Kateb Yacine et le Théâtre de la mer à Alger

Kateb Yacine
Kateb Yacine

En 1971 le ministère du Travail dont dépendaient les centres de la formation professionnelle, confie au Théâtre de la mer, l’animation culturelle pour ses stagiaires.

Créé à Oran en 1968, Il monte à Alger en 1970 et siège en définitive dans un ancien centre de formation de jeunes filles à Kouba en face du cimetière chrétien sur le chemin de la cité Jolie-Vue où ils sont rejoints par d’autres animateurs.

A l’initiative de Ali Zamoum, responsable des centres de formation professionnelle au ministère du Travail, le collectif du Théâtre de la mer avait chargé Kadour Naïmi, Houcine Tanjaouï et Saâdeddine Kouidri à rencontrer Yacine Kateb, qui revenait du Viêt-Nam via, le Liban, dans un lycée d’El-Harrach, pour lui confirmer la disponibilité du groupe à un travail commun d’une pièce de théâtre sur l’émigration. Kateb rejoint le groupe quelques jours après, et pour aller vite, entame le travail à partir d’un texte tiré de L’homme aux sandales de caoutchouc, et par la suite, il écrivait le soir ses pages en français et dès le matin dans la salle au premier étage, toute l’équipe se mettait autour d’une table et participait à traduire en arabe populaire la scène à interpréter l’après-midi, dans la grande salle du rez-de-chaussée. Lors de la traduction, il arrive que la spécificité de la langue adossée à une bonne ambiance amenait à des transformations du texte initiale, avec l’assentiment de l’auteur. On dira que ces séances de traduction inspiraient Mohamed prends ta valise. A ce niveau, Il me semble que la contribution d'Abdellah Bouzida dépasse celle des autres acteurs.

Dans la distribution des rôles faite par Kadour Naïmi, le personnage principal de la pièce Moh-Zitoune, a été attribué dès le début à Mahfoud Lakroune. Personne ne le lui a jamais contesté ce rôle qui lui va comme un gant, presque naturellement diraient ceux qui ne savent pas combien d’efforts Mahfoud déployaient aux répétitions. Il faut préciser que lors de cette période il s’exerçait à la boxe et cette dure discipline lui a certainement servie. Avec le temps, Il est devenu l’acteur fétiche de Kateb et son ami le plus fidèle.

Messaoud Hrikès, l’ami de Kateb, cet ancien et éphémère policier de Annaba est musicien-parolier, Il a donné à la pièce, la note de l’exil que sollicitait Yacine. L’exil, cette profonde solitude et non la nostalgie qui nous est servie aujourd’hui à tout bout de chant. Les souvenirs des déboires communs, de leur séjour en Europe, les ont marqués. Hrikès était la mémoire enivrée de son compagnon d’infortune. Il renfermait à lui seul tout le chant populaire loin de ce chaâbi incompréhensible et décalé dont la télé et la radio, nous abreuvent jusqu’à l’abrutissement ou l’endormissement, diront aujourd’hui les ramadaniens. De ses chants et de sa musique, Hrikès redonnait du souffle, (le paradoxe, est qu’il n’avait qu’un seul poumon disait-on), au groupe et particulièrement à Yacine, à défaut ou en complément à la poudre d’intelligence.

Il y avait la cousine de Kateb, une grande comédienne qui ne vous laissait pas indifférent par ses chants.

Sur les planches, l’actrice Fatima Bouchbiki, cette Marocaine était une star qui métamorphosait la misère en dévoilant les raisons, elle l’éclairait au lieu de la ternir, son art, reflétait ses idées, ceux des indigènes qui continuaient à résister et pour cause, dans la vie elle était une militante pour une République, elle l’a crié si haut et si fort dans son pays qu’elle s’est mise au banc des accusés. Au Théâtre de la mer, elle était sur la scène algérienne plus qu’une reine, une citoyenne, qui a fait souffrir plus d’un sociétaire et particulièrement Mahfoud son compagnon, au point où Kateb a dû intervenir pour protéger son poulain.

Ils étaient des dizaines (**) les comédiens, les musiciens, du Théâtre de la mer, surnommé l’ACT par la suite. Il y avait en ces temps pour les entreprises culturelles le turn-over des sociétés précaires à cause des difficultés, qui à mon avis incombent principalement au ministère chargé de la culture de l’Algérie des années 1970.

Au moment où Kateb était chez l’oncle Ho dont il écrivit le livre L’homme aux sandales de caoutchouc, Naïmi et son équipe donnaient leur pièce La fourmi et l’éléphant au cinéma le Mouggar. Alloula, quant à lui donnait ses représentations à quelques pas, au TNA. Il est venu une fois encourager la troupe.

