Les fourberies de Bouteflika et leurs incidences sur la paix civile

Abdelaziz Bouteflika
Abdelaziz Bouteflika

Les dissensions claniques, si elles s’avéraient irréversibles et de plus en plus exacerbées, provoqueraient inévitablement une implosion du système de pouvoir algérien, pouvant conduire à des troubles, qui menaceraient dangereusement la paix civile.

Les développements politiques qui se profilent en Algérie, dans le sillage du processus de désignation du futur Président de l’État pour 2014, laissent présager en perspective une houle insurmontable, pouvant mettre en danger la paix civile, si l’intérêt commun pour la rente ne suffit plus à lénifier l’exacerbation des dissensions claniques. En particulier, celles qui sont les plus apparentes, que la presse indépendante ne manque pas d’étaler quotidiennement au grand jour et qui sont attribuées pour l’essentiel aux fourberies de Bouteflika.

On n’en est pas encore là à ce jour, et le système de pouvoir continue à se présenter officiellement comme un bloc monolithique, ne laissant apparaître aucune fissure dans le consensus de façade, supposé ou réel, qui le soutient. Même si des sons de clochers, irrités par la déliquescence de la tournure qu’a prise la forme de gouvernance depuis la dernière truanderie de la constitution, et bien avant, légitimes du reste, crient à l’appétit démesuré du loup dans la bergerie, qui pourrait avoir pour conséquence de pousser par ses fourberies le système vers son implosion.

Mais, au-delà de ces considérations conjoncturelles, le danger vient de l’incapacité du système de pouvoir lui-même à se renouveler, dont les signes de fin de cycle se manifestent de plus en plus intempestivement par ces déboires conjoncturels, qui expriment les limites de ses contradictions structurelles. En effet, le piège se referme peu à peu sur l’Algérie, sur la perspective de la démocratisation de son système de gouvernance, sur la construction de son état républicain et surtout sur le danger qui menace en permanence sa paix civile.

Prise dans l’étau d’un état d’exception comme mode de gouvernance depuis le coup de force de l’été 1962, qui l’immobilise dans un statu quo total et indéfini, qui ne doit sa longévité qu’à la providence de la rente, l’Algérie se trouve aujourd’hui confrontée, devant les limites des contradictions de son système de pouvoir, à une impasse politique sans précédent depuis son accession à l’indépendance. En fait, avant d’en arriver là, le système a connu des bouleversements structurels successifs, dont la trajectoire a abouti inévitablement à l’impasse qui le caractérise aujourd’hui.

Dans sa forme actuelle, le pouvoir algérien est exercé dans une opacité totale en dehors des institutions de l’État, et se présente comme une coalition d’intérêts autour de la gestion de la rente, qui se cristallisa dans l’opportunité de l’espace vide laissé par la disparition d’Houari Boumediene.

De son vivant, ce dernier monopolisait à lui tout seul tous les pouvoirs sans partage. Il était la figure-type du despote au sommet d’une structure politique hiérarchique verticale, où ses subalternes ne jouaient généralement qu’un rôle de conseillers ou d’exécutants, n’ayant aucune prérogative autonome, que seul le despote, qui siège au sommet de la pyramide, pouvait autoriser. Le despote exerçait dès lors son autorité dans un système totalitaire régi par l’instauration d’un "… état d’exception, prenant la figure d’une guerre civile légale, qui permet l’élimination physique non seulement des adversaires politiques, mais de catégories entières de citoyens qui, pour une raison ou une autre, semblent non intégrables dans le système politique" (G.Agamben : L’état d’exception). Dès lors, la création volontaire d’un état d’exception permanent est devenue l’une des pratiques essentielles de l’État algérien. C’est le paradigme de gouvernement dominant dans la politique algérienne. À ce stade de son développement, le système de pouvoir algérien n’admettait aucune dissension interne à ses structures.

