L’Algérie, mecque des harkis !

Le mensonge et l'esbroufe a commencé dès 1962.
Le mensonge et l'esbroufe a commencé dès 1962.

"En elle-même, toute idée est neutre ou devrait l’être, hélas on passe fréquemment de la logique à l’épilepsie" (1)

L’erreur des premiers harkis est d’avoir refusé d’abandonner la nationalité française has-been. Il fallait la jeter pour mieux l’endosser bien relookée après l’Indépendance. On ne badine pas avec le bulldozer temps bien qu’avec le recul tout s’est estompé sauf l’interdit du retour à la Maison ; E.T. était un extraterrestre avant d’être un harki. La politique française a fait ministre une fille de harki obligeant le pouvoir FLN à lui dérouler le tapis rouge au lieu de l’expulser. De la poutre plein nos yeux : le copinage associatif est toujours de mise au sommet de l’Everest. Dans Les "Plats de Saison", Revel évoque un certain André Rossfelder dont le livre "Le Onzième Commandement" a été boycotté par tous les médias français. Cet ex-Algérien dérangeant ne manque pourtant pas d’intérêt : un ancien résistant et géologue ayant inspiré les premiers forages au sud algérien avant de finir dans les bras de l’OAS. Rossefelder dénonce la complicité de De Gaule qui dès 1960 s’allia au FLN contre les pieds-noirs. Revel apprend que « la police française allait jusqu’à désigner certains Français aux coups des assassins des fellaghas. Et en 1962, les pseudos accords d’Évian ont livré les Français à la vindicte du FLN sans poser la moindre condition quant à leur sécurité et à la sauvegarde de leurs biens…De Gaule, malgré sa réputation injustifiée d’habilité, n’a finalement réglé leur problème que de la façon la plus désastreuse la plus haineuse et la plus odieuse" Un demi-siècle plus tard on peut écrire qu’elle a été bien plus désastreuse plus haineuse et plus odieuse pour les indigènes au point où ils ont fini par trahir en se partageant le rêve contraire : Français en France.

Grosso-modo, un harki c’est quelqu’un qui trahit une cause sacrée méritant la mort par la main du petit juge ou du Grand Juge. Aujourd’hui qui ose ouvrir la bouche sans être traité de harki, le virus H.A.R.K.I est dans son élément dans nos gènes. Quelle que soit la cause, nous sommes tous des harkis, elle est de facto sacrée foi d’Algérien. Plus on descend l’échelle plus l’ennemi du harki c’est le harki. Et c’est là où se niche notre sulfureuse exception. L’ensemble damné regroupe une infinité de sous-ensembles. À tout seigneur tout honneur, on a en première classe le Pouvoir, ces harkisclasse rien que pour rire, pour Halloween, qui se mirent dans le miroir de la marâtre de Blanche Neige en révolutionnaires. Un simple conte. Un président, un général un ministre…ne peut être qu’un bon harki. Qui s’y frotte s’y pique, mais qui caresse happe le miel. C’est simple, l’Algérie c’est le président, le général, le ministre...des personnalités qui peuvent attraper le « harkisme » par fatalité par complot extérieur, mais qui restent néanmoins intouchables.