C’est lors de la préparation de la Première de la pièce La fourmi et l’éléphant au cinéma le Mouggar que je fus sollicité pour la reproduction de diapositives à projeter lors des présentations. Un ami du Théâtre de la mer, enfant de Kouba, jeune étudiant en médecine m’aborde en commençant par me dire qu’il ne trouvait pas de photographe pour une reproduction en diapositive, j’ai répondu qu’il y avait deux possibilités, soit qu’il achetait un film de marque Kodakrome dont le traitement est compris dans le prix d’achat et que le temps d’expédition- réception des diapositives ne dépassait pas une quinzaine de jours, il m’interrompit pour me dire que la troupe devait faire la présentation dans la semaine. Dans ce cas, je lui conseillais d’acheter un Aghfachrome et son process qui étaient disponible aux magasins des photographes et dont le traitement peut se faire dans la journée, Il n’avait pas l’oreille à mes explications et tenait à que je m’en charge, ce que je fis. C’est suite à des reproductions photo en diapositives dont celle de Hô Chi Minh pour la pièce La fourmi et l’éléphant que j’ai accompagné pendant plus d’une année le Théâtre de la mer.

J’ouvre une parenthèse pour rappeler une pratique bête et donc nuisible, cette interdiction de photographier pratiquée dans notre pays, en rappelant que le traitement des films dont la prise de vue est soumise à autorisation est dans la plupart des cas fait dans les laboratoires étrangers. Aujourd’hui avec le numérique et le satellite, à quoi répond cette interdiction. Aujourd’hui comme rapporter dans la presse du 31 du juillet précédent qu’un grand homme de théâtre comme Kateb n’est pas un metteur en scène c’est comme avancer l’argument que tout celui qui ne peut pas illustrer sur la scène, que la mer s’est noyée dans les raisons de l’exil, n’est pas un metteur en scène.

Mohamed prend ta valise est composée de tableaux succincts, des scènes où le chant et la musique tiennent une place importante. Elle raconte les péripéties de l’indigène. Après les tableaux sur les éternelles injustices et des tentatives de résistance sur plusieurs générations, s’imposaient alors aux novembristes l’unique alphabet qui est : ALN/FLN. Quand cet alphabet est épelé, on est seulement qu’à la moitié de la pièce, à la moitié du chemin.

Saâdeddine Kouidri

(*) Liste non exhaustive des membres fondateurs du Théâtre de la mer à Oran : Kaddour Naimi Benmebkhout Mohamed (Hamid Skif), Noureddine Aich, Mustapha Mengouchi, Mohamed Youcefi ….

(**) Liste non exhaustive des sociétaires du théâtre de la mer de 1972 : Hamida Kateb, Badi Haj Omar, Aziz Degga, Karim Heddar, Rachid Zouba, Smain Henni, Diden Aumer, Zerouki Hamou, Mohamed Youcefi, Nawal Bengana, Zina Tanjaouï, Houcine Tanjaouï, Fatima Bouchbiki, Mustapha Yalaoui, Nabil Yalaoui, Mahfoud Lakroune, Mouni Krikrou, …..

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Quelqun EncoreQuelqun

Le jour où le Théâtre (avec un grand t) est devenu synonyme de "sketchs" en Algérie... le jour où Kamel Tharouihth est devenu "comédien" puis animateur-analyste à Berbere TV... le jour où la fiction a été "haramisé" par des fetwa de Grands Muftis tels Benhadj, Hattab and Co... le jour où Khalida Toumi est devenue ministre de la culture... le jour où les salles obscures et autres salles de spectacles ont été transformées en salles de prière... le jour où Hakim Salhi est devenu une vedette du chant dit moderne... le jour où d'apprentis journaleux se sont érigés en maîtres absolus de la fine analyse de tout ce qui bouge (et de ce qui ne bouge pas d'ailleurs) ... le jour où "ON" a chanté : "... j'aimerais être un fauteuil dans un salon de coiffure pour dames / pour que les fesses des bonnes âmes viennent s'écraser contre mon organe "... le jour où j'ai su que le "ON" s'appelait Amazigh Kateb... eh bien ce jour-là, je ne savais plus quoi penser ni quoi dire !

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elvez Elbaz

C'est cette algérie algérienne de yacine kateb, que bouteflika abdelaziz, le condamné par le tribunal d'alger pour vol des sommes reliquats alloués aux ae par le trésor algérien est entrain d'anéantir et de détruire, aprés que le début de la destruction des fondamentaux sociaux, humains, culturels de l'algérie algérienne ait commencé par les dictatures de benbella, boukharouba, belkhir, nezzar marionnetistes du mari de hlima chadli.

Une algérie araboislamiste de belkhadem, d'aboujerra, celui qui a changé son nom de bougara pour faire plus arabe et moins algerien, de bouteflika, la poisse qui a toujours vécu au crochet de la rente pétroliére, de sa fratérie, de ses larbins zerhouni and co du clan présidentiel, remplaçant l'algérie algérienne de kateb yacine, de mohamed dib, qui a préfére être enterré sur sa terre d'exil que sur cette terre d'algérie entre les mains du clan de tlemcen et de ses parrains les services secrets algériens.

La messe est dite, l'algérie araboislamiste de bouteflika a sonné le glas de l'algérie algerienne de katebyacine, quel malheur!

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