Algérie : business et calculs dans la Rahma

Le couffin du ramadan est un business qui cache des détournements.
Le couffin du ramadan est un business qui cache des détournements.

"Vous voulez les pauvres secourus-, je veux la misère abolie." (1)

On raconte qu’un roi dont le fils unique dépérissait de jour en jour d’un mal mystérieux alla voir un Sage qui lui conseilla d’échanger la chemise du prince avec celle d’un homme heureux. Il chercha ce dernier partout et quand enfin il arriva à le coincer, il constata horrifié que l’homme heureux n’avait pas de chemise…

Le couffin au sens propre du mot n’existe pratiquement plus chez nous. Ce symbole d’un savoir-faire ancestral ne représentait pas seulement un contenant pour nos aliments mais aussi une cohésion sociale basée sur la générosité. A l’occasion du mois sacré d’une visite d’une fête religieuse, on l’offrait rempli de sucre café dattes œufs gâteaux galettes henné etc. De même les sultans beys deys caïds et tous les raïs devaient trouver le concept bien juteux pour graisser la patte de leurs subordonnés laver leur conscience et s’assurer d’une bonne place au Paradis. C’était le temps de l’esclavage d’avant la révolution des misérables qui a donné naissance aux droits de l’Homme, à la confection d’un tissu social, à la fabrication de l’argent papier, à la modernité avec ses moyens de communication, ses institutions étatiques telles la poste, la banque et l’apparition bénie du chèque. Nos politiciens nourris aux fables des Mille et une Nuits et du génie Azza wal Karama, ne pouvaient rater une telle aubaine. Eux, les experts dans l’utilisation de nos symboles les plus chers pour en faire de la pâte à modeler.

L’énigme du couffin ramadanesque est de la même texture que celle de nos billets de 200 dinars, pourris mais indétrônables. Si le diable est dans le détail comme on dit, le bon Dieu est dans la forme. Diviser les pauvres pour s’en servir ça mérite un prix Nobel de la Trouvaille. Certains auront des logements sociaux d’autres pas ; certains auront le couffin du ramadan d’autres pas... Car le problème chez nous c’est qu’il y a beaucoup de pauvres et le système n’arrête pas d’en fabriquer tous les jours à la vitesse de l’éclair. Soyons honnête, il fabrique aussi des riches mais ils les gardent pour lui. Parce que nos riches c’est le système, nos riches s’arriment au système, nos riches s’adaptent au système ; en dehors de lui, c’est la damnation. Des petits malins ont voulu jouer les perturbateurs, intellos cadres artistes et tous ces utopistes qui se sont retrouvés marginalisés persécutés forcés à l’exil et dont certains se sont réveillés sur le pavé parisien sauvés par un Resto du Cœur pour avoir bêtement suivi ce conseil : "La tâche de l’intellectuel n’est pas de séduire, mais d’armer (la conscience)" (2) Seulement dans la France d’aujourd’hui comme dans l’Algérie d’hier, l’aumône tire (tirait) sa baraka des impôts d’un savoir-faire des dirigeants d’un génie militaire d’une razzia du travail des esclaves, en un mot des idées. Mais quand elle vient d’un héritage usurpée, d’une rente confisquée, le couffin annoncé en grandes pompes avec bendir et youyou sent l’arnaque, la maffia sans le "prestige" du parrain. "De sa barbe on l’encense."

On sait que durant cette période, on "solde" la marchandise périmée et avec le couffin du meskin, c’est du bénéfice à domicile. Qui n’a pas été arnaqué en ce mois d’abstinence où tout ce qui rentre dans la poche de l’un ne fait pas toujours le ventre de l’autre, même les nourrissons en pâtissent. L’exemple de ce bébé de 8 mois mort récemment à cause d’un yaourt à l’Est du pays. Les sages vous le diront, il faut éviter le yaourt pendant la canicule à cause des pannes de courant mais aussi d’une date limite qui peut en cacher une autre comme des poupées russes mode KGB. C’est des choses qui peuvent arriver ailleurs sauf qu’on en parle qu’on sanctionne et le coupable n’est pas prêt de recommencer à moins de risquer la ruine et la prison. Chez nous, si ton heure est venue, elle est venue, basta ! Ne cherche pas les responsables au-delà de ton nez. Et d’ailleurs c’est connu, la populace a l’estomac blindé. On se souvient de l’Etat socialiste et de ses souk el fellah avec le slogan passe-partout "du peuple au peuple" où on faisait la chaîne pendant des heures pour une plaquette d’œufs mais obligé d’acheter des conserves pourris, de la semoule avariée destinés à la poubelle de la sortie.

