Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (I)

Hocine Aït Ahmed
Hocine Aït Ahmed

Pendant 28 ans, du 20 septembre 1962 au 12 juin 1990, la dictature du parti unique initiée par Ahmed Ben Bella, consolidée par le colonel Houari Boumediene et poursuivie par le colonel Chadli Bendjedid n’a pas permis au peuple algérien de choisir librement ses représentants légitimes. (Première partie)

Arrivés au pouvoir par la force des armes, les vainqueurs de la crise de l’été 1962 se sont succédé depuis un demi-siècle à l’exception de l’intermède de cinq mois et demi de Mohammed Boudiaf qui n’a jamais appartenu à leur coalition mais qui les a combattus. Toutes les consultations, tous les plébiscites et autres référendums organisés par les différents régimes n’avaient d’autres buts que de donner aux gouvernants du moment un semblant de légitimité. Et en matière de fraudes électorales, ces derniers ont grandement amélioré les méthodes scandaleuses de l’ancienne administration coloniale. Seule la Kabylie, avant même la proclamation du FFS, s’est distinguée du reste du pays en boycottant régulièrement tous les scrutins à commencer par le référendum constitutionnel du dimanche 8 septembre 1963. Le divorce entre cette région et le pouvoir central est donc apparu dès le lendemain de l’indépendance.

Durant cette longue période, le Front des Forces Socialistes (FFS) ainsi que les autres mouvements de l’opposition qui avaient combattu le régime, interdits, clandestins et réprimés n’ont pu s’exprimer. Il faut attendre la Constitution de février 1989 qui met fin au système du parti unique pour que des « élections » pluralistes, plus ou moins démocratiques puissent être organisées. En effet, afin de contrôler les institutions, les différents gouvernements ont depuis imaginé de nouvelles techniques de fraude qui leur permettent d’interdire à l’opposition d’accéder au pouvoir. 

Elections municipales du 12 juin 1990 : Le FFS boycotte le scrutin

Alors qu’elles s’annoncent libres, démocratiques et pluralistes pour la première fois depuis l’indépendance, les élections municipales et départementales sont boudées par le FFS. Ce choix incompréhensible avait à l’époque désorienté la base militante. Il découle d’une analyse erronée de la conjoncture. A une semaine du scrutin, Hocine Aït Ahmed déclare : « Ne tombons pas dans le piège du pouvoir. Les élections de juin n’ont qu’un seul objectif : rendre au FLN la légitimité politique et populaire qu’il a perdue. Le FFS ne sera pas complice de cette mascarade… » Le Nouvel Observateur du 31-05-1990

Ayant déjà fait une fixation sur les futurs législatives, le résident de Lausanne sous-estimait l’importance de cette consultation qu’il considérait comme mineure, voire inintéressante. Pour lui : «Les municipalités sont dépourvues de pouvoir politique et financier ; de ce fait, elles sont condamnées, soit à l’échec, soit à la dissolution par les walis (préfets) qui ont un pouvoir discrétionnaire dans ce domaine.» Revue Politique internationale n°19, automne 1990. Un an plus tard, le même éprouve encore le besoin de justifier sa décision de boycott. « Nous savons que les communes n’avaient pas de pouvoir et d’argent et que ce sont les walis (préfets) qui décidaient…» Horizons 13-03-1991. Comme nous le verrons plus loin, en 2002, il soutiendra exactement le contraire. 

A ces errements d’ordre politique, il convient de rappeler que le FFS se débattait alors dans une grave et interminable crise. En effet, au lieu de favoriser un libre débat interne pour permettre aux désaccords de s’exprimer, l'inamovible leader se cantonna dans une attitude de celui qui détient la vérité,  conformément aux "zaïmat" dont il ne s'est jamais départi. Comme à son habitude, il usa des manœuvres dilatoires pour évincer celui  qui fut pendant 27 ans un de ses principaux lieutenants, et un des principaux responsables de son maquis, Abdelhafid Yaha. 

