C’est bien Monsieur le wali...

C’est bien Monsieur le wali...

Cela fait longtemps que j’attendais ce moment. Maintenant que je suis député, le wali m’a invité à deux reprises.

Hier encore, il m’a convié à l’occasion de la fête de l’Aïd, à la traditionnelle cérémonie de vœux en présence des autorités militaires et civiles. Il m’a fait même une accolade. Je sais, je suis né pour être un chef. Je n’ai jamais lu un livre dans ma vie comme je n’ai jamais su ce que c’est que la ligne du parti pour lequel les services m’ont recruté. Mais, je sens que j’appartiens à la race des grands. Quand je suis né, mon père ne donnait pas chère de ma peau, alors que ma mère n’arrêtait pas de pleurer tant rien ne me distinguait d’un rat dans les songes qu’elle faisait.

Pour revenir à la cérémonie, le général m’a donné une poignée de main chaleureuse devant le regard complice du wali. Il a fait la même chose avec tous les autres députés. J’avoue que cela m’a rendu un peu jaloux. Après le thé et les gâteaux, nous avons bavardé de la situation dans la région.

"Vous savez, les Kabyles refusent de nous aider. Nous avons tout fait pour aider cette région mais ses habitants ne nous reconnaissent aucun mérite", dira le général avec un air pensif.

Mais nous sommes là mon général, nous allons vous aider, lui ai-je répondu.

C’est alors que j’aperçus un sourire plein d’assurance et de reconnaissance sur le visage du colonel du CTRI.

"Nous ne craignons pas l’Aqmi Avec le concours précieux de la presse, nous maîtrisons parfaitement la situation sécuritaire. Pour l’instant ce qui nous agace, ce sont tous ces électrons libres qui refusent de se structurer et de manger dans notre main. Ce sont des militants intellectuels en mouvement. Or, le mouvement nous déstabilise", explique le colonel.

Pensez vous à quelqu’un mon colonel ?

"Oui ! Vous connaissez ce Radjef ? Je pense qu’il est de votre région."

A ce moment là, j’ai compris que mon heure de grimper sur le podium a sonné.

Non, mon colonel, ne vous en faites pas. Je vais m’occuper de ce chômeur. Je vais vous débarrasser définitivement de cet énergumène.

Notre chef disait souvent que derrière la mort d’un Kabyle, il y a toujours un Kabyle. Nous appartenons à la race des esclaves. Faire du mal gratuitement, cela fait partie de notre nature.

"Alors dans ce cas, fit le colonel, allez y doucement. Ce garçon est très intelligent. Nous le connaissons bien."

Avant de nous séparer, le général me fit signe d’approcher. Il me passa une autre accolade et dit :

"Dites Monsieur le député, faites quelque chose pour nous ; faites taire toutes ces rumeurs qui nous accablent et qui courent à longueur de journée sur notre institution."

"Les Kabyles sont tous des corrompus en puissance, mon général. Avec un peu d’argent, vous les achèterez toutes et tous".

J’ai l’impression d’être un bachagha, en parlant ainsi…   

Saïd Radjef

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Commentaires (8) | Réagir ?

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Quelqun EncoreQuelqun

Vous re-voilà dans vos oeuvres monsieur Radjef ! Je croyais pourtant que vous vous étiez mû en Grand Reporter de Guerre, actualité (surtout kabyle) oblige bien sûr.

Mais comme l'on arrive rarement à chasser "le naturel", c'est avec plaisir que nous recevons cette tranche de vie à l'algérienne qui, d'un point de vue esthétique, aurait mérité un peu plus de "plantage" de décor, de description... afin de créer ou de susciter ces sensations "bizaroïdes" que sont généralement l'identification, la compassion, la révulsion chez le lecteur.

Le récit n'en reste pas moins fluide, et les dialogues quelque peu aseptisés au regard des échanges entre "gradés" habituellement plus "rentre dedans" et sans pincettes.

Le message, lui, est direct et sans trop de détours: vous auriez même pu évoquer au détour d'une anécdote ou à travers les répliques de vos personnages l'assassinat de Abane ou celui de Krim...

Quoi qu'il en soit, un peu de rêve dans ce monde de brutes ne fait de mal à personne! Laissons alors les analystes analyser, les reporters rapporter, les commentateurs "commentater"... et à bientôt dans un nouvel aparté!

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ali chemlal

Lorsqu'avec 100 voix on est élu député, accepter de siéger a l' A P N, sans aucune honte, c'est du mépris a l'égart des citoyens, lesquels le considérent a leur tour un traitre a la nation.

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