C’est les mêmes samaritains qui ont concocté ce couffin au lieu de construire une République basée sur des droits non sur la hogra généralisée. Bien sûr si le verre est à moitié vide, il l’est forcement à moitie plein d’où la nécessité d’au moins quelques denrées comestibles. On imagine le nombre de potes qui se sucrent au passage avec cette baraka. "Si tu travailles dans le miel, tu es obligé d’y goûter" sinon c’est louche. Occasion à ne pas rater puisque nos pauvres hibernent toute l’année ne s’alimentent que quand ils font le carême et sont incapables de faire leurs commissions. Ils sont le produit d’une curieuse alchimie entre dégringolade du dinar et l’explosion du prix de l’or noir : retraités, handicapés, chômeurs, licenciés, répudiées, veuves, SDF, étudiants… A ce bazar, il faut ajouter les malades chroniques car la maladie appauvrit sans assurer la guérison et la carte Chifa c’est de la méthode Coué, abracadabra, épeler simplement le nom magique.  Et ceux qui ne crèvent pas de faim qui n’ont pas de problème de logement mais qui, pour se soigner, prendre l’avion, réparer, agrandir la maison, acheter une voiture et c’est toutes les économies de plusieurs années, de toute une vie parties en fumée.   

Pourquoi ne pas envoyer un chèque comme font tous les pays normaux dans la transparence la dignité la logique ? Ces hommes qui nous gèrent cachés dans leur casemate dont l’avenir est tout tracé hors bled savent-ils que les Algériens ne meurent pas encore de faim, qu’il y a toujours la solidarité familiale et des mosquées qui ont à boire et à manger durant tout le carême et plus ? A-t-on fait un sondage pour savoir si les besoins de ces parias se limitaient à une chorba ? N’y a-t-il pas parmi eux ceux qui préfèrent au gavage un vaccin pour le bébé, des souliers pour l’enfant qui ira pour la première fois à l’école, des livres afin que la fille puisse devenir toubib demain, un boulot pour le fils désœuvré qui traficote à droite et gauche, un lit d’hôpital pour le parent dont l’opération est renvoyée aux calendes grecques malgré l’urgence ou simplement retirer un maigre avoir un extrait de naissance sans risquer l’apoplexie ? Et puis donner du sucre au diabétique, de la semoule, de la farine au malade du côlon, du café à l’hypertendu, c’est pas très intelligent. A la rigueur une carte alimentaire dans un magasin homologué où le nécessiteux a le choix. Et si par malheur cet ingrat n’aime pas les aliments importés rêve de figues, d’huile d’olives, du lait de vache, de tous les fruits et légumes qui poussaient dans le douar moyenâgeux de son enfance, qu’il continue de fantasmer le restant de sa piètre vie.

Quant à la fameuse meida, la table du Ramadan, clone raté de la Soupe Populaire, on est carrément dans la série Au-delà du Réel tellement la sélection par âge et par sexe est réussie. On se croirait au pays des Amazones pas du Code de la Famille, c’est les adultes mâles qui crèvent de faim, jamais les enfants et les femmes. Assurer la sécurité avec un couffin alors que n’importe quel attardé mental sait que quand on a vraiment faim on ne peut même pas compter sur ses jambes pour retrouver sa verticale, alors se retrouver par miracle dans la rue, la chauffer à blanc avant la casse, ça relève du grigri et du talisman réunis. On dit que la démocratie est basée sur la solidarité de tous et que la rupture de la réciprocité mène aux catastrophes.

Avant, nos imams affirmaient qu’Allah était partout et que le pèlerinage pouvait se faire sur place et nos ancêtres n’hésitaient pas à sacrifier leur hadj pour soulager les souffrances de leurs frères et sœurs. Aujourd’hui, savamment travaillés par les chouyoukhs de l’Orient, ils affirment que l’argent du pèlerinage ne doit être en aucun cas détourné même pour une noble cause. Alors, nous les Algériens qui avions non seulement déformé la vraie langue arabe et le vrai Islam avec, dès que nos poches se remplissent, on se précipite vers l’Arabie Saoudite pour laver nos os et nous faire pardonner nos nombreux péchés. Au point où le pays d’Ibn Saoud investit tous azimuts dans le tourisme religieux à noyer la sainte Kaaba dans une floraison de tours buildings et palaces. Si la société algérienne avait gardé son authenticité, jamais un régime aussi corrompu aussi nul n’aurait pu étendre ses ramifications jusqu’à fossiliser toutes les couches de la société.

Qui se souvient de l'Algérie ?

