De la surcharge des classes et du manque d’enseignants

La surcharge des classes est un vrai problème que l'éducation nationale ne prend pas au sérieux.
La surcharge des classes est un vrai problème que l'éducation nationale ne prend pas au sérieux.

"L’erreur est humaine : l’humain est l’erreur" (T. Rousseau)

L’effectif par classe dans nos établissements scolaires, un paramètre incontournable, parmi plusieurs autres, pour un enseignement de qualité ou tout au moins acceptable, fait l’objet de plusieurs sons de cloche. 

1. La surcharge selon le ministère

Le ministre de l’Education Nationale a affirmé que le "taux de surcharge des classes dans les établissements éducatifs ne dépasse pas 4,5% au niveau national" pour cette année scolaire et qu’"avec 40 élèves par classe il n’y a pas surcharge, les espaces étant conçus pour contenir 20 tables de deux places, soit 40 élèves par classe" et que ce dernier nombre "est ordinaire" et que "l’on ne parle de surcharge que si le nombre dépassait 40 élèves par classe". Quelques jours plus tard, le ministre affirme que "la moyenne nationale du nombre d’élèves par classe en Algérie estimée actuellement à 33 élèves, est dans la "fourchette" fixée par l’Unesco » et que l’une des causes de cette surcharge est «l’existence d’un déséquilibre entre les différentes filières dans le sens où certaines attirent plus d’élèves que d’autres».

2. La surcharge selon les autres acteurs

De son côté, la presse nationale rapporte d’autres chiffres et appréciations. Ainsi, un mois après la rentrée scolaire, le problème de la surcharge des classes à Oran , son agglomération et sa wilaya comprises, «se pose avec une acuité , dans tous les cycles et dans plusieurs établissements où des classes enregistrent pas moins de 42 élèves» , alors qu’ à Tiaret on note que des classes ont atteint 64 élèves. Dans la proche banlieue "toute neuve" d’Oran, à Bir El Djir, il a été relevé, dans certaines classes du primaire, entre 3 et 4 élèves par table. Si ces dernières classes comportent 20 tables, tel qu’affirmé par la tutelle, cela suppose, si nous faisons le compte, qu’il peut y avoir 60 jusqu’à 80 élèves par classe. Il a été également évoqué, au cours d’une session ordinaire de l’APW d’Oran, des classes avec un effectif de 70 élèves, dans certains établissements. Et selon un rapport de la commission de l’éducation de cette APW, une institution officielle qui ne va pas s’amuser à fournir des informations colportées, "les élèves étudient debout et dans des classes toujours pas dotées de chauffage, alors que nous sommes aux portes de l’hiver." Nous pouvons enfin noter qu’un syndicat des enseignants estime que cette année va voir des classes avec un effectif de plus de 45 élèves.

3. La taille des effectifs dans quelques pays

Si nous admettons que le problème de la surcharge ne dépend pas seulement du ministère de l’Education nationale, et ne peut être réglé à court terme, notons que sous d’autres cieux, l’objectif de 25 élèves par classe date de 1954, ce dernier taux étant aujourd’hui revu à la baisse. Pour nous situer au sein des nations, il est donc tout à fait naturel d’opérer des comparaisons ; et nous ne le ferons pas avec les grandes puissances de ce monde, mais bien avec quelques pays que nous ne pouvons qualifier de "ténors" en matière de développement.