L’Algérie est notre Mère à tous donc ils sont nos Pères en plein régime patriarcal. Camus affirme que le ver est dans le cœur, là où les mauvaises langues le voient plutôt au cerveau le seul endroit du corps où la greffe demeure impossible. Quant aux orteils, là où aboie la race canine ; enragée ou baveuse, elle ne sait qu’aboyer. Ces derniers ont bien leur utilité. C’est quoi un dictateur sans serfs ? Les physiciens affirment qu’il n’existe pas de matière sans antimatière et d’étoiles sans trous noirs. C’est vrai, quel intérêt représenterait le Paradis si la menace de l’Enfer n’existait pas. Si nous n’irons pas tous au Paradis, les harkisclasse en connaissent le goût sur Terre tandis que les surmulots celui de l’Enfer et nos cheikhs nous rassurent : ça s’inverse dans l’au-delà. Entre le gratte-ciel et le caniveau, il y a les plus "intéressants", les «ni-ni» ; généralement intello, catégorie remuante et médiatique. Des ni-ni qui font l’Histoire ailleurs, mais en Algérie ils s’éliminent mutuellement pour défaire l’Histoire au grand bonheur des harkisclasse, les harkis rien que pour rire. Pour eux l’ennemi de mon ennemi est mon pire ennemi. Notre opposition « réfléchie » se fait hara-kiri sans la noblesse nippone. Ses membres s’accusent mutuellement de vendus à la France et à l’Europe ; à l’Amérique et Israël ; à l’Arabie Saoudite et au Qatar. Comme si ces trois familles de dinosaures planétaires n’ont trouvé à acheter que les lézards déracinés de la planète. Le marché a ses lois : on achète que l’utile avec profit. Et où se trouve l’utile et le profit du bled sinon chez les harkisclasses qui détiennent les clés de la grotte d’Ali Baba ? En plus ces dinosaures sont siamois à plusieurs. Le Qatar investit en masse pour sauver les caisses françaises et la classe dirigeante; la France, chef de file de l’Europe sauvée des griffes d’Hitler par l’Amérique qui veille jalousement, malgré le 11 septembre, sur ses deux « inventions »: Israël et l’Arabie Saoudite... C’est loin et c’est vide l’Algérie où il n’y a que de l’or noir imbibé d’« ismes » vieillots euphoriques lapidaires : capitalisme socialisme communisme trotskisme islamisme terrorisme nationalisme régionalisme despotisme sionisme impérialisme colonialisme etc. etc. L’idéologie sait effacer le crime tout en le justifiant.

En 1979, Taraki le président communiste arrivé au pouvoir à Kaboul à la suite d’un coup d’Etat proclamait : «Seulement un million d’Afghans doivent rester en vie. Nous n’avons pas besoin de groupes islamistes nous n’avons pas besoin de marchands nous n’avons pas besoin de capitalistes, nous n’avons besoin que d’un million de communistes. Les autres, nous n’en avons pas besoin, alors nous allons nous en débarrasser.» (2) Chaque nuit des centaines d’Afghans furent fusillés et c’est un proche, Amin, qui stoppa le génocide en tuant le parent psychopathe avant d’appeler à l’aide l’URSS qui s’empressa de le liquider à son tour. Les talibans sortent de leur flou diabolique et peut être qu’un jour, on pourra savoir pourquoi un Tahar Djaout devait mourir, ce drôle de harki avec sa « petite et grande famille » qui a cristallisé aussi bien la haine des islamistes du Parti et d’autres opposants démocrates. Son assassin n’a lu aucun de ses livres en supposant qu’il maitrisait la langue de Molière et n’a pas réussi à réhabiliter pour autant le FIS. Les centaines de milliers de «harkis» égorgés par les terroristes sont morts pour rien, ils n’étaient pas la vraie menace puisque rien n’a changé, tout a empiré. Djaout vivant aurait aujourd’hui plus critiqué le FLN que le FIS ; on ne tire pas sur une ambulance écrivait Françoise Giroud. Taraki est mort avant de tuer les 16 millions d’Afghans non communistes. En Afghanistan et en Algérie, de la famille, il ne subsiste ni la petite ni la grande. Si nous sommes tous des vendus alors pourquoi continuer à jouer les guignols tristes et les gigolos blasés. Il est temps de se demander si l’Algérie dont on clame l’amour haut et fort à chaque inspiration-expiration a été tuée non par le Pouvoir encore moins par la Populace, mais bien par cette haine incestueuse de son "élite" ? L’Histoire retiendra que les Algériens ont bouffé leur rente sans travailler qu’ils ont déclenché une effroyable guerre civile que grâce à l’armée et à la Concorde civile ils se sont assagis repentis et que leurs politiciens ont heureusement construit des autoroutes en faisant appel aux fourmis chinoises. Les barrages maintenus, on ne sait jamais ; notre équilibre mental n’est pas assuré. Et pourtant ceux qui avaient des armes c’est l’armée les terroristes les policiers les agents spéciaux et c’est surtout les civils désarmés qui ont été attaqués massacrés en toute impunité. Quelle était belle et glorieuse notre guerre civile ! Aux rares familles de disparus qui ont refusé l’indemnisation pécuniaire, le ministre concerné leur a reproché leur trahison à la Nation, leur complicité avec l’ennemi extérieur. En Tunisie, Merzouki clamait dans son livre sur les dictateurs son admiration pour une mère qui avait refusé cette même compensation pour «enterrer» son fils victime de la révolution du jasmin. À chacun son angle de vision. Mais l’Histoire officielle n’aime pas les «traîtres». Elle n’aime que les grands bâtisseurs et comme Ramsès II, notre président aura sa Grande Mosquée qui ne sera pas dévalisée comme la pyramide du premier par des esclaves affamés conscients du risque. Trahir son estomac ou son pharaon mène au kif-kif c'est-à-dire à la mort. N’importe quel citoyen algérien lambda peut s’en apercevoir en voyageant normalement : attention un traitre, nationalité dangereuse ! Comment le danger peut venir de quelqu’un qui a fui le danger. Notre mal est à ce point incurable que ceux qui sont censés être nos avocats accourent pour soutenir le Système Compresseur quitte à se cannibaliser du mauvais côté. Il faut attendre une relève saine, épargnée par le virus H.A.R.K.I et se souvenir que nos trahisons jalonnent notre Histoire.

