L’état de santé de Bouteflika reste un non-événement politique

Bouteflika.
Bouteflika.

La focalisation excessive de l’attention sur l’état de santé de Bouteflika est une diversion pour détourner l’opinion nationale de la véritable crise, non avouée, qui frappe l’Algérie de plein fouet.

L’hospitalisation d’Abdelaziz Bouteflika au Val-de-Grâce, un hôpital militaire français, depuis maintenant près d’un mois ne cesse de provoquer toutes sortes de rumeurs sur son véritable état de santé, de spéculations sur son éventuelle succession a "la présidence de la République" et le plus grand paradoxe est que cette hospitalisation est considérée comme étant à l’origine d’une grave crise politique en Algérie. Alors qu’il n’en est rien et que cette hospitalisation en soi est un non-événement politique. Voilà comment les médias algériens, auteurs unanimes de ces colportages, qui sont généralement au service du régime totalitaire et autoritaire d’Alger, rendent compte de l’hospitalisation d’un homme que ni la Constitution de la République, ni l’opinion populaire n’a élu souverainement au rôle politique de Président de la République. Un rôle qu’il occupe illégalement depuis près de quatorze ans et qu’il en a été toujours ainsi avec les autres présidents depuis l’indépendance nationale.

C’est l’institution militaire, véritable détentrice du pouvoir politique en Algérie depuis l’accession du pays à l’indépendance nationale, dont elle s’est arrogé le monopole par la contrainte de la violence, qui l’a imposé au poste virtuel de Président de la République en 1999, pour la représenter dans le cadre d’une démocratie de façade. Pour les deux premiers mandats à la Présidence de la République, par la violation de la souveraineté populaire en pervertissant le résultat du suffrage universel à travers l’organisation d’une fraude massive. Pour le troisième mandat, en plus de la perversion du suffrage universel, il fallait au préalable le viol de la constitution, qui limitait le nombre de mandats à deux seulement, pour pouvoir l’élire frauduleusement une troisième fois. 

Les spéculations allant bon train, on parle de crise politique majeure, de vacance de pouvoir, de crise de succession, enfin de tout ce qui pourrait qualifier une crise politique suite à une vacance de pouvoir dans un État régi par un véritable système politique démocratique et dont la cause serait l’empêchement pour maladie de son Président de la République.

En fait, cette crise n’existe que par et pour ces colporteurs eux-mêmes pour assurer le rôle de médiateurs, qui leur est demandé par les véritables détenteurs du pouvoir, pour propager l’idée d’un fonctionnement démocratique des institutions de la République et détourner l’opinion de la vraie problématique du pouvoir. Créer un ersatz de débat politique pour détourner l’opinion des véritables questions qui se posent à la crise que traverse le pays dans cette période critique de son histoire.

On pourrait avoir à la limite de la compassion pour l’homme, indépendamment de la place qu’il occupe dans la société et encore ! moins que les centaines de milliers de cancéreux qui sont en train d’agoniser en Algérie par manque de soins et de prise en charge médicale. Alors que lui il bénéficie des services de l’un des meilleurs hôpitaux et de l’un des meilleurs personnels médicaux au monde. Tandis que pour les cancéreux algériens, dont le nombre a atteint près de 250 000, avec une augmentation de près de 30 000 à 40 000 cas par an, ne bénéficient que de sept ridicules centres d’accueil pour une population avoisinant les 38 millions d’habitants. Et de plus les appareils de diagnostic et de contrôle sont souvent en panne. Rien que pour les besoins de ceux-là. Les malades atteints d’autres pathologies, curables ou non, sont tout autant victimes de la même déchéance sanitaire. Ceci est valable également pour tous les autres besoins de la vie des citoyens, tel que le chômage, le déficit de logements sociaux, la pauvreté, la quasi-absence de qualité dans l’Éducation nationale, l’inexistence d’offre à l’épanouissement culturel, etc. Sinon, selon quel mérite peut-on lui accorder une compassion exceptionnelle ? Contrairement à Mohamed Boudiaf qui a fait de la lutte contre la corruption et contre celle de l’obscurantisme religieux ses priorités pour sauver l’Algérie de la tourmente, celui-ci en a fait ses leviers pour empêcher que l’Algérie n’émerge en tant que Nation arrimée à la contemporanéité du monde. À l’opposé de cela il l’a plutôt précipité vers une crise, susceptible de l’anéantir et la faire disparaître de la configuration des nations qui composent l’humanité.

