Sarkozy, Jean Daniel et le secret du 3e mandat (5e partie)

Bouteflika et ceux qui l'ont ramené est une longue histoire de coups de dagues.
Bouteflika et ceux qui l'ont ramené est une longue histoire de coups de dagues.

Il s’est présenté sous le costume de "l’homme de paix", celui qui voulait faire descendre les terroristes des maquis. La concorde civile dans une main, seif el Hadjadj dans une autre pour faire la paix avec ces groupes islamiques armés qui ont semé la terreur.

Bien sûr, au lieu du seif El Hadjadj pour les terroristes récalcitrants, on a droit au tapis rouge déployé pour les narco-terroristes d'Ansar Dine cet été et à du "Monsieur Hattab" qui restera dans les annales des "déclarations d'amour" d'un président à un chef sanguinaire.

Malheureusement du sang coule toujours sur cette terre d'Algérie. Et de cette posture réconciliatrice, ne reste qu’un texte qui absout les crimes des assassins. Sans la justice. 

6 septembre

Ce jour-là parvint de Batna le secret de Chaplin : s’il a pu tant nous faire rire en pastichant Al Capone, Bugsy Siegel ou Lucky Luciano, c’est qu’il y avait, dans les luttes de clans, un côté burlesque tout à fait insoupçonnable que seuls savent capter  les artistes de talent.

Aujourd’hui encore, Robert de Niro en campant dans Mafia blues, le rôle d’un caïd de la pègre dépressif et Silvester Stallone, un parrain pas très dangereux aux prises avec les caprices de sa fille dans Oscar, finissent de nous convaincre que  la grande famille du crime organisé pouvait, finalement, être aussi drôle que les Simpson.

C’est dire qu’il manquait ce jour-là, une caméra d’artiste à Batna.

L’image y était exceptionnelle et le propos rarissime : la première phrase que prononce un président de la République qui vient d’échapper à un attentat planifié par un "repenti". Celle-là : "Je ne renoncerai jamais à la réconciliation nationale !"

Chaplin n’y aurait pas pensé !

Bouteflika répondait, en langage codé, au clan d’en face et bouleversait, du même coup, les règles du burlesque. Dans quel genre de loufoquerie cataloguer cette mémorable proclamation ?

Dans le théâtre, on avait inventé comédie, vaudeville, bouffonnerie, parodie, burlesque, sketch, pastiche, satire, clownerie, arlequinade, facétie… J’avoue, n’ayant pas le don de Chaplin, éprouver de la difficulté à classer la grotesque sortie de Batna. Ah ! Peut-être dans la pantalonnade, qui n’est pas ce que vous pensez mais, dans le théâtre italien, une posture comique assez drôle dans laquelle excellait le pantalon, qui n’est pas non plus ce que vous pensez, mais un personnage du théâtre vénitien qui porte traditionnellement cette sorte de culotte et qui a laissé son nom pour désigner un homme sans dignité et sans consistance !

Depuis, on a même su que "pantalonnade" veut dire, en même temps que ce que vous pensez, subterfuge grotesque pour sortir d’embarras. Alors, je crois bien que, faute d’antécédents dans le genre théâtral, l’on soit obligé de rapprocher la phrase de Batna d’une pantalonnade tout à fait remarquable d’adresse et d’inventivité et dont on rirait volontiers si elle n’avait fait une cinquantaine de victimes.

Quel espiègle et hardi président avons-nous ! Hardi, vous avez dit hardi ? Ah ! Mais voilà tout l’avantage de la pantalonnade : elle se décline d’elle-même en précédents burlesques et, sans que vous ne l’y attendiez, vient mettre un nom aux protagonistes pour soulager votre mémoire. Il ne manquait plus dans cette saynète aurésienne interprétée par un hardi président qu’un Laurel "égaré", têtu, gaffeur, terroriste certes, mais so friendly, tellement sympathique, qu’on lui pardonne tous ses meurtres comme on les pardonnerait à son propre fils. Cela tombe plutôt bien : le terroriste "égaré", auteur de l’attentat, se nomme Oualid.

Rien de toute cette loufoquerie n’aurait vu le jour si l’apostrophe du miraculé président n’était empruntée au langage de parrains et ne s’inscrivait dans la sourde rivalité qui opposait, à Alger, deux gangs au pouvoir. La lutte algéroise des clans, comme la guerre des gangs new-yorkaise, avait, heureusement, ses vertus désopilantes, ses Donnie Brasco et ses Don Corleone.  Le "Je ne renoncerai jamais à la réconciliation nationale !" s’adressait aux ennemis de Bouteflika, bien sûr, ceux-là même qui forment le gang d’en face et qui l’empêchent depuis 14 mois de réviser la Constitution.

Pour comprendre l’intrigue de cette tragi-comédie mafieuse, retour sur la semaine qui l’avait précédé.

Nous étions à la fin du mois d’août 2007 et le chef de l’État venait, en cavalier seul, de donner un brusque coup d’accélérateur au pacte avec les intégristes : il accorda aux anciens du Front islamique du salut (FIS, dissous) et à ceux de l’Armée islamique du salut (AIS), le droit de revenir à la politique, contredisant ainsi les lois du pays. Son négoce était clair : obtenir coûte que coûte le cessez-le-feu et se faire consacrer comme l’homme de la paix auquel le troisième mandat serait tout destiné. Les chefs de l’AIS se sont engagés, en effet, à "persuader" leurs amis terroristes encore actifs d’abandonner les maquis. Dès juillet, ils font parvenir, au nom du président Bouteflika, un "message de paix" aux émirs du GSPC.

En contrepartie d’une si louable prestation, les dirigeants intégristes recevraient carte blanche pour créer un "nouveau FIS".