À défaut d’être des envahisseurs, nous avons laissé l’envahisseur nous contaminer pour le plaisir de contempler la souffrance du frère. Nous descendons pourtant d’une peuplade paisible d’une Kahina qui avait répliqué naïvement aux adeptes de la charia : "…si je devais couper la main à tous les voleurs de poules comment pourrais-je constituer une armée pour combattre l’ennemi ?" Le philosophe dit que l’humanité dont on se méfie est celle qu’on reconnait au fond de soi-même. Un parent aimant soucieux de l’avenir de son enfant est dans l’obligation pour le sauver de le critiquer. Dénoncer la « barbarie » de ce proche c’est la meilleure façon de bousiller l’enfant. Et malheureusement c’est souvent le but de la vierge effarouchée de l’"après-moi, la fin du monde". Les Américains ont été les premiers à faire des films sur la guerre du Vietnam un téléfilm sur le scandale du Watergate… même ruiné et maboul, le pays de l’Oncle Sam restera plus attrayant que la frileuse et fortunée Chine. Dans le livre Europe, la Trahison des Elites (3) on peut lire dès l’introduction : "L’Europe ne dit pas ce qu’elle fait ; elle ne fait pas ce qu’elle dit. Elle dit ce qu’elle ne fait pas ; elle fait ce qu’elle ne dit pas. Cette Europe qu’on construit, c’est une Europe en trompe- l’œil." L’Algérie n’est pas en train de construire le Maghreb qui jouit pourtant d’une unicité "héréditaire" à faire pâlir de jalousie l’UE désargentée avec son parlement où résonne plus d’une douzaine de langues et sans doute plus d’un millier d’interprètes. L’Algérie ne dit rien ne fait rien ne prend même pas la peine de tromper l’œil qui n’existe d’ailleurs que sous la burka intégrale au milieu d’aveugles manchots. Ne pas voir et ne pas palper ce qui déjà est bien dissimulé. Mais dans le noir, on est tous noirs sauf celui qui a éteint la lumière. Bienvenue à la Mecque des énergumènes qui ne peuvent végéter que dans la traitrise pour s’éliminer et rassurer leur maître.

Mimi Massiva

(1) Cioran

(2) Le Petit Livre publie en 1988 par Alexandre Bennigsen, Michael Barry, Curtis Cate et d’autres sur l’Afghanistan (Revel les Plats de Saison)

(3) Raoul Marc Jennar, docteur en science politique et chercheur sur les dossiers de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) (Europe, la trahison des élites Fayard 2004)

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Commentaires (19) | Réagir ?

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HARKI NANTES

Qu'en est-il de la phobie algérienne de la prétendue omniprésence des harkis dans les rouages de l'Etat ?

