Lettre ouverte de Ferhat Mehenni à François Hollande

Ferhat Mehenni, président du GPK
Ferhat Mehenni, président du GPK

Le président du gouvernement provisoire kabyle interpelle dans cette lettre ouverte le président français à l'occasion de sa venue en Algérie.

Monsieur François Hollande

Président de la République française

Monsieur le Président,

Vous allez effectuer un voyage officiel en Algérie. Vous savez que vous aurez des partenaires difficiles qui, pour des raisons de politique interne, cultivent une opposition quasi systématique à la France depuis 50 ans. L’identité de vue sur des questions d’actualité internationale que vous avez avec le voisin marocain est plus problématique avec ceux que vous allez rencontrer. Ceci sera d’autant plus vraisemblable que vous aurez pour interlocuteurs non pas ceux qui représentent la réalité du pouvoir, mais son apparence, et ce, quelles que soient leurs fonctions officielles. Vos conseillers et vos experts ont dû vous en prévenir déjà.

Monsieur le Président,

Je vous écris en tant que président de l’Anavad, le Gouvernement provisoire kabyle. J’ai pour devoir et honneur, comme vous, la défense des intérêts de mon peuple, le peuple kabyle. L’exercice de son droit à l’autodétermination fera bientôt partie de l’actualité internationale. Par conséquent, serait-il heureux que la France distingue enfin nettement la Kabylie de l’Algérie. 

C’est d’ailleurs cette confusion des peuples et des pays qui a été à l’origine de la guerre d’Algérie. La Kabylie n’a jamais admis son annexion forcée à l’ensemble algérien. Elle continue de le faire. Depuis 1962, la Kabylie reste le sujet brûlant de la dramatique actualité algérienne. On peut en juger par les faits : 

1. Conflit armé du 29 septembre 1963 au 16 mars 1964. 

2. 1977 : Affront kabyle fait au dictateur Boumediene dans le plus grand stade d’Alger. 

3. Soulèvement populaire en avril 1980 (appelé Printemps berbère). 

4. 1985 : Création de la 1ère Ligue algérienne des droits de l’homme par des Kabyles dont la plupart des membres se sont retrouvés devant la Cour de sûreté de l’État qui les a condamnés. 

5. Septembre 1985 : manifestations violentes en faveur des prisonniers militants des droits de l’homme. 

6. Octobre 1988 : Grève générale en Kabylie pour laquelle le chanteur Matoub Lounes avait reçu à l’abdomen une décharge de kalachnikov de la part d’un gendarme algérien. 

7. Décembre 1991- janvier 1992 : Le FIS rafle les législatives partout en Algérie, à l’exception de la Kabylie où il n’avait obtenu aucun siège, ni réussi ne serait-ce qu’à être en ballottage. L’arrêt du processus électoral par le pouvoir algérien serait dû uniquement, selon le Général Nezzar, à la situation de dissidence nationale dans laquelle se retrouvait la Kabylie laïque.

8. 1994-95 : Boycott scolaire en Kabylie du primaire aux universités.

9. 1996 : Accord entre le pouvoir et les terroristes de l’Armée islamique du Salut ayant eu pour conséquence le transfert du terrorisme en Kabylie où, jusque-là, il était inexistant et y demeure toujours sans base sociale.

10. 1998 : Assassinat du chanteur Matoub Lounes et révolte populaire pendant plus d’un mois.

11. 2001-2003 : Révolte populaire durant trois ans (150 morts). Création du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie ayant débouché sur la mise sur pied de l’Anavad au nom duquel j’ai l’honneur de vous adresser cette lettre.

Depuis l’arrivée de Bouteflika en 1999 à la présidence, la situation se caractérise par une tension plus accrue qu’elle ne l’a jamais été. En plus des trois ans de bras de fer quotidien du Printemps noir (2001-2003), il est bon de rappeler ces données : la Kabylie boycotte toutes les élections. La seule consultation qu’elle attend est le référendum pour son autodétermination.

Bouteflika n’a jamais été élu par les Kabyles contre lesquels il se venge par des propos indignes. Il se sent en revanche dans l’obligation de nommer à chaque fois un premier ministre kabyle pour mener une sévère politique antikabyle. Les budgets alloués à la Kabylie sont réduits à leur portion congrue. N’eût été la communauté kabyle installée en France, évaluée à 2 millions d’âmes, les Kabyles mourraient de faim. Les ressources minières et hydrauliques kabyles profitent au régime et nullement à la Kabylie.

