Algérie : ramadhan Léviathan

Les Algériens ont vécu l'un des plus stressants mois de ramadan.
Les Algériens ont vécu l'un des plus stressants mois de ramadan.

"Le privilège de l’absurdité est réservé à la seule créature humaine." Thomas Hobbes (in Léviathan, I, 5)

De tous les phénomènes en Algérie, celui du ramadhan du point de vue du risque sur tous le périls possibles et imaginables est à considérer dans le besoin de la nécessité des plus urgentes afin de le traiter sur le plan de la plus haute sécurité nationale.                    

Tout individu algérien ou autre vivant en Algérie durant le mois "sacré" du ramadhan est en danger de mort. Oui, il – ou elle – risque sa peau dans le vrai sens du mot même à la maison étalé dans son lit en train de regarder la télévision ou lire quelque chose en attendant l’appel de la rupture de jeûne. Tout le monde peut crever de n’importe quoi par n’importe qui, à n’importe quel moment de la journée. Le gaz peut exploser, la maison s’inonder, l’électricité cramer à partir d’une flaque d’eau dans la salle de bain ou la cuisine, mais périr aussi empoisonné par un aliment acheté pour le ftour ou durant la soirée pour le s'hour. Car une stricte responsabilité quelque part aura été omise par la faute du jeûne, cette "circonstance atténuante" qui rappelle en plus grave et pernicieux l’état d’ivresse en vacation professionnelle.

Vous pouvez vous réveiller le matin avant l’heure sur le fracas de votre porte par une brigade des forces spéciales et tomber en crise cardiaque, raide comme le macchabée. Parce que les enquêteurs se sont trompés d’adresse ou que le tuyau de l’informateur était bidon. Vous regardez un bus stationné tranquillement et vous vous dites, okay,  je traverse, et au deuxième pas sur la chaussée il vous écrase, comme si son conducteur se rappelle-t-il soudain qu’il faille qu’il se fût écrit que ce soit lui l’origine de votre article. 

Le premier jour du ramadhan vous allez au marché très tôt espérant liquider vite parce que vous êtes parmi les premiers rares clients de la matinée. Mais en arrivant vous voyez la foule devant vous qui vous explique que toute la commune a eu la même idée que la vôtre. Il est huit heures du matin mais il faut que vous débutiez par le nécessaire de la chorba et donc vite vers le hchaouchi (le marchand de persil, de coriandre, de céleri, de lavande, et cetera.), cependant, il faut que vous vous mettiez sur la pointe des pieds pour voir ce qu’il étale comme fines herbes et à quels prix. Le bouquet double avec la moitié du volume, mais tant pis "la chorba c’est la chorba et le ramadhan sans chorba n’est pas un ramadhan !" Puis dare-dare vers les légumes, toujours jouant de coude et arrivé toujours sur les orteils. La courgette qui était l’avant-veille à 40 dinars, la plus racée, est à 120, la carotte de 25, 30 ou 35 passe à 80 sec. Et ainsi de suite pour les fruits et les viandes, même pour le congelé.

Il est neuf heures, vous en avez fini avec le marché, les quatre sachets plastiques bien répartis au bout des bras et vous pensez : "Le pain on verra ça après la méridienne !" quand vous entendez quelqu’un dire à une vieille dame que le camion Bettouche vient juste d’arriver avec sa cargaison de lait. Mais vous ne savez pas auprès de quel revendeur il va déposer le premier lot et celui qui a craché le morceau est hélas maintenant anonyme dans la mêlée qui s’agite dans la proximité du marché. Si vous êtes parmi les plus intelligents qui possèdent le mobile de tous les "alimentation générale" alentour vous pouvez vous tirer d’affaire. Bref, vous êtes sur le chemin du retour vers chez-vous et vous faites votre comptabilité de vos achats par rapport à votre budget – en général en Algérie, quand on dit budget, on ne référencie pas  rubrique le budget de la bouche, le budget, des factures, les dépenses diverses, le budget pour le travailleur se résume à ce qu’il a de disponible comme pognon chez soi en liquide ou dans le compte. Et vous êtes angoissé car vous venez de dépenser le quinzième et vous venez de toucher votre mois depuis deux jours seulement. Vous ne pouvez pas compter sur la prochaine paye parce qu’il y a les grands frais pour l’Aïd et la facture de l’électricité et le gaz qui arrive en même temps, mais pieu que vous êtes vous vous dites avec toute la sériosité de la conscience crédule "kayen rabbi !".