Ce système de pouvoir peut se définir, selon la théorie schmittienne de la dictature, comme dictature de commissaire, constitutionnelle, qui se pose comme garant de l’ordre constitutionnel, par opposition à la dictature souveraine, inconstitutionnelle, qui conduit à son renversement. C’est ce qui va se produire avec la fin du règne d’H. Boumediene. On passa alors à cette coalition d’intérêts composée d’une multitude de despotes locaux issus du premier cercle de l’ancien système. Elle prendra la forme d’une structure horizontale, composée d’officiers supérieurs des forces de sécurité et essentiellement de l’armée et de la police politique, qui s’élevèrent au rang de généraux. Elle deviendra le noyau dur du pouvoir collégial de l’ombre, qui va régner depuis sur l’Algérie jusqu'à ce jour dans la même forme de domination sans partage. Ils ne tardèrent pas à fédérer autour d’eux, et chacun pour son compte, son propre "clan", constitué d’une clientèle élargie à la société civile, qu’ils instrumentalisèrent, par le renversement de l’ancien ordre constitutionnel, pour le compte d’une démocratie de façade, appelée suite au bain de sang qui a suivi les révoltes de 1988. Représentée aujourd’hui par l’alliance présidentielle.

La société algérienne, que cette coalition clanique façonna, apparaît comme une formation sociale qui se situe entre la communauté et la société et se caractérise par un sous-développement de son économie, de sa structure de classe, de son organisation politique, sociale et culturelle. Au sommet de sa structure de classe domine une classe sociale militaro bureaucratique qui prit son essor comme classe dominante. Sa caractéristique principale est une impuissance généralisée. Le système de pouvoir clanique algérien se révèle incapable d’agir en tant que système social ou politique intégré ou comme structure économique. Néanmoins, l’aspect le plus développé et le plus efficace de cet État despotique est son appareil de sécurité intérieur. Dans ce régime autoritaire et totalitaire domine un système bicéphale, une bureaucratie militaro bureaucratique couplée à une police politique servant de régulatrice suprême à l’existence civile et politique, contraignant les citoyens dans leur pratique sociale et politique d’être privés de tous leurs droits fondamentaux.

Ce renversement constitutionnel n’a débouché que sur la déliquescence d’un pouvoir corrompu et médiocre, qui a mis en danger, à partir des années 1980, les institutions républicaines. "La crise que vit le pays n’a d’égale que la gravité des méfaits commis par des barons d’un système politique corrompu" (Ali Mécili, deux semaines avant son assassinat).

C’est autour de ces barons que se cristallisa le système clanique qui a pris en otage l’État algérien. Il est régi par un code de l’honneur, qui a été reconnu par Chadli Bendjedid dans son entretien accordé à Mohamed Benchicou, pour avoir soustrait à la justice l’ancien ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika, pour sa culpabilité avérée dans le détournement des deniers de l’État algérien pendant son exercice. C’est ce code de l’honneur, qui est mis systématiquement à l’œuvre pour lénifier toute forme de dissension entre les différents clans du système, pour un partage équitable de la rente. Ce principe va se généraliser dans la pratique à tous les niveaux de la structure clanique. Le clan manipule les fonctionnaires corrompus en les aidant à gravir rapidement les échelons de leur carrière administrative et en les protégeant contre d’éventuelles sanctions, par ce principe de code de l’honneur, qui est mis en œuvre à l’occasion dans les dérives judiciaires. C’est le pouvoir politique du clan qui intercède au niveau de la Cour suprême pour protéger ses clients. S’il y a une anarchie générale, qui découle d’un lien dialectique entre la structure clanique du pouvoir, le magistrat corrompu, le fonctionnaire, et la violence qui n’est que la conséquence de tout cela, cela est devenu possible grâce à la nature du régime politique algérien. Car, le système de pouvoir algérien, du point de vue juridique, fonctionne comme un état d’exception, qu’il ne faut pas confondre avec un droit spécial, comme le droit de guerre, mais une suspension de l’ordre juridique lui-même. L’état d’exception se présente dans cette perspective comme un rempart contre la mise en danger du système clanique.