Le déploiement militaire en Kabylie, décidé après la fronde de 2001-2003, a atteint des chiffres que la France n’avait pas engagés durant la guerre d’Algérie. Et dire que nous sommes en temps de paix ! Cela s’est traduit par une insoutenable insécurité : 80 kidnappings d’entrepreneurs kabyles en 6 ans, insalubrité publique, drogue et fléaux en tous genres et une politique salafiste digne des Ben Laden. Rien qu’en 2010, pas moins de 147 terroristes "repentis" ont été nommés comme imams pour fanatiser les Kabyles. Leur produit sera votre danger de demain. Depuis 2004, nos oliveraies et nos forêts sont systématiquement incendiées volontairement par des militaires qui en ont reçu l’ordre. Ce crime contre la nature est aussi un crime contre l’humanité. L’avancée du désert qu’il provoque va inexorablement atteindre la France.

Monsieur le Président,

La rencontre entre la France et la Kabylie a certes été violente, mais leur relation s’est apaisée au fil du temps. Nous ne voudrions en retenir que les aspects positifs et mutuellement bénéfiques. À l’exception de la condition coloniale qui nous était insupportable, le Kabyle a su acquérir auprès du Français bien des savoirs et des techniques. La France a trouvé en lui un ouvrier et un fonctionnaire, un cadre et un chercheur d’une rare qualité. Ils ont en commun des valeurs qu’ils veulent universelles comme la laïcité et la liberté. Cela s’est enrichi de pratiques et de besoins réciproques. Le Kabyle est devenu un élément positif dans la lutte contre l’islamisme dans les banlieues françaises. La langue et la culture françaises sont intégrées dans les facteurs de résistance que la Kabylie a développés contre son oppression identitaire et linguistique.

Il serait donc plus que jamais temps que la France admette la Kabylie dans la défense de ses intérêts. Elle aura un allié sans précédent dans son environnement Sud méditerranéen.

Durant cette visite que vous allez effectuer en Algérie, même si le Sahel et l’AQMI (le bras armé de nos généraux), l’Azawad et la Syrie seraient les points sur lesquels vous insisteriez, notre souhait est que vous feriez autrement que l’un de vos prédécesseurs. En effet, en 2003, M. Chirac avait ignoré à tort la douleur des dizaines de mères kabyles qui venaient d’être endeuillées par ceux-là mêmes qui lui déroulaient le tapis rouge. Rouge du sang de nos pacifiques jeunes manifestants qui venaient d’être assassinés par le pouvoir raciste algérien. 

Défendre la francophonie en Kabylie sera, à coup sûr, profitable à la France. Son admission au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie est l’une des aspirations du peuple kabyle. En attendant la reconnaissance internationale de son gouvernement provisoire, il serait pour le moins positif que vous fassiez admettre à vos interlocuteurs algériens la nécessité de la réouverture du Consulat de France à Vgayet (ex-Bougie) et du Centre culturel français à Tizi-Ouzou. 

Dans l’espoir que votre voyage, associant la cause kabyle aux intérêts de la France, soit couronné de succès, veuillez croire Monsieur le Président en ma très haute considération.

Ferhat Mehenni

Président du gouvernement kabyle provisoire

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Commentaires (14) | Réagir ?

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Farid AZEB

Je ne sais vraiment pas, pourquoi je reviens encore à cette page pour vous relire.

J'avais répondu à votre lettre, spontanément, sans trop réfléchir.

Et depuis, je lui cherche encore un qualificatif adéquat.

Je pensais maitriser la langue de Molière; mais; là! Je donne ma langue au chat.

Vous n'agissez même pas en politicien averti et réservé

Que se doit d'être même un Président autoproclamé

Car, je n'ai pas souvenance d'une élection organisée

Dans la transparence ni même comme au bon vieux temps. Dans la CLANDESTINITE.

