L'Aïd des harragas

Au moment où une vingtaine d'adolescents a été arrêtée au large des côtes d'Annaba, le régime politique en place a mobilisé tous les médias pour l'annonce du jour de l'Aïd et la préparation de la Grande prière retransmise en direct par tous les canaux...

A la veille de l’aïd, pas moins de vingt quatre "harragas" ont été interceptés par les garde-côtes d’Annaba à bord d’une embarcation de fortune, des adolescents pour la plupart, vers les îles d’en face. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’il devient, pour le régime de Bouteflika, un acte criminel, à défaut d'ouvrir les horizons de liberté, du travail, de l’épanouissement. D’autres, du même âge, nés au début de la décennie noire, grandis dans les carnages, les viols, les flots de sang, la violence au quotidien, écument les rues d’Alger et des grandes agglomérations du pays, munis de sabres, de couteaux, s’en prennent au citoyen, créent un climat d’insécurité qui scandalisent l’honnête citoyen et se signalent dans la presse en un flot de faits-divers à leur actif.

Pour les responsables, face à cette "escalade" de la violence – mais quelle violence ? – les autorités rassurent. Comme elles rassurent sur la quantité du blé dur ou tendre importé pour une survie de trois mois. Le pays ne connaît pas une augmentation de cette violence des mineurs. Elle est comme le terrorisme "en régression". Mais comment se plaindre de ces violences urbaines de la part de ces adolescents qui ne connaissent de l’Algérie que celle de l’islamisme politique et de ses bras armés, qui n’ont pour seuls repères culturels, que la haine, la vindicte,  l’inquisition et de la destruction ?

Cette violence-là est d’abord et avant tout générée par le pouvoir, le régime en place qui a légitimé l’hécatombe dans laquelle ceux qui sont qualifiés de "voyous" aujourd’hui ont appris que, égorger, violer, massacrer des populations sans défense sont des actes "héroïques" puisque leurs auteurs ont été absous de ces crimes et craints. Ces adolescents "voyous" en plus d’être des victimes en maturation sont confrontés quotidiennement, dans leur lycée, quartier, rue, à la culture de cette impunité des terroristes sanguinaires reconvertis dans les affaires, recrutés dans les mosquées en tant qu’imams ou dans les établissements scolaires où les enseignants ayant rejoint ou servi de soutien au GIA et au GSPC ont été rétablis dans leur poste et titularisés. Ils observent et se rendent compte avec toute l’acuité et le ressenti de la révolte que peut éprouver un adolescent ou une adolescente, le renversement des échelles de valeur. L’instruction, le savoir, le mérite dans le travail, l’honnêteté, tout cela ne paie pas ; ce sont des repères cassés, brisés, abscons. La rapine, la corruption, la fausse dévotion, les allégeances sordides sont promues et constituent, pour le pouvoir politique en place, le mode de gouvernance, la nature de son système même.

De fait, ces adolescents qui prennent le large ou qui se constituent en bandes organisées sont le produit de la concorde civile de Bouteflika qui a mis à genoux l’Etat, l’a perverti et ouvert la voie à toutes les violences possibles puisque celle du ventre idéologique du terrorisme islamiste est au cœur du système politique qui se construit toujours non pas seulement sur le mensonge mais sur la fausseté historique.  Alors, les autorités arrêtent ces adolescents "harragas" qui remplissent les tribunaux, livrent à la vindicte populaire des "non-jeuneurs", des "non-pratiquants", ces "petits-voyous-mal-éduqués" qui menacent la tranquillité de paisibles citoyens et se fait fort d’apparaître comme un Pouvoir "protecteur", "jeûneur", "pratiquant".

Au moment même où cette vingtaine de jeunes algériens a été arrêtée au large des côtes d’Annaba, Bouteflika s’apprêtait à mobiliser tous les médias, radios et chaines de télévision de l’Unique pour la Grande prière de l’Aïd, adresser un message de condoléances au roi du Maroc pour lui présenter ses condoléances suite au décès de sa tante et attendre, dans la ferveur feinte, que le Haut comité islamique tranche sur ce jour de l’Aïd et jour de "harga". Et les médias de Bouteflika de se mobiliser 24h/24h pour être à ce rendez-vous insipide, dénué de sens et surtout de "réconciliation", mot-maître du concepteur de la politique du même nom. Au temps où Jean El Mouhoub Amrouche écrivait dans Etoile filante : "Ces enfants en aller vers les pays de l’or et du travail facile", le septennat et quelques années de plus de la guerre de libération avait produit à l’indépendance une ruée de jeunes, de ces jeunes maquisards vers le pays de l’ennemi en quête de travail et de dignité. Un demi siècle plus tard, le vers prophétique de l’auteur de L’éternel Jugurtha résonne toujours dans la tête de ces adolescents embarqués par la même Histoire…

R. N.

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Commentaires (1) | Réagir ?

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madjid ali

Laissez les gens partir pourquoi les garder dans un pays de merde.