Mais, comme avec Sarkozy, Bouteflika avait violé la loi de la famille : le consensus. Une grande partie de la hiérarchie militaire désapprouvait cette transaction machiavélique, funeste pour le pays, aventureuse pour eux.

Les généraux ne sont pas les seuls à grogner. Al-Qaida, par la voix de son représentant au Algérie, Droukdel alias Abou Mossaab Abdelwadoud fait savoir le  28 août 2007, qu’elle rejetait l’appel "à déposer les armes" que lui avaient lancé le pouvoir par le biais déguisé de l’émir national de l’ex-Armée islamique du salut (AIS), Madani Mezrag.

La riposte était imminente.

Elle viendra sous la forme d’une première mise en garde sanglante : le 14 août, une bombe déchiquette la voiture d’un proche de Mezrag, le chef islamiste Mustapha Kertali, ex-émir de la phalange (katibat) Errahmane. Il en sort vivant mais perd une jambe. "Cet attentat, c’est  un message d’avertissement adressé par les ennemis de la réconciliation", dira-t-il sur son lit d’hôpital.

Alors, avec une ruse de diablotin, et comme pour rendre irréversible le pacte avec Bouteflika, Madani Mezrag le rend public le surlendemain 16 août, en conférence de presse, et annonce la création prochaine d’une nouvelle formation politique qui succéderait au FIS. "Des droits politiques et civils nous ont été accordés dans le cadre de l’amnistie, et notamment la participation aux élections, et ces droits inquiètent déjà certaines personnes influentes au pouvoir, qui cherchent à nous barrer la route. Nous concrétiserons ce projet s’il le faut sans l’approbation du ministre de l’Intérieur", ajoute-t-il, laissant entendre l’appui direct de Bouteflika.

C’est là qu’entre en scène l’auguste baladin qui va redonner son lustre au vaudeville : le Grand Vizir Yazer.

Le Grand Vizir hérite, en fait, dans cette foire d’empoigne, du rôle ingrat de greffier gaffeur. Instruit par Bouteflika, il se résigna à confirmer, le 2 septembre, les propos de Mezrag : "Les activistes de l’Armée islamique du salut dissoute, qui ont fait part de leur intention de revenir à l’activité politique dans un nouveau parti, peuvent présenter leurs dossiers !"

Bien que rien ne surprenait plus de la part d’un personnage aussi lourdaud, les propos du Grand Vizir Yazer jetèrent le trouble au sein de l’opinion.  Ils sont, en revanche, chaudement accueillis par les dirigeants du parti dissous. « Grand Vizir Yazer a agi en tant qu’homme d’État qui respecte la loi et la Constitution ainsi que le droit des citoyens à s’organiser dans un cadre légal » déclare aussitôt Madani Mezrag à El Khabar.  

Les choses s’accélèrent et deviennent limpides. Mustapha Kertali, qui avait survécu à un attentat quelques jours auparavant, reçoit une lettre de sympathie de Bouteflika. Bien qu’Al-Qaida ait revendiqué l’opération contre lui, Kertali regarde ailleurs : "Al-Qaida a peut-être perpétré et revendiqué l’attentat mais les bénéficiaires de cet acte sont ailleurs."

À quelle heure de la nuit les "parrains d’en face" ont-ils fait à Grand Vizir Yazer "une proposition qu’il ne pouvait pas refuser" ?

Le mardi 4 septembre,  fidèle à sa renommée, le ministre se rétracte à partir de Jijel, déclarant devant des journalistes ébaubis : "Tout retour des responsables du parti dissous sur la scène politique est exclu. Ceux qui évoquent aujourd'hui le retour des anciens responsables du FIS à l'activité politique semblent oublier que la plaie du terrorisme est encore ouverte".

La pirouette fit rire tout Alger. "Si ça continue comme ça, on va finir par attraper un vilain rhume ou pire une méchante grippe ou pire encore, une angine carabinée, se gausse le chroniqueur du Soir d’Algérie, Hakim Laâlam. M’enfin ! Arrêtez de fermer et d’ouvrir cette porte du FIS sans arrêt !".

Deux jours plus tard, un attentat suicide est perpétré à Batna où se trouvait Bouteflika. 

On y dénombrera une cinquantaine de morts. Le kamikaze s'était joint à la foule qui attendait l'arrivée du cortège présidentiel. Mais, selon des témoins, découvert par la population, il a précipité son action et fait exploser sa bombe au milieu de l’assistance.

Le président est alors intervenu en direct sur plusieurs chaînes de télévision, lançant sa fameuse parabole : "Je dis à ces criminels qu'il n'y a aucune issue possible en dehors de la réconciliation nationale".

Les initiés comprennent : il visait les parrains d’en face.

L. M.

Sources diverses

Plus d'articles de : Notre feuilleton : Révélations sur Bouteflika

Commentaires (1) | Réagir ?

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kamel ait issi

Vous savez, j'ai eu mon independance quand je me suis installe' dans un pays Anglophone... La Kabylie c'etait lent, l'algerie c'etait la mort, et la france... la torture... Je parle des cultures et de la communication.

Desole', je n'ai pas pu finir l'article. Le cinema bouteflikien aussi con qu'il semble, fait de nous tous des exile's et pour lui et les siens un bon paquet - ca paie et ca paie bien.

On ferme les APC et les Dairas partout - Un jour, ca se fera partout le meme jour, et ca ne durera que quelque jours - Pourtant il suffirait d'une enttente pour ces fermetures se transforme en une vraie revolution. Mais pour cela, il faudrait pouvoir communiquer, pour synchroniser - et, de ces fermetures generer des assemble'es regionale et une nationale. Ce jour-la, la nation algerienne naitra, peut-etre.