Votre lettre est tellement pathétique, porteuse d'une démagogie puérile

Et développant une stratégie vaine et stérile

Faisant de nos Martyrs un fond de commerce bas et vil

Et donnant une image qui n'est pas celle du Peuple kabyle

Car vous le réduisez au simple rang d'auxiliaire Franco-français

Qui quémande la protection de la France contre ses frères.

Vous demandez qu'on associe la cause Kabyle aux intérêts Français

Rien que cela ?! Et le tout au nom de la Kabylie. Eternelle frondeuse et fière.

Qu’est devenu MASSINISSA fondateur de l’Empire Numide et unificateur des Berbères

Que sont devenus JUGURTHA le Berbère et ses Stratégies Guerrières

« ANAREZ WALA ANEKNU » Plutôt l’échine brisée que plier un genou

N’est ce pas le cri de ralliement des berbères de tous lieux ?!!!

En pondant votre torchon, vous reniez la mémoire de tous nos aïeux

Et vous prostituez toutes nos valeurs ancestrales qui font notre IDENTITE

Ô ironie du sort ! Vous nous faites passer pour un peuple de pauvres gueux

Qui fait allégeance à son ex colonisateur pour lui rendre sa DIGNITE.

Vous n’épargnez même pas les morts monsieur le Président ???

Qu’avez-vous fait pour soulager le deuil des familles de ces 150 Martyrs

Pour avoir le privilège de parler en leur nom ?!

Mieux vaut se taire quand on n’a que des insanités à dire.

Il se peut que je vive hors du temps et peut être même sur une autre Galaxie.

Il se peut aussi que, sur mes ANCETRES AMAZIGHS, je n'ai rien appris.

Et que ce ne sont point ceux que les grands HISTORIENS ont décrit.

Ou que l’Histoire de notre « RACE » soit sortie des divagations de « SIMPLES D’ESPRIT »

Mais une chose est sûre. Je vis bien sur la Planète ALGERIE

Et j’y suis né ainsi que mon père, mon grand père, mon arrière grand père…

Et malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, elle reste notre PATRIE

Celle contre laquelle on peste quand tout va mal

Mais aussi celle pour laquelle notre sang s’échauffe dans nos artères

Et nous fait oublier nos différences quand elle est mise à mal.

On m’a appris que mes ancêtres étaient épris de liberté

Et mourraient pour leurs idéaux ; DEBOUT avec PANACHE et DIGNITE.

On m’a appris qu’ils s’alliaient mais ne faisaient jamais allégeance

Et que le courage, la bravoure, la générosité et la compassion étaient leur ESSENCE

Je suis AMAZIGH-KABYLE-ALGERIEN

Et sans ma Patrie et tous ses enfants, je ne suis rien

Arabes, Amazighs, Turcs, Juifs, Français ou quelque soit votre généalogie

Ou votre religion, vous êtes mes frères si en votre cœur il n’y a qu’une PATRIE

L’ALGERIE

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Raveh Aksel

Vous carburez à la haine du président du GPK, Da Ferhat, c'est évident !! Voila pourquoi vous voulez donner des leçons à ce militant de al première heure de la berbérité, des droits de l'homme et maintenant des droits du peuple kabyle !! Ça sent trop le FLN et la soumission !! Moi aussi, je ne suis d'"aucun parti, ni association. Que ceux qui veulent révolutionner et offrir leur sang pour les moutons de panurge aillent le faire tous seuls, celui de beaucoup de Kabyles crient encore justice !!

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Redha OUICHER

Je partage en meme temps vos points de vue Mr MEHENNI et Mr AZEB, l'un sur l'objet meme de votre lettre et l'autre sur nos memes reves à tous qui refusent de se réaliser. Ou pire encore ces memes reves qui se transforment de jour en jour en cauchemar interminable pour notre pays et pour notre identité, pour les aspirations de tout le peuple algerien à vivre heureux et dans la serinité, des kabyles qui pourront s'adresser à ses administrations dans leur langue maternelle.

Je ne partage pas pour autant vos points de vue sur l'autonomie de la kabylie que je pense parfois que notre pays est un et indivisible et ne pense pas qu'il puisse exister algerien qui acceptera un jour de se separer de son nord ou de son sud, mais par contre pense parfois que ce Mr MEHENNI est en avance sur son temps et aprés 50 années de souffrance, d'acharnement et de mépris, il est temps pour nous d'aller voir ailleurs

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