Il s'agit là d'un très vieux fantasme qui ne repose sur aucune réalité. Aucune des personnes qui colportent cette rumeur n'a jamais donné le moindre nom ni la moindre preuve. Dans mon livre, j'ai esquissé la généalogie de cette phobie du harki comme l'" ennemi intérieur ". Elle est apparue dès le début de l'Algérie algérienne, dans la bouche de Ben Bella en 1964, qui accusa les maquis insurrectionnels de Kabylie (dirigés par deux héros de la Révolution, Hocine Aït Ahmed et le colonel Mohand Oulhadj) d'être composés de harkis rémunérés par la France.

Puis il y a eu l'accusation du président Liamine Zeroual qui, dans une interview à El Watan en novembre 1995, a déclaré à propos des terroristes islamistes : " La plupart des criminels et des mercenaires sont des harkis ou des fils de harkis, soutenus et financés par des puissances étrangères et qui ont choisi la destruction de leur pays. " Jamais aucune preuve n'a été apportée pour asseoir une telle assertion, mais beaucoup de gens continuent à croire à ces affabulations.

Finalement, si l'accusation de " harki " est tellement utilisée en Algérie, c'est qu'elle permet, par ricochet, de se valoriser soi-même. Si je traite l'autre de " harki ", ça veut dire que moi, je suis un " vrai Algérien ", que j'aime mon pays, etc. Un peu comme les " marsiens " qui, en 1962, se construisaient à bas prix une figure de héros. 

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brahim sadoini

Le déracinement,

Je me réveillais très tôt en ce mois de février 1963, un froid glacial s’était emparé de notre région des Aurès.

Ce jour-là, j’avais rendez-vous avec Salah, qui m’attendait sur la place où stationner tous les véhicules de transport reliant Aris à Batna. Désormais, ma vie ici n’est plus qu’un cauchemar,

je ne pouvais plus vivre comme avant dans mon propre pays.

Les bouleversements de la guerre ont accentué ce genre de circonstances et que mon destin allait changer d’horizon. Je descendis de ma décherra, situé sur le haut plateau pour la dernière fois dans un froid vif, crucifiant nos visages. J’étais à l’heure pour sept heures tapantes. Mon nouvel ami était là sur la place, où se garait déjà un bon nombre de camions et de voitures, faisant ronronner à tout-va les moteurs de leurs véhicules. Ils étaient tous devant ce grand arbre majestueux, le plus grand du village Arris. Un vieux noyer, plusieurs fois centenaire.

Témoin à la fois de notre histoire, mais aussi d’une partie de tous ces bouleversements endémiques. Après nos salutations fraternelles, Salah ancien harki, la quarantaine environ. Il m’avait promis du travail avec son fils comme mécanicien dans la grande ville de Batna (capital des Aurès) où il possédait un garage racheté pour une bouchée de pain à un pied-noir, après un exode précipité. Mon aîné me remet d’abord en main propre mon laissez-passer pour pouvoir circuler librement entre Arris et Batna, désormais depuis l’indépendance, tous harkis ne pouvaient plus voyager sans ce sésame, un laissez-passer, c’était la nouvelle directive administrative du nouveau pouvoir fraîchement installé.

Après une bonne demi-heure d’attente toujours dans ce froid pénible, nous avions fini par négocier le prix de notre trajet, cela faisait partie de la règle du business malgré tout. Comme convenu, nous sommes montés à l'arrière d’un camion rejoignant ainsi d’autres personnes ayant déjà pris place pour un voyage de 60 km sur les routes cahoteuses. Moi et Salah nous avions réussi malgré tout à nous caler dans un coin de la benne du camion pour mieux supporter le froid et les secousses provoquées par des nids de poules. Seul moyen pour payer le moins cher possible.

Le véhicule démarra vers huit heures environ, avec une dizaine de personnes à son bord. Je connaissais la route pour l’avoir déjà fait plusieurs fois pendant la guerre, mais cette fois-ci ce long voyage était le dernier, un aller sans retour. J’avais senti que la vie m’avait tourné le dos à l’âge de mes 20 ans. Soulagé et mélancolique à la fois, partir pour moi était la seule solution, je ne pouvais plus continuer à vivre ainsi, trop de mépris, trop d’injustice, cela devenaient un vrai calvaire, je n’avais plus rien où m’accrocher. La vie foutait le camp, le monde devenait trop cruel, plus d’espoir, j’avais remis mon destin à Dieu.