Toujours est-il que l’absence du FFS à cette première compétition électorale démocratique a permis au tout nouveau parti de tendance berbériste à l’origine, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), créé en février 1989 et concurrent actif d’arriver largement en tête dans les wilayas de Bejaïa où il est majoritaire dans 31 communes sur 52 et de 44 sur 67 dans celle de Tizi Ouzou. Par contre, il n’a pas réussi sa percée dans la wilaya de Bouïra où il n’a  conquis que 6 sur 45. Le grand vainqueur de cette double élection, municipale et départementale, fut incontestablement le FIS puisqu’il a acquis  55% de l’ensemble des communes soit 66% des départements. D’ailleurs ce succès des islamo-intégristes semble satisfaire Hocine Aït Ahmed qui sous-estime la gravité du danger qu’ils représentent. Il y voit même un aspect positif. Pour lui, la victoire du FIS "exprime aussi une réaction morale contre le pillage sans retenue du patrimoine national, contre les malversations, le népotisme et l’arbitraire pratiqués par la nomenklatura au pouvoir." Revue Politique Internationale n°49, automne 1990.

Ainsi, entre la peste des généraux et le choléra des islamo-intégristes, le patron du FFS a choisi ces derniers.

Elections législatives du 16 décembre 1991 

Lors du Conseil des ministres du dimanche 29 juillet 1990, le chef de l’Etat, Chadli Bendjedid , a annoncé que les élections législatives pluralistes, les premières depuis l’indépendance, auront probablement lieu au cours du premier trimestre 1991. Dans cette perspective, il convient de procéder à la "révision de la loi électorale dans le sens de la rigueur dans le déroulement de la consultation et la liberté du choix des électeurs." El Moudjahid 31-07-1990.

Le premier à réagir à cette information fut le Front islamique du salut qui, depuis son score du 12 juin, a le vent en poupe. Par la voix de son porte-parole, Abassi Madani, il "explique sa satisfaction et a qualifié cette décision de sage" puisqu’elle satisfait une partie de ses revendications. Horizons 2-08-1990. Quant au leader du FFS, Hocine Aït Ahmed, qui avait décidé de boycotter les municipales jugées moins importantes, il avait d’ores et déjà fait savoir que son « parti participerait à ces élections législatives." Il ajoute cependant que "c’est le congrès qui en décidera en dernier lieu." Horizons 2-08-1990. Dès ce moment, l’exilé de Lausanne opte pour un rapprochement avec les islamo-intégristes dont il avait sous-estimé le péril. "L’intégrisme est à distinguer du FIS qui n’est autre qu’un parti politique", déclare-t-il à El Moudjahid 7-08-1990.

La grève pré-insurrectionnelle du FIS

De juillet 1990 à mai 1991, les leaders islamistes n’ont pas cessé de faire monter la pression en préconisant une gestion communale dans le cadre de la chariâ, en revendiquant des élections présidentielles anticipées, en prêchant un mode de vie importé de l’étranger et en multipliant des provocations de toutes sortes. C’est dans cette conjoncture tendue que le chef de l’Etat annonce le 4 avril 1991 que les élections législatives tant attendues auront lieu le 27 juin pour le premier tour et le 18 juillet pour le second.

Avant même que ces dates ne fussent arrêtées, Hocine Aït Ahmed avait déjà confirmé la participation de son parti lors du 1er congrès de celui-ci les 13, 14 et 15 mars. Malgré les irrégularités et les fraudes qui ont marqué le scrutin du 12 juin : "Nous ne pouvons pas ne pas participer parce que ces élections-là ont une signification politique. La prochaine Assemblée va voter des lois, désigner un gouvernement, ce n’est pas la même chose que les municipales dont les prérogatives sont limitées…" Horizons 15 et 16-03-1991.

S’agissant du FIS, boosté par le succès de ses meetings où il mobilise des milliers de personnes, il exige l’abrogation de la loi électorales et engage un bras de fer avec le pouvoir. Son porte-parole, Abassi Madani, appelle à une grève illimitée dès samedi le 25 mai. Le mot d’ordre est largement suivi puisque les rues et les places du centre d’Alger sont occupées par les militants et les sympathisants du parti islamiste. Le pouvoir réagit en faisant intervenir l’armée. Dès les premières heures de la matinée du 4 juin, celle-ci procède manu militari à l’évacuation des rues. Les affrontements violents se prolongèrent pendant plusieurs semaines. Le bilan, selon le premier ministre, est d'"au moins 55 morts et 326 blessés. Près de 3 000 personnes ont été inculpées". Horizons 1-08-1991.