Le seizième jour, il fait une chaleur à ne pas laisser sous le soleil son pire ennemi. Mais entre quinze heures, quinze heures trente vous devez vous présenter devant la porte du boulanger et les dix degrés Celsius supplémentaires avant votre tour de prendre vos pains. Seulement personne, ni à la radio ou à la télévision, ni dans les journaux n’annonce un délestage et à votre retour, vous êtes accueilli à la température de Jéhenne dans vos murs et dans l’esprit des membres de votre pauvre famille. "Si au moins le voisin n’est pas coupé au moins qu’il nous rafraîchisse deux petites bouteilles pour le gosier à la rupture du jeûne !" vous assène la bourgeoise, le lendemain à la même heure lorsque vous revenez sans les quatre pains parce que le rotatif de la boulangerie ne fonctionne qu’à l’électricité. Et vous pensez qu’elle vous suggère l’autre voisin qui possède les groupes électrogènes et avec qui vous êtes embrouillé, alors vous vous mettez à la haïr parce que, là, vous êtes certain qu’elle cogite qu’il est plus capable, plus "dargaz" que vous.

Le dix-huitième jour, ce n’est pas la bagarre pour la primauté de la salle de bain qui vous réveille mais les blasphèmes de ne pouvoir la prendre du tout car le 1594 appelé vient de répondre que l’eau ne sera pas disponible de sitôt, qui pourrait être dans 24 heures ou une semaine. Les châteaux d’eau sont pleins mais il n’y a pas d’énergie pour faire bouger leur contenu dans les circuits de distribution. Mais philosophe, vous vous dites qu’il reste quand même le gaz, mais cette fois vous tombez dans la détresse la plus psychique qui soit. Le gaz, ah ! cette bonne blague ! c’est de par lui que tous les malheurs de l’Algérie arrivent. Et vous vous engagez dans la mémoire du passé, à l’indépendance où les fontaines coulaient à flot dans la ville où les coupures étaient averties d’avance et pour de très courtes durées le temps de quelque travaux sur le voie publique ;  mais le silence dans le quartier ne dit rien qui vaille, alapapap ! quelque chose se prépare et vous sortez de la cuisine pour vous en inquiéter ensemble avec votre épouse – les enfants qui ont veillé très tard, dorment encore. "Ils sont silencieux parce que tu ne peux les écouter, ils sont déjà quelque part en train de remplir leur jerricans !" Elle a certainement raison mais qu’elle vous diminue encore plus car vous n’avez pas de bagnole. Mais vous ne vous laissez pas abattre, heureusement il y a la liste du répertoire dans le portable. Sur la dizaine d’appels répondus, trois sont concrets qui vous disent que les stations d’essence débordent mais qu’ils peuvent vous dépanner quand même d’un petit jerrican de cinq litres. Mais ils vous informent aussi d’émeute ça et là vers les services des autorités concernées et ça vous réconforte en pensant que le Gouvernement ne va pas tarder à réagir sous la pression.