En effet, le premier exemple concerne trois Etats nouvellement indépendants, n’ayant aucune tradition démocratique, et dont l’existence est intervenue après la fragmentation de l’Union soviétique, fin décembre 1991 : l’Estonie, la République slovaque et la Slovénie, ont des effectifs moyens par classe inférieurs à 19.En outre, le Mexique et la République tchèque comptent un effectif moyen inférieur à 20, soit 19.9 selon les chiffres officiels. Ce chiffre est de 18.7 pour la Pologne, 20.2 pour le Portugal, 25 pour le Brésil, et 25.6 pour la Turquie. Il faut peut-être ajouter, qu’il y a moins de 16 enfants par classe au Luxembourg. Pour ce qui est de la Tunisie, la moyenne des élèves par classe qui était de 41.7 en 1964 a baissé de façon régulière jusqu’à atteindre 22.1 dans la période qui s ‘étale de 2005 à 2010. Et si le dénombrement de la population peut constituer l’un des facteurs de comparaison, parmi les onze pays cités, notons alors, que quatre pays seulement ont une population supérieure à celle de l’Algérie : 38.5 millions d’habitants pour la Pologne, 74 millions pour la Turquie, 112 millions pour le Mexique et 201 millions pour le Brésil, ces valeurs étant fournies par défaut. Pour poursuivre la comparaison, faut-il préciser que nous sommes mieux lotis en termes de ressources en gaz et en pétrole (réunis), que tous les pays cités.

4. Interrogations

Que dire face alors aux différentes déclarations ? Quel est donc ce critère qui permet de dire qu’une classe de 40 élèves n’est pas surchargée, parce que l’espace permet de contenir 20 tables de 02 places, puis d’affirmer que c’est ordinaire ? Si donc l’espace permet de contenir 40 tables, nous comprendrions que le ministère se serait permis de planter 80 bambins face à leur enseignant. Et que signifie ce taux de 4.5% ? Si nous comptons autrement, avec une classe de 60 élèves au lieu de 40, la rallonge des effectifs est à 50%. Au pifomètre, comment une moyenne sur un taux peut- t-elle chuter de 50 à 4.5% et quand le phénomène des grands effectifs est largement constaté ? Et puis un taux quel qu’il soit, ne devrait, en aucun cas nous faire oublier qu’il y a des classes surchargées et d’autres dépourvues d’enseignants, et ceci handicape aussi bien les enfants que les enseignants. Et quoi dire, quoi penser, quand on déclare que 40 élèves dans une classe c’est ordinaire, pour affirmer quelques jours plus tard que 33élèves par classe est une moyenne nationale qui se trouve dans la fourchette fixée par l’Unesco ? 

Comment la tutelle estime que 40 élèves par classe, c’est ordinaire ? Au lieu du mot ordinaire, on aurait pu utiliser le mot normal ; c’est si courant chez nous, comme mot passe partout. Est-ce normal de masser au moins quarante enfants ou adolescents dans une salle, parce celle-ci peut contenir 20 tables de deux places ? Au passage, comment peut-on envisager d’alléger le cartable, en casant des casiers dans les classes, alors qu’il y a d’abord un manque de chaises et de tables ? Il est vrai que devant des classes de 60 ou 64 ou 70 élèves, 40 élèves c’est normal. Question de faire un parallèle, cela rappelle cette crise de logement ; car pour ceux qui ont la chance d’avoir un toit, on pourrait peut-être dire que c’est normal qu’une famille de vingt personnes occupe un F3, avec cinq personnes par chambre et le reste de la famille «distribué» entre les couloirs et la cuisine. Et nul espace, on entasse semble être l’unique recours. Quant à la surcharge justifiée par des filières plus attirantes que d’autres, il est évident qu’en principe, l’orientation se fait sur la base des notes acquises par l’élève, et pas seulement son vœu ou celui de son papa, sauf si les passe-droits et autres irrégularités sont devenues une règle; de tels agissements nuisent à l’enfant en premier lieu.

5. De quelques impacts des effectifs dans une classe

Plusieurs études ont démontré de manière irréfragable qu’"un petit effectif est favorable aux apprentissages" que l’"avantage est durable" et qu’"il est particulièrement remarquable pour les élèves qui proviennent de catégories sociales peu favorisées". Par ailleurs, si une autre étude effectuée par un laboratoire en science de l’Education, a montré que «  la réduction des effectifs avait un impact restreint au collège ou au lycée, il n’en demeure pas moins qu’il est significatif pour les élèves du cycle primaire ». On note également que la réussite scolaire dépend de la qualité de la formation des enseignants et des méthodes pédagogiques, et que la qualité et la motivation du corps professoral sont des conditions sine qua non pour la réussite scolaire. Nous pouvons ajouter qu’un chercheur du nom de Thomas Piketty a indiscutablement établi "l’impact très positif de la réduction des effectifs sur la réussite scolaire".

