantes justement, est devenue une psychologue qui prétend règler les problèmes des pauvres malheureux a travers une émission bidon.

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Massine Ait Ameur

En effet. Beur FM n'est rien d'autre que Bougnoule FM. C'est une honte de s'appeler avec un sobriquet que les racistes francais utilisent pour identifier les Nord Africains. Cette radio, TV ne survivras pas a long term car les gens de cette communaute qui ont du fric arreterons de l'ecouter et la pub ne rempliras plus les caisses pour faire fonctionner le systeme mais dans ce jeu peut etre Quatar vas mettree de l'huile dans la salade pour raprocher cette communaute du Moyen Orient.

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