Quel pays arabe a subi un lifting aussi désastreux ? Aucun, et c’est là l’exception algérienne. Le terrorisme nous a prouvé que dans une même famille, on peut trouver le bourreau et la victime, le héros et le harki, le perdant et le gagnant, l’enraciné et le déraciné. Si l’Algérie avait subi les bombardements qui pleuvent sur la Syrie combien de secondes tiendrait-elle ? Il a fallu qu’un parti soit écarté pacifiquement du pouvoir pour que le pays sombre en un clin d’œil dans un cauchemar absolu durant presque une génération et dont la fin demeure incertaine. Voracité du trou noir qui s’effondre sur lui-même pour ne rien recracher. De la fin qui justifie les moyens, on est passé aux moyens qui justifient la fin dans un bled où il n’y a aucune histoire pour l’Histoire. Des experts nous affirment que les Algériens n’aiment pas le changement, donc on en déduit qu’ils sont satisfaits de leur présent mais où trouver ce genre de spécimens ? Qui fait encore des projets sincères à long terme dans ce bled ? On n’en trouve même pas dans le sérail sécurisé par les puits de pétrole à gogo protégé par une police prolifique  et une armée super équipée. Face aux bouleversements qui secouent le monde entier, l’Algérie, qui fut un jour le grenier de Rome qui est censée être la 4e richesse pétrolière au monde, se retrouve à se féliciter d’un couffin d’une meida en ce mois sacré de l’an 2012 avec le programme soporifique de l’Unique multipliée et ses pubs labass tout-va-bien, hamdoulilah, on a gagné une médaille olympique au pays d’Interpol malgré nos larcins. "Dans l’empire de la honte, gouverné par la rareté organisée, la guerre n’est plus épisodique, elle est permanente. Elle ne constitue plus une pathologie, mais la normalité. Elle n’équivaut plus à une éclipse de la raison. Elle est la raison d’être de l’empire lui-même." (3) C’est des insurgés espérant des lendemains meilleurs qui font les guerres. Quand la rareté va jusqu’à contaminer l’espoir, Où va l’Algérie ? n’est plus la question à poser mais plutôt, Qui se souvient de l’Algérie ? 

Mimi Massiva

(1) Victor Hugo

(2) Régis Debray

(3) Jean Ziegler (L’Empire de la Honte)

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VOX POPULI

La bureaucratie, à l'heure d'internet, est anachronique. Tout les pays du Monde simplifie les formalités administratives, notamment grâce à Internet.

Quant à la corruption, elle est lié à la performance économique du pays. Qui permet la mise en place de structures de contrôle, l'amélioration du niveau de vie des fonctionnaires... etc.

Mais l'Empire occidental ne permettra jamais l'accès au développement si vous n"acceptez pas de vous soumettre. Le seul contre-exemple est la Chine, mais vous conviendrez que la Chine est un cas très particulier. Et encore, même pour la Chine, l'accès au transfert de technologie est très très limité. Contrairement à la Corée du Sud, qui était pratiquement l'égal de la Côte d'Ivoire dans les années 70, et qui maintenant dépasse l'Espagne. Pourquoi ? parce que ce pays est soumis aux USA et des bases US sont installées sur son sol.

Cependant, si c'est un pays musulman, même soumis, même avec des bases US, il n y aura pas de transfert de techno, donc pas de développement économique. Des exemples ? regardez la Turquie ou le Maroc. Ne me parlez pas des pays du Golfe, ils ne produisent aucune techno, à part les gratte ciel élaborés par les occidentaux.

La solution, pour les pays qui tiennent à leur indépendance, c'est de supprimer le capitalisme, et tout les artifices qui vont avec comme les finances et même la monnaie.

Il nous faudra simplement s'inspirer de la nature en créant une économie basée sur l'éco-système et les ressources disponibles.

Cette Economie ne sera pas productiviste, car cela ne sert à rien qu'à abrutir l'humain et épuiser les ressources. Cette Economie sera comme son nom l'indique économe, créatrice imaginative et ouverte à tout humain de bonne volonté. Pas besoin de capital, pour faire dans l'économique. Le monde entier sera concerné et solidaire et pas seulement les soit disant pays riches (riche d'avoir volé et exploité leurs frères humains).

En échange de son travail, chaque être humain aura accès "gratuitement", puisque l'argent est supprimé, à la nourriture, aux soins, à l'éducation, au logement et aux loisirs dans la mesure de ce que la planète peut permettre. Le gaspillage, le luxe ostentatoire et coûteux en matière première, les gadgets et produits de mauvaise qualité, car non durable, seront proscrits. Mais alors, vous me direz, tout le monde va être égal, je vous direz oui sur l'essentiel et le vital. Mais non sur le reste, nous serons tous différents par notre spiritualité, notre culture, nos qualités humaines et artistique. Et cela me parait plus sain de se différencier par ces biais là que par le matériel, qui par essence est injuste et superficiel.

Dans ces conditions, la corruption, le vol, les guerres n'auront plus de raison d'être puisque l'accumulation de richesse n'a plus de sens. Le partage des Pouvoirs sera d'autant plus facile qu'il n' y a rien à voler. La seule motivation, c'est servir ces semblables.

Ce monde est utopiste me direz vous. Moi, je vous dirais que l'Utopie c'est de penser que le monde dans lequel on vit maintenant a un avenir.

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Khalida targui

Je connais quelqu'un qui bosse à la mairie depuis que le couffin est là, il ne fait pas bezaf de réserves pour le mois sacré. Il a donné à ses 7 frères et sœurs des logements sociaux quelque soit leur situation. Il goutte pas le miel il lui faut tout le pot. Hier j'ai acheté une boite de camembert avec un emballage top avec une date d'expiration le 9 septembre, un vrai poison, l'intérieur tout rose. Je l'ai jeté, je vais plus manger du camembert. Je n'ose même pas aller protester car en Algérie c'est le pot de fer contre le pot de terre. Merci Mimi pour cet article mais ça sert à rien, les chiens aboient la caravane passe.

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Si, par le débat et la prise de conscience l´action viendra.

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