Le camion roulait lentement dans un bruit de moteur assourdissant, accompagnant ma tristesse, je laissais derrière moi mon village où j’avais grandi, les yeux peinés et le cœur lourd, je ressentais ce profond déchirement. Tandis que la route commençait à défiler doucement devant moi, je réfléchissais à ce qui pouvait m'attendre dans ce Nouveau Monde, devenu inconnu.

Je quittais ces montagnes belles et grandioses qui m'ont vu naître et qui semblaient maintenant me rejeter injustement, même, le soleil commençait à se lever timidement, timide à cause de l’hiver, sa lumière chancelante et blafarde recouvrait doucement les cimes des montagnes de la vallée d’Arris. J’avais la sensation de le voir lui aussi pour la dernière fois, je croyais que lui pouvait tout voir de là-haut.

Guidé par une immense vague de nostalgie, je quittais pour toujours mon beau paysage austère celui de mes ancêtres que mes yeux n’ont jamais perdu ni de sa beauté, ni de son décor. Mais les secousses du véhicule me refont aussitôt rappeler mes déplacements antérieurs de Bouzina à Arris, une période sombre d’une salle guerre.

De temps à autre, je fixais longuement Salah, lui aimait parler avec les autres voyageurs, contrairement à moi, son gai visage semblait bien plus relax que le mien. Je savais qu’il avait beaucoup d’amis parmi les gens du FLN avec lesquels il avait coopéré en tant que harki. Un homme de grande taille, un doux sourire, embellit par toutes ses dents blanches, arborant sa longue gandoura à la manière des chaouis. Salah parlait fort avec un vieux monsieur, la face hâlée et couverte d’une barbe grise.

À mi-parcours, un barrage de la nouvelle armée algérienne nous ordonna de nous arrêter. Environ une dizaine de soldats, très bien armés, contrôlant la circulation. Devant notre camion, l’un d’eux sortit du groupe le fusil à la main, et demanda au chauffeur de s'arrêter.

Aussitôt, il nous fait signe de descendre pour procéder à la fouille du véhicule et effectuer un contrôle. Par un geste rapide de la main, il nous invita à aller vers un petit parking caillouteux où nous devions nous asseoir. « Contrôles d'identité, simple formalité », nous avait-il dit avec autorité. Tout prêt de là, à une vingtaine de mètres plus loin, je voyais un homme se tenant à genoux, gémissant de tout son corps, les mains attachées derrière le dos, la peau de son visage lacérée par des traces de coups, les joues ensanglantaient, un long filet de bave et de sang descendait de sa bouche béante. Juste à ses côtés, quatre petits enfants, effrayés, traumatisés, pleurants comme des nouveau-nés, se blottissant de tout leur mini-corps autour de leur mère, comme de petits chatons.

Ils avaient l’air tétanisé par la peur, leurs petites joues humidifiées par des larmes, le plus jeune des gamins s'agrippant avec ses petites mains à la gandoura de sa mère. L’un des djoundis, continuait à agité sa mitraillette, harcelant la femme par un flot d’injures.

— N'as-tu pas honte ? D'avoir épousé un traître, ce chien ? Vendre votre culture et votre religion ne vous dérange pas le moins du monde. Hier, ton mari était fier de nous mépriser, aujourd'hui il nous implore à genoux.

— Vous cherchiez à vous enfuir à Telaghema pour rejoindre la France et prendre la nationalité française et devenir des mécréants.

— Non, il n'y a pas de pitié pour les salauds ! Criant avec toute sa rage.

Voyant cela, le dégoût m’avait gagné, je sentais une sève pleine de colère qui me remonter dans tout le corps, j’avais envie de hurler de tout mon corps devant ces brutes, qui s’acharnaient comme des fous sur un homme à genoux, leur dire que trop de sang avait coulé dans ce pays, seule la justice pouvait reconstruire une société plus humaine, je voulais criais pour que cesse la haine pour toujours. Sans détourner mon regard, je continuais à observer l'aîné des bambins.