Mais qu’à cela ne tienne pour l’instant il faut maintenant aller au charbon des emplettes ne nécessitant pas un gros usage d’eau. Dans sa petite gueule de la déconfiture la bourgeoise suggère une pizza, c’est-à-dire juste une pâte et quelques ingrédients et le tour est joué, ça n’a pas besoin de pain. Au lieu de la viande qui n’a pas sa raison d’hygiène d’être pendant ces journées vous pensez aller droit vers les fruits, qu’importe le prix c’est toujours beaucoup moins cher que la protéine animal et ça fera de l’économie sur le peu d’argent qui reste. Erreur, cher Watson, les marchands ne sont pas nés de la dernière pluie, les prix ont doublé. Mais vous achetez quand même du raisin, de la figue et un gros melon – vous évitez la pastèque car vous avez lu dans la Toile qu’on l’irrigue à l’"égout" dans les périphéries des villages. Ah ! les bougies ! il n’en reste pas grand-chose à la maison. Des quatorze quincailleries et épiceries, un seul en dispose mais en sous-main, à cinq fois le prix, toutefois assuré pour l’éclairage durant trois nuit, heureusement pour vous, c’est au moins cela de gagné, vos nuits estivales sont courtes.

Depuis longtemps vous n’avez pas acheté un journal papier mais cette fois vous n’avez pas le choix vous passez chez le buraliste et vous en choisissez  quelques uns. Les Unes font des déclarations de guerre et ça vous fait de quoi épuiser la moindre lueur de jour avant la frêle flamme de la petite chandelle. Mais attention ! un groupe s’éjecte du bureau de tabac en heurtant le présentoir de presse qui s’écroule. Vous ne savez pas qui frappe et qui reçoit les coups. Les uppercuts, les coups de tête et coups de savate s’emmêlent et du sang gicle dans les vêtements et sur les peaux en sueur et vous en avez aussi sur une main. Vous vous tâtez pour voir où vous avez été touché, tandis qu’une épée jaillit en l’air face à deux morceaux de barre quatorze. Vous tournez sur vous même pour fuir le danger mais une barrière de badauds vous empêche de faire un pas. Le sabre continue de scintiller au-dessus des têtes mais l’une des torsadées a atteint sa proie qui tombe à genoux et celui qui détient l’autre reçoit un madrillet sur l’épaule. Et la foule qui vous pousse vers la rixe vous fait pour l’éternité dégoûter la chanson d’Edith Piaf. Vous vous demandez pourquoi la police tarde à rappliquer au moment où un gourdin  derrière vous frôle votre oreille pour rejoindre le combat et ce soudain renfort vous ouvre un passage salutaire qui vous permet de vous extirper de l’arène. Vous vous en foutez éperdument des causes de cette sanglante empoignade en train de faire mort d’homme ou blessés à vie. Vous avez la vie sauve et les fruits au complet dans les mains, même si en rentrant vous trouvez le gaz coupé.

Vous cassez au raisin et à la figue, en paix, car au moins déjà vous vous habituez à regarder le crépuscule les yeux dans les yeux, sans les haut-parleurs.  

Nadir Bacha

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Commentaires (6) | Réagir ?

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khelaf hellal

Et surtout n'essayez pas d'avoir des nouvelles fraîches tôt le matin du Ramadhan car vous ne trouverez aucun buraliste d'ouvert avant 11h -Midi et ne vous faites pas prendre pour un con en vous auto-suggérant que le bonheur appartient à ceux qui se lèvent tôt parce-que vous serez énormément déçu et que rien ne peut présager un telle éventualité quand toute la ville somnole jusqu'au zénith du soleil et vous rappelle que que rien ne sert de courir, l'essentiel est de se réveiller à la table de rupture du jeûne ou vous ne trouverez pas un chat dehors.

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khelaf hellal

Et lorsque vous circulez la nuit en ville vous vous rendrez compte qu'un luminaire sur 10 est allumé pour soit-disant assurer l'éclairage public des voies de circulation et meme sans délestage c'est tout votre parcours qui est dans le noir et sans traçage bien des fantômes de lampadaires double ou triple crosses existent bel et bien droits sur votre route pour vous narguer de si haut. Nous sommes le seul pays au monde ou les installations d'éclairage public sont refaites tous les cinq ans pour vous abandonner au 1/10ième de leur puissance d'éclairage et ce sans délestage Sonelgaz, c'est ce qu'on peut appeler le délestage forcé par carence d'entretien ou par sous-dimensionnement des réseaux réalisés à tel point que vous compterez plus d'étoiles au ciel que de lampes allumées sur certains tronçons de circulation en ville.

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