Parmi les impacts négatifs qui résultent de la surcharge des effectifs, les pratiques condamnables qui en découlent sont nombreuses tels la démotivation de l’élève et de l’enseignant, la fraude, l’indiscipline, la crise de nerf de l’enseignant, les châtiments corporels, la violence, la délinquance, et autres qui pointent forcément le nez.

6. Rentabilité pour l’Etat et politique de recrutement des formateurs

Une nouvelle étude publiée par The Quarterly Journal of Economics (Oxford) montre un impact positif dont une rentabilité pour l’Etat, quand l’effectif d’une classe est réduit. En Algérie, la surcharge des classes ne résulte pas uniquement des infrastructures qui accusent un retard dans la réception ; il s’agit aussi, pour la Fonction publique, de repenser de manière urgente, la politique des recrutements. En effet, on sait que les pouvoirs publics éprouvent de grandes difficultés pour trouver une solution à l’emploi des jeunes dont 21,5% qui ont moins de 35 ans sont chômeurs, selon de récentes statistiques du FMI, comme rapporté par l’AFP et des titres de la presse nationale. L’écrasante majorité des algériens étant jeune, une bonne partie de celle-ci étant constituée de chômeurs diplômés de l’enseignement supérieur, il semble plus rentable pour l’Etat de les recruter au niveau de l’Education nationale, que de les aider à créer leur propres entreprises, à travers les programmes de soutien de l’Ansej. En effet, cette agence de la mamelle absorbe annuellement, selon nos experts, des milliards de dollars, pour voir en fin de compte, 50% ces entreprises soutenues, faire faillite, et près de 40% de recouvrement des prêts non honorés. Avec ces dispositifs de soutien censés créer de la richesse et de l’emploi, la dépense publique se trouve ainsi grevée, face à la disparition, pour cause de faillite, de ces entreprises soutenues. Il parait donc plus rentable d’investir dans l’éducation et de recruter les jeunes diplômés chômeurs dans l’Education nationale, si on les encadre, en collaboration avec les établissements d’enseignement supérieur (universités et autres écoles), en leur assurant une formation continue, comme cela se fait ailleurs. Il est donc urgent de réfléchir à un partenariat entre les diverses institutions éducatives et de formation.

Conclusion

Qu’y-a-t-il alors à espérer dans une classe surchargée, avec un programme surchargé et un enseignant (quand il existe) dépourvu de divers moyens pour assumer ses obligations ? Si la réduction de la taille d’une classe est une condition nécessaire pour mettre en œuvre une pédagogie plus ou moins différenciée, elle est de surcroit, insuffisante pour avoir un enseignement de qualité répondant aux attentes de ce millénaire. Notons également qu’un réel allègement des programmes qui nécessite une révision scientifique des contenus, dépourvu de tout populisme et se basant sur des critères intrinsèquement pédagogiques, contribue dans une certaine mesure et implicitement, à l’atténuation du problème des effectifs. L’auteur de ces lignes n’est pas le seul à affirmer résolument, que des solutions existent et ont été proposées à maintes reprises, par maints acteurs du domaine.

Et si d’aucuns justifient la difficulté de résoudre cette surcharge, en expliquant que le budget alloué à l’Education est le deuxième dans l’échelle de l’Etat et ne peut être revalorisé de manière significative, pour mettre fin à autant d’insuffisances, d’autres rétorquent qu’il s’agit d’un problème de gestion et de rigueur avant tout, autrement dit de gouvernance scolaire, donc de compétences à tous les niveaux, afin de mieux disposer des ressources financières allouées ; mais cela est une autre histoire qui nécessite d’autres développements.

En somme, en dépit des ressources financières dégagées par l’Etat et de compétences humaines disponibles mais ligotées, l’absence de planification ou l’incapacité de réaliser des études prospectives, le bidouillage populiste vêtu d’une communication institutionnelle à l’emporte-pièce ne fera qu’exacerber le marasme. Sachant l’état peu reluisant du système éducatif, qu’est ce qui empêcherait la tutelle, avec l’arrivée d’un « nouveau » ministre, d’user de nouveaux propos empreints d’une franchise qui mobilise, en avançant des arguments plus convaincants ?