Le garçonnet avait une douzaine d’années, il me lança un regard accusateur, pour me prendre à témoin. Il se tenait droit devant sa mère comme pour la protéger de son petit corps, serrant très fort ses poings, mais il ne pouvait retenir en même temps ses larmes qui ruisselaient abondamment sur ses joues. Il semblait chercher à comprendre les raisons pour lesquelles son père subissait toutes ces humiliations. Quel crime avait-il commis ?

Je comprenais et compatissais à son malheur, une boule me serra subitement la gorge, j’ai senti tout à coup le liquide chaud remplir doucement mes yeux malgré un froid d’hiver. Moi aussi, j’avais eu douze ans avant l'attaque de ce car reliant Arris à Biskra, et cela avait contribué au bouleversement de tout mon univers. Son père est frappé devant lui et tout geste de secours lui était interdit. J’aurais tant aimé lui dire qu’à son âge, que j’ai vécu des scènes aussi dramatiques de cette mauvaise guerre. Mon père nous avait quittés pour aller travailler en France, lui qui était mon protecteur m’avait légué ce rôle du fils ainé, celui de chef de famille, une tradition millénaire chez les chaouis. Avec mes frères et ma mère, nous avions vécu seuls, nous luttions contre toute la misère du monde, face à une peur qui nous hantait chaque jour.

Le djoundi, venait de me rappeler tout à coup à la réalité, et me demanda mon laissez-passer. Me fixant droit dans les yeux avec un regard dur, qui imposait la soumission :

— toi aussi tu es un traître, me lança-t-il froidement : j’espère que toi non plus tu ne vas pas t’enfuir.

Étrangement, je revoyais en lui, le même comportement d'un soldat français qui s’était adressé à moi, un jour de la fouille de notre maison. Lui aussi avait un regard insupportable. Il était plein de haine. Je n'ai pas voulu lui répondre, car il savait ce que je pensais vraiment de son attitude.

Certains humains ressemblent étrangement à des animaux. Dans ce monde, il y a le prédateur et la proie. Le prédateur saisit sa proie et la violente jusqu’à ce que mort s’ensuive.

J'ai vu d'autres scènes similaires, durant cette longue guerre où certains hommes aiment faire souffrir leurs semblables. Le plaisir qu'ils éprouvaient s’est figé complètement dans leur sang et leurs gènes.

Malheureusement, pour cet homme mis à genoux, la guerre n'est pas encore finie, il devra payer pour les autres. Pour tous ceux qui sont venus d'ailleurs et l'ont enrôlé et faire la besogne à leur place. Et puis, ils sont repartis sans aucune conscience, l’abandonnant pour qu'il soit humilié devant ses enfants. Comment ces hommes civilisés pouvaient-ils faire de telles choses avec autant de lâcheté ? Le djoundi avait fini le contrôle, et il me laisse enfin repartir.

Je respirais ma semi-liberté, il ne s'intéressait donc plus à moi.

Je remontais dans le camion avec mes compagnons de route, reprenant ma place, laissant derrière moi cette famille dans leur désarroi total, hélas ! Je ne pouvais rien faire pour eux. Moi aussi, j’avais mal, mal de voir un tel spectacle. La femme continuant de supplier, les enfants hurlant sans rien comprendre. Cette horrible scène restera encore longtemps dans ma mémoire d’adolescent, je venais de ressentir une colère mélangée à de la haine qui montait en moi. Mais que puis-je faire ?

Malheureusement, rien ! Et rien ne peut aider ces pauvres malheureux. La seule chose que je pouvais faire, adressais mes prières à Dieu des musulmans, des chrétiens et des juifs et que s’il m’entende alors qu'il vient en aide à cette famille. Pourtant, dans ma tête, il n'y avait pas si longtemps que des serments ont été faits par tous ces hommes de bonne foi au nom de Dieu le clément et son prophète Mahomet dans les mosquées de toute l’Algérie ainsi que sur des places publiques, pour un pardon mutuel entre tous les musulmans.

Mes parents m’avaient toujours éduqué dans un islam de tolérance et de clémence. Pour moi, ces paroles divines semblent aujourd’hui bafouées par ces comportements individuels. Que sont devenues toutes ces garanties que certains Hommes dont la grandeur semblait incontournable nous assuraient que personne, ne serait ni inquiété ni arrêté ni même jugé pour son passé ?

Mais tout cela n’était que mensonges, il y avait aussi la visite de Ben-Bella venu à Arris, jetant de l’huile sur le feu, avec son discours de haine et d’intolérance, j’étais là devant lui lorsqu’il haranguait la population appelant à la vengeance.

Demain, les hommes et les femmes écriront sur la guerre d'Algérie en galvaudant peut-être l’histoire, ceux-là, manqueront de courage pour dire toute la vérité. Je pense à toutes ces âmes qui ont peur de l’enfer des hommes. Le devoir de mémoire doit se faire avec la plus grande sérénité et servir de repère pour une justice plus équitable. Sans cela ses acteurs ne seront plus que des potiches au service des pouvoirs gangrené par le profit. La vraie histoire se fait avec ses témoins et ses humbles, eux seuls peuvent écrire et décrire la réalité sans la falsifier.

Quant à ceux qui ont vu de leurs propres yeux, ils ne pourront jamais oublier.

Pourquoi la France m’avait-elle expédié au casse-pipe, au lieu de m'envoyer à l'école ? Mes petits camarades français eux avaient plus de chance que moi.

Pendant qu’ils se faisaient choyer dans les universités pour devenir des cadres, des ingénieurs, voire de hautes personnalités. Oui, tous mes petits camarades français qui avaient mon âge se rendaient dans ces grandes écoles. Tandis que moi, j’allais faire du baroud contre mes propres frères pour qu'ils deviennent plus tard mes ennemis de demain.

C'est cela qu'il faudra retenir et écrire et c'est cela qu’il faudra dire, sinon, pourquoi avoir fait couler autant de sang de tous ces innocents. Salah me tapote sur la cuisse pour me tirer de mes songes. Je reviens aussitôt à moi, j’aperçois dans son regard que lui aussi avait capté ces images qui semblent l’avoir affecté.

Notre camion redémarre lentement avançant sur une route sinueuse et étroite, elle est en mauvais état, la guerre est passée par là et a laissé ses stigmates. Des pentes vertigineuses, des accidents sont courants, une fausse manœuvre et tout le monde se retrouvent au fond du ravin.

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Quelqun EncoreQuelqun

Récit très boulversant !

Je reviens sur mon précédent commentaire pour dire que mon propos visait surtout celles et ceux des enfants de harkis né (e) s certainement longtemps après vous; notamment celles et ceux né (e) s ici en France.

Votre histoire à vous est une autre "affaire". En guise de consolation, sachez, cher monsieur, que les VRAIS "traîtres" ne sont pas forcément ceux à qui l'on pense presque machinalement.

Les VARIS traîtres sont aux commandes d'une ALgérie agenouillée (pour reprendre l'image que vous avez utilisée). Les VRAIS traîtres s'en sont pris à des symboles de ce qui est communément appelé "Révolution algérienne". Ces VRAIS traîtres ont d'abord liquidé ABBANE Ramdane avant de s'en prendre à d'autres comme Khider, Krim, Boudiaf... Les VRAIS traîtres ont laissé croupir et moisir les corps de SI L'Houess et de Amirouche dans les sous-sols de la direction générale de la gendarmerie algérienne à Alger.

Qu'un sentiment d'injustice vous mine, cela est tout à fait normal et humain. Les VRAIS traîtres de l'Algérie détournent des fonds pendant que la population meurt de faim. Les VRAIS traîtres ont fait des deux régions ayant payé le plus lourd tribu lors de la guerre (les Aurès et la Kabylie), ils en ont fait des zones délaissées et "évitées" par le progrès. Il suffit de les comparer à l'Oranais (allant jusqu'à Tlémcène).

Une fois ceci-dit, je ne peux m'empêcher de revenir vers nos "frères et soeurs" fils et filles de harkis né (e) s après la guerre. Au risque de passer pour un têtu, je persiste à penser qu'il y a beaucoup de progrès à attendre de leur part, notamment sur ce sentiment d'appartenance et d'ouverture vers les autres.

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