Même l’affaire de l’interdiction du journal de Hicham Aboud ("ancien" officier de la police politique) et de sa poursuite judiciaire pour divulgation d’informations "sensibles", concernant l’état de santé de Bouteflika, est en soi un non-événement, du moment que cela ne concerne que des conflits internes au sérail, autour de la cuisine de repositionnement de la représentation de la façade démocratique pour pallier une éventuelle indisponibilité de l’ancien locataire d’El Mouradia. Dont, lui-même, avec ses colportages, ne faisait qu’alimenter cet ersatz de débat politique autour de la représentation présidentielle au profit d’un clan ou d’un autre.

Alors que le vrai événement politique réside dans la crise de récession qui menace l’Algérie à court terme, par un déséquilibre très grave de la balance commerciale qui se profile. Qui aura comme effet, l’incapacité du trésor public de ne pouvoir faire face aux dépenses nécessaires pour satisfaire les besoins de consommation de la population, par les importations de denrées alimentaires, évaluées à l’heure actuelle à près de 85 %, pouvant précipiter une famine, dont les conséquences seront irrémédiables. D’autant plus, qu’il ne sera plus possible de pouvoir constituer une épargne pour relancer une économie productive. Cette crise en perspective, à cours terme, n’est pas quant à elle du colportage, mais une réalité attestée par les spécialistes en la matière et qui confirment cette détérioration de la balance commerciale qui se profile, selon plusieurs facteurs. En premier lieu, le tarissement des réserves des hydrocarbures et la baisse de la production, conjugué à la baisse du prix du baril dû à la forte production américaine, qui devient exportatrice grâce à leur projet d’intensification de l’exploitation des gaz de schiste. Ensuite, l’augmentation de la demande de consommation énergétique nationale, qui reconvertit l’Algérie en un pays consommateur.

Cette situation pourrait provoquer une crise, qui mettrait en danger la paix civile, les fondations de l’État, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale. Paradoxalement complètement minorée par les médias et occulté par le pouvoir lui-même, alors, qu’elle devrait constituer naturellement le véritable objet de la crise nationale et focaliser sur elle toutes les énergies que pourraient déployer médias et personnel politique. Dans ces conditions, c’est tout le système de pouvoir qu’il faudra changer en urgence et mettre en place une équipe compétente, pour assurer une transition de gouvernance pouvant endiguer la crise à moindres frais avant qu’il ne soit trop tard. 

Il ne peut être autrement, hélas car la responsabilité sur cette situation est principalement imputable au système de pouvoir en place, par sa mauvaise gestion et par son monopole de la gouvernance depuis l’indépendance nationale. Neutralisant en passant toutes les potentialités humaines pouvant apporter une valeur ajoutée aux capacités productives de richesses de l’économie nationale. Cela deviendra possible, si seulement ces messieurs du DRS pourraient prendre conscience du danger qui nous guette, cesser leurs brimades, rentrez dans leurs casernes, s’occuper des véritables ennemis de la Nation et restituer dignement le pays à son peuple.

Youcef Benzatat

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Atala Atlale

Voilà un tableau bien sombre M. Benzatat même s'il reflète la réalité, je croyais être un grand pessimiste mais là, je ne suis pas le seul dans ce cas. En effet la situation est très inquiétante pour ceux qui ont vécu honnêtement dans ce grand pays, les autres, le clan et tous les satellites qui tournent autour du point central de la prédation, seront bien loin, à l'abri de toutes les secousses qui menacent désormais notre pays. Peut-être que le salut viendra enfin mais à quel prix ?!!