Rachid Brahmi

Renvois :

1. L’Algérie peine à remédier au chômage des jeunes

2. Pour une autre école, Monsieur le Ministre

3. LES PAYS CHAMPIONS DE L'ÉDUCATION : Moins de 16 enfants par classe au Luxembourg

4. L’impact des classes à faible effectif sur la réussite des élèves : rappel de trois études scientifiques..

5. Impact des effectifs par classe sur la réussite scolaire

6. http://piketty.pse.ens.fr/fichiers/public/PikettyValdenaire2006.pdf

7. Surcharge des classes, déficit en encadrement pédagogique et administratif : Ce qui mine le secteur de l'éducation à Oran

8. http://www.ieq.nat.tn/upload/files/Rapports/education_medpr_final_syn_finale-F.pdf

9. Bir El Djir : des parents d’élèves dénoncent le manque d’enseignants

10. Rapport accablant sur le secteur de l’éducation devant l’APW : Une surcharge de 70 élèves par classe

11. Taille des classes : voici les nouvelles normes

12. Réduire la taille des classes a des effets positifs durables

13. Liste des pays par production de gaz naturel

14. Liste des pays par production de pétrole

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Commentaires (6) | Réagir ?

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yacine AITLBACHIR

L ECOLE ALGERIEN A BESOIN D UN NETTOYAGE TRES PROFOND. DU MINISTERE A L AGENT DE SERVICE. ILS FAUT RADIER CES BISNESSMANS. A CHAQUE FILIERE SON DANS LE PROFIL. PAS DE BRICOLAGE. INGENIEURE OU TECHNICIEN QUOI FAIRE DANS L ENSEIGNEMENT?SI C N EST PAS UNE ARRIERE PENSEE DE BISNESSE. REOUVRIRE L ECOLE NORMALE POUR LA FORMATION D ENSEIGNANT POUR NOS UNIVERSITAIRE S. RETOURNER AU SYSTEME BILINGUISME POUR SORTIR NOTRE ECOLE ET NOTRE PAYS DU NOIR. LE DEFUNT FEU LACHRAF L A DIT. LA LANGUE ACTUELLE EST CHEMIN SANS ISSUE.. IDEM POUR NOS MOSQUE CES TERRO QUI DEVIENT IMMAM. ACCE ATOUS LE MONDE DE FAIRE DOUROUSSES NON IL FAUT AFFECTER DES INTELECTUELS A DERIGER CES MOSQUE ETANT DONNE IL SONT FONCTIONNAIRE ET NON IMMAM.

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chilmoune

Ce n'est ni un problème de surcharge ni un problèmé de manque d'enseignants. Il y'a assez de classe pour contenir les éleves, mais malheureusement ces classe sont dans un état délabre (table cassées, mur blanc sans aucune image, tableau gris, le plafond plein de points noirs) et

assez d'enseignant arabisants qui n'ont rien à voir avec le savoir et la pédagogie, ils ne pensent

qu'à leur intêret pour enseigner dehors des cours payants, pour moi ce sont des vouyous du ministere de l'éducation. Avec ces minables enseignants meme si vous faites des classes de 10 éléves le résultat sera le meme, le niveau restera toujours trés bas non reconnus par l'UNSECO.

Au japon on enseigne dans des classe de 100 éléves et le résultat est super. Alors que chez nous

au lieu de s'attaquer à la racine du mal de la langue arabe qui est la source de la décadence

de notre école on continue à tourner en rond autour des futilités.

L'arabe est une langue du colonisateur banou hilla, le francais aussi. Alors laissons les algériens

choisirent la langue la plus rentable pour leur école ? Si ces deux langues n'arrivent pas à donner

des résultats retournons alors à notre Amazighité, au moins avec cette langue du terroir si on avance pas on ne va pas incriminer les autres.

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