Le 5 juin, Chadli Bendjedid proclame l’état de siège, reporte les élections à une date ultérieure et change de premier ministre. Sid Ahmed Ghozali, ministre des Affaires étrangères succède à Mouloud Hamrouche. Le lendemain, le couvre-feu est décrété à Alger ainsi que les trois départements limitrophes. Les principaux dirigeants du FIS Abassi  Madani, Ali Benhadj et Mohamed Saïd sont arrêtés.

Durant l’été, l’agitation islamiste s’estompe. Cette accalmie permet à Chadli Bendjedid de lever l’état de siège et de fixer le premier tour des législatives pour le 16 décembre. Le nouveau gouvernement de Sid Ahmed Ghozali promet qu’elles seront "loyales et transparentes". De son côté, le FIS, momentanément dirigé par Abdelkader Hachani, fait durer le suspense sur sa participation tout en incitant ses candidats à procéder à des formalités administratives. Quant à Hocine Aït Ahmed, ayant constaté que la politique de la chaise vide est contre-productive, il décide cette fois de ne pas laisser le champ libre à son « frère ennemi », Saïd Sadi. Son parti et lui-même s’y impliquent à fond. Le choix se révèlera payant.

Le FIS vainqueur du scrutin

Contrairement à ses prédécesseurs, le discours développé par Abdelkader Hachani apparaît moins radical. Il a même fait l’effort de l’algérianiser pour rassurer. Bénéficiant d’une bonne longueur d’avance sur ses adversaires, le FIS qui contrôlait alors plus de la moitié des communes lui permit d’agir sur le déroulement et le dépouillement du vote arriva largement en tête au premier tour. Prévu pour le 16 janvier 1992, le second tour n’aura jamais lieu. En effet, les déclarations menaçantes de certains dirigeants du FIS inquiètent une partie de la population qui ne souhaite nullement vivre sous une République islamique. Apparemment, sous l’influence du général Toufik, Abdelhak Benhamouda, patron de l’UGTA, syndicat unique au service des différents régimes, prit "l’initiative" de créer le comité national de sauvegarde de l’Algérie (CNSA) dans lequel on retrouve entre autres le parti de Saïd Sadi, le RCD.

Directement menacée dans son pouvoir et ses intérêts, la haute hiérarchie militaire décide purement et simplement d’annuler le second tour du 16 janvier. Les principaux généraux ont contraint Chadli Bendjedid à rendre son tablier. Le 11 janvier, "avec une heure de retard sur l’horaire habituel, le JT s’ouvrait sur ce qui serait la dernière allocution du président : visiblement sous le choc, celui-ci faisait part au peuple de sa démission." Mohammed Samraoui, Chronique des années de sang, p.138. S’ouvre alors pour l’Algérie une nouvelle page d’histoire faite de sang et de larmes. Vingt ans plus tard, elle n’est toujours pas refermée.

Ramdane Redjala
L'auteur est docteur ès Lettres, spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Il a écrit notamment L'opposition en Algérie depuis 1962 paru chez Rahma.

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Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (II)

Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (III)

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Commentaires (8) | Réagir ?

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anwa wiggi

Azul Fellawen,

Triste fin pour un homme qui combattu le colonialisme, la dictature arabo baatiste et finir par se coucher devant le système qu'il a combattu.

Il a détruit l'espoir.

Il a détruit le printemps.

Allez au diable Dda lho.

Dda lho n'est pas démocrate et s'il l'était vraiment, on verrait l'alternance au sein de son parti.

Président du FFS depuis 1962 à ce jour, où est l'alternance?

Qui sont les Amis de Dda Lho? Mehri, Hamrouche, Ali Haroun, Redha Malek etc... Que des démocrates!

Pourtant, j'ai soutenu la démarche et les principes défendus à saint Egidio.

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Massinissa Umerri

Allez voir si je suis ailleurs... Voila une autre cabale de mort-vivants... ben-bella, boutekhrika, ou abou-ahmed, ou la difference ?

Je vous conseille de faire du la-main-dans-la-main, est d'aller faire un tour chez la nouvelle pape... Mais faites attention, elle lave avant de lecher. Elle n'aime pas la moustache, meme si le a-genoux lui convient bien.

moins subtile: en 1963, j'apprenais a peine a marcher, aujourd'hui je suis a la tete de mon entreprise a a Wall Street - au centre du monde. Lyes Zerhouni une reference scientifique, Zizou un icone mondial, et beaucoup d'autres encore... dont ont besoin les algeriens, comme model. Tiens, Benchicou, un autre auteur dont aime parler le monde...

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