L’inéluctable avènement de l’heure de vérité, - cet inévitable destin que celui de l’alternance entre le mensonge et la vérité qui vient mettre fin à un cycle du processus d’émancipation politique, celui qui fait passer la société du despotisme à la démocratie – peut paraître conditionné par l’exacerbation populaire par les effets incommodants de la saturation des contradictions sur lesquelles se fonde le despotisme. C’est-à-dire, la généralisation du dérèglement du fonctionnement de l’État, des institutions et de tous les aspects de la société, qui pousse le citoyen vers la négation même de l’État et de ses institutions et son intrusion spontannée sur la scène publique.

Mais force est de constater, que le salut ne pourrait venir d’une mobilisation citoyenne pour forcer le statu quo et ouvrir une brèche dans l’impasse politique. Malgré que l’état de siège eût été levé officiellement le 22 février 2011, le système a eu raison de la mobilisation populaire à chaque fois qu’elle s’est exprimée sur la scène publique. Les expériences précédentes, depuis le printemps amazigh de 1980 et 1981, les révoltes d'Oran en 1983, d’Alger en 1985, de Constantine en 1986 et enfin celles d’octobre 1988, lui on permit de mettre en place un système de répression sans failles, anesthésiant toute volonté de révolte populaire pouvant mettre en danger son hégémonie politique. Car la levée de l’état de siège dans un régime totalitaire se présente comme un oxymore destiné uniquement à la propagande.

C’est donc, à une initiative interne au système lui-même, par une volonté politique à s’autoréformer, que sied une solution à la crise qu’engendre cette impasse politique. Mais en a-t-il matériellement les moyens ?

Les dissensions claniques au sein d’un système despotique existent naturellement et constituent dialectiquement sa structure intrinsèque. Le tout est de savoir jusqu’où peuvent aller leurs exacerbations, qui sont à leur tour liées dialectiquement aux limites de ses contradictions internes. L’instinct de survie de ce système tendrait naturellement à lénifier toute dissension pouvant menacer son existence harmonieuse. Le danger pour la paix civile n’interviendrait, que si le partage de la rente ne suffisait plus à contenir ces exacerbations à répétition qui se manifestent de plus en plus violement au grand jour et que la presse indépendante étale au quotidien sur la place publique.

Youcef Benzatat

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Commentaires (14) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Ali Mansouri

Mille fois mercis Mr Benzatat, pour cette analyse éloquente et qui reflète exactement le système politique clanique algérien, je n'ai vraiment rien à ajouter, seulement vous dire que vous avez tout dit. Je pense tout comme vous, quand vous dites :

"C’est donc, à une initiative interne au système lui-même, par une volonté politique à s’autoréformer, que sied une solution à la crise qu’engendre cette impasse politique. Mais en a-t-il matériellement les moyens ? "

je crains cher Mr Benzatat, que ce serait la seule solution salutaire pour notre Algérie, pour lui éviter le pire, un scénario à la syrienne ou celui des années de sang en Algérie, parce que la société algérienne est imprévisible, le régime l'a exacerbée, rongée, l'a poussée dans ses derniers retranchements, beaucoup de frustration d'indignation ne peuvent s' exprimer dans la rue tout est bloquée, le régime pense qu'il peut toujours sévir en toute tranquillité, parce qu'il sait que la plaie des 10 ans de terreurs islamistes n'est pas encore cicatrisée, il joue sur ce tableau avec cynisme et irresponsabilité dans le but de se pérenniser et défier le peuple fatigué qui vient de subir la terreur sanglante dans sa chaire durant plus de 10 ans. Il faut des patriotes sincères en haut lieu pour SAUVER L'